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Évangile Cannibale (L’)
Fabien Clavel
ActuSF, roman (France), apocalypse, zombies et vieux, 312 pages, janvier 2014, 17€

Mathieu Cirois est un vieux en fauteuil, bien décidé à pas se laisser crever dans le mouroir où sa femme et sa fille l’ont collé. Menant la vie dure au personnel, il tient le journal de sa guerre contre les infirmières sur un dictaphone.
Un jour, Maglia, la plus charmante des presque centenaires, annonce à tous l’Apocalypse. On s’organise pour se barricader 40 jours dans les locaux, on bloque les portes.
Et 40 jours plus tard, c’est un grand silence qui voit leur sortie. Plus de personnel. Plus personne dans l’immeuble. Apparemment plus personne dans Paris. Sur fauteuil ou en déambulateur, le groupe de survivants part à la redécouverte de la capitale abandonnée, tombe bientôt sur une immense muraille de béton qui la ceinture. Une barrière pour se protéger du dehors, ou empêcher ce qui est dedans de sortir ? Car dans Paris déserté, Paris saccagé, ils rencontrent bientôt quelques créatures zombifiées.



Cela m’est presque difficile de chroniquer cet « Évangile Cannibale », pour la bonne et simple raison que ce complexe petit bouquin est intelligemment conclu par une dizaine de pages d’interview de l’auteur, qui ne se prive pas de nous décortiquer les dessous de son histoire, les personnages et les thèmes récurrents de son œuvre et qui transitent parfois d’un livre à l’autre. Un petit plus qui magnifie cette histoire choc de Fabien Clavel.

L’auteur s’attaque à un nouveau genre : le post-apocalyptique mêlé de zombies. Le tout cadencé comme l’évangile selon Mathieu (comme son personnage, première des mille et une subtilités de ce petit bouquin effrayant), mais à l’envers.
Le premier niveau de jeu complexe vient de la forme : le narrateur raconte ses journées sur un dictaphone, après nous avoir fait croire qu’il les notait dans un carnet. Dès les premiers chapitres, Clavel nous met subtilement en garde contre son conteur et la vision personnelle, parcellaire, forcément orientée qu’il nous fait. Un petit épisode psychotique plus loin nous rappelle à l’ordre : Mathieu ne nous dit pas tout, mais sa vérité, sa vision des choses, et passe sous silence ce qui ne l’arrange pas. Raconter a posteriori, et pas dans le feu de l’action, permet de faire le tri. Mieux pour lui, dangereux pour nous. Toujours garder ses sens en alerte et ne pas gober ses paroles comme la parole divine.

D’autant que Matt n’est pas un enfant de chœur. Méfiant à l’égard de la charismatique Maglia, qu’il soupçonne de vouloir l’écarter, lui le sceptique, il va vite l’accuser de tous ses maux. N’est-ce pas surprenant que ce soit lui le premier attaqué par un zombie ? Tentative de meurtre déguisée. Ses voix qu’elle dit entendre, via son sonotone, sont ses alliés secrets pour l’éliminer, et pas des anges comme elle le prétend. Etc.

Comme on s’y attend, tandis que le groupe de vieillards s’amenuise du fait des conditions extrêmes de leur balade dans Paris et des rencontres impromptues et du manque de nourriture, il va prendre l’ascendant sur les gérontes grabataires, soutenu par son aide-soignant un peu mongolien devenu leur guide et leur pourvoyeur de matériel médical, pillant allègrement les hôpitaux où ils font escale. C’est que maintenir ce petit monde mobile et vivant nécessite des concessions à la vitesse et à la mobilité : il faut mettre la main sur des fauteuils électriques pour s’offrir des pointes à 5 km/h, une vraie chevauchée de valkyries ! Mais aussi les entretenir, les recharger... Les refuges ne manquent pas dans Paris, l’électricité non plus. C’est la bouffe qui pose vite problème. Et les zombies, forcément.

Le summum de l’horreur sera sans doute atteint après la rencontre avec une gamine mutique et traumatisée, et leur tentative collective d’en faire une nouvelle Eve. Face à leur échec, on verra une lueur d’espoir avec l’arrivée d’un second survivant, jeune et mâle. Rassurez-vous, elle ne durera pas !

Tout le fond scientifique est assez poussé et cohérent : les vieux vont grappiller quelques indices quant à l’origine de la zombification de la population (un effet secondaire médicamenteux à grande échelle, pensez-y la prochaine fois que vous avalez un cachet sans réfléchir), et Matt émettra aussi quelques hypothèses, à suivre faute de mieux (mais là encore, méfiance), sur le comportement des monstres.

Le roman va crescendo tandis que la menace se rapproche, que les forces diminuent et que les décès, pour quelque raison que ce soit, augmentent. Certains personnages pourront presque nous paraître sympathiques. Pas le narrateur, dont la cote de popularité descendra en flèche tandis que les pages défileront. On lui reconnaîtra une intelligence méchante, idéale pour assurer sa survie, mais malgré quelques moments de sentimentalisme on ne s’apitoiera jamais sur son cas.
Et quand enfin tout cela s’arrête, on pourra reprendre son souffle, fermer les yeux. Laisser échapper un « whaaou » de respect mêlé de soulagement. Lâcher un merci à Fabien Clavel de nous avoir secoué comme ça, violemment sur la forme, intelligemment sur le fond, pendant quelques heures d’une lecture intense et dérangeante.


Titre : L’Évangile Cannibale
Auteur : Fabien Clavel
Couverture : Diego Tripodi
Éditeur : ActuSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 312
Format (en cm) :
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 9782917689585
Prix : 17 € ou 3,99 € en version numérique sans DRM


Chronique établie d’après la version numérique du livre


Nicolas Soffray
5 avril 2014


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