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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Loïc Le Borgne : un retour aux sources
Une interview Yozone
Mars 2014

Lorsque l’on voyait le nom de Loïc Le Borgne sur un livre, on pouvait légitimement penser être en présence d’un ouvrage jeunesse. Depuis la sortie en février 2014 d’« Hysteresis », cette assertion n’est plus vraie. L’auteur a franchi le pas en nous livrant un roman post-apocalyptique qui mériterait de devenir un classique.
Belle occasion pour la Yozone de découvrir plus avant Loïc Le Borgne.




Loïc Le Borgne sur la Yozone :
- « Hysteresis »
- « Le Bout du Monde »
- « Le Sang des Lions »
- « Je Suis ta Nuit »
- « Le Grand Voyage (T2) »


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Yozone : Loïc, pourriez-vous brièvement vous présenter aux lecteurs de la Yozone ?

Je suis né en Bretagne, je vis maintenant en Sarthe. J’ai 44 ans, deux filles, un chat, j’adore imaginer des histoires depuis l’école primaire, quasiment toujours de la science-fiction du fantastique. J’aime écouter de la musique, surtout Bob Dylan, Bruce Springsteen, Jimi Hendrix. Et vous ?

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Yozone : Après quelques romans pour la jeunesse, qu’est-ce qui vous a poussé à franchir le pas, à écrire pour les adultes ?

C’est plutôt un retour aux sources. J’ai été journaliste pendant 17 ans, j’ai rédigé des milliers d’articles pour les adultes, du moins sans réfléchir à l’âge des lecteurs. Et puis, à l’origine j’ai écrit l’un de mes premiers romans, « Je suis ta nuit », pour les adultes. Je l’ai adapté pour des young adults (drôle de concept...) à le demande de l’éditeur. Puis Le livre de poche l’a publié en adultes... La frontière entre littérature pour ados et romans pour adultes me semble donc très floue... Disons que pour « Hystérésis », j’ai probablement pu aller plus loin dans la forme, en mélangeant étroitement vers et prose. En jeunesse, les choses auraient été plus difficiles. Plus le lecteur est jeune, plus il apprécie, à mon avis, la clarté.

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Yozone : D’ailleurs, écrire pour les deux publics est-il si différent ? Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est-il pas plus facile d’écrire pour les adultes, car il y a moins de contraintes et l’auteur peut alors se laisser aller ?

Je le pense aussi. Mes filles, maintenant ados, m’ont demandé il y a quelques années d’écrire des histoires pour les enfants. J’ai eu beaucoup de mal à me lancer. Il faut dire les choses avec très peu de mots et ne jamais relâcher le rythme. J’essaye cependant de m’en souvenir en écrivant pour les adultes : on peut relâcher le rythme, mais pas pour autant écrire des pages qui n’ont pas pour but de faire avancer le récit. Pas à notre époque. Dans ma première version, j’écris toujours des choses inutiles ou accessoires, mais je les coupe lors des relectures.

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Yozone : D’où est née la formidable histoire d’« Hysteresis » ?

Je bâtis mes histoires comme des puzzles, j’y pense pendant des mois ou même des années avant de commencer à écrire. Il y a donc eu plusieurs éléments : l’envie de proposer un héros nettement plus âgé que moi, revenant sur ses terres longtemps après en être parti (j’ai songé au film « Le retour de Martin Guerre »), l’envie de me mettre dans la peau de mes descendants, traumatisés par nos erreurs, le désir de parler de la nature de différentes manières : certains personnages dans « Hystérésis » la considèrent comme toute-puissante, voire magique, d’autres comme respectable, d’autres comme un partenaire qu’il faut apprivoiser mais aussi craindre parfois. Cette fois cependant, je n’ai pas bâti de scénario, hormis pour le début du récit. Je voulais avancer en roue libre.

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Yozone : Pour ce roman avez-vous été influencé par d’autres œuvres ?

J’ai parlé de « Martin Guerre ». En écrivant, j’ai aussi lu « La Route » de Cormac McCarthy, « Le Feu de Dieu » de Pierre Bordage. J’ai toujours aimé les récits post-apocalyptiques. « Mad Max » et « Terminator » ont forgé mon imaginaire d’adolescent. Ce genre d’histoire nous permet de prendre du recul sur notre civilisation, de se concentrer sur des choses simples qui nous ont peut-être échappé : la proximité avec la nature, les relations entre humains dans une petite communauté. Comme j’habite dans une petite ville en pleine campagne, ce genre de chose me parle.

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Yozone : Après lecture, la question se pose : êtes-vous d’un naturel optimiste ou pessimiste ? Croyez-vous comme beaucoup que la civilisation va droit dans le mur et que l’on est vraiment mal barrés ?

D’abord, une chose est sûre : notre civilisation n’est pas éternelle. Elle va évoluer, le tout est de savoir à quelle vitesse. Là, j’ai poussé le curseur au maximum... ou presque, car le récit se déroule à la fin de notre siècle (la fin de la civilisation actuelle n’a donc pas eu lieu dans les vingt prochaines années). Si on se focalise sur la Panique, l’effondrement similaire à la fin de l’empire romain souvent évoqué dans le récit, alors on peut dire que oui, je suis pessimiste. Mais on comprend aussi, au fil du récit, que certains personnages, comme Gabrielle, veulent créer un autre monde sur les décombres. C’est en général ce qui finit par arriver. Pour revenir à la question, je ne sais pas si nous allons percuter le mur, je ne suis pas devin, mais je crois qu’il serait judicieux de tourner le volant... sans trop tarder.

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Yozone : À juste titre, vous montrez que ce n’est pas nous qui sommes directement concernés par les conséquences d’un progrès galopant, mais nos descendants ? Pensez-vous vraiment qu’ils nous en voudront à tel point ?

Si nous avons toutes les infos en main et que nous ne faisons rien, alors oui. De manière naturelle, les parents font en général tout ce qui est en leur pouvoir pour offrir une meilleure vie à leurs enfants. Si nous agissons de manière inverse, il y aura des conséquences. Comme un gosse conscient d’avoir été maltraité en veut à ses parents. Je me suis inspiré d’écrits sur la génération qui a suivi la seconde guerre mondiale en Allemagne, les jeunes en voulaient logiquement beaucoup à la génération précédente. De plus, ils portaient en eux la culpabilité de ce que leur pays avait commis. Tout comme les habitants de Rouperroux dans « Hystérésis ». Dans le roman, ces gens nous en veulent encore plus car ils ont la sensation de vivre en enfer, alors que leurs ancêtres ont profité à leurs dépens d’un âge d’or. Pire, ils considèrent que leur espèce dans son ensemble est responsable des dégâts infligés à la nature. C’est un fardeau très lourd à porter. J’avais envie de parler de cette culpabilité.
La Terre se remettra de ce que nous lui infligeons. Un million d’années, ce n’est rien pour elle. Et même dix. En affirmant que nous risquons de la détruire, nous nous plaçons encore une fois sur un piédestal. La planète se moque de voir la température augmenter de 5 degrés. Une future ère glaciaire réglera le problème. L’humanité est, je crois, infiniment plus fragile.

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Yozone : Et la Panique ? Pouvez-vous nous en dire plus sur cet événement majeur ?

Non, j’ai volontairement éludé cette question. La Panique n’est pas importante, c’est un vieil événement pour la plupart des habitants du village. Ce n’est pas un récit basé sur une catastrophe mais sur les responsables et les victimes de cette catastrophe. De quelle nature fut-elle ? On peut imaginer une accumulation de mauvaises nouvelles économiques, climatiques, politiques. Déjà, dans « Le Sang des lions », paru en 2008, j’évoquais ce genre de scénario. Je pensais que la bourse n’aillait pas du tout aimer les incertitudes climatiques, et je le crois toujours.

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Yozone : Pour « Hysteresis », le choix du Bélial’ s’est-il imposé d’emblée ? En effet, cette maison d’éditions est énergique, publie de beaux livres et mène une vraie politique d’auteurs.

J’ai proposé ce récit à plusieurs éditeurs. Sa forme étrange (le mélange de prose, de poésie, de textes de chansons) en a inquiété plus d’un. J’ai réécrit une version courte, avec l’aide de Xavier Décousus, qui a œuvré bénévolement sur ce récit. Xavier avait travaillé avec Pierre Bottero chez Rageot, puis chez Gründ, il avait un grand savoir-faire. Il est décédé fin 2013, je lui dois beaucoup.

Bénédicte Lombardo, alors chez Pocket, m’a appelé pour me dire qu’elle adorait le livre. Elle m’a mis en contact avec le Bélial pour une édition grand format. Olivier Girard, l’éditeur, a lui aussi aimé le livre, et il n’a pas eu peur de sa forme originale, au contraire ! Toute l’équipe fait un boulot génial pour soutenir le roman. J’apprécie son audace.

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Yozone : Après « Hysteresis », quels sont vos projets d’écriture ? Quel est votre futur éditorial ?

Je travaille avec Denis Guiot, directeur de la collection Soon chez Syros. Il défend la science-fiction et une littérature jeunesse de qualité depuis des lustres. Nous avons quelques projets, mais il faudra attendre 2015...

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Yozone : Quelles sont vos habitudes lorsque vous écrivez (un objet fétiche, un rituel spécial, un lieu précis…) ?

Je bois du sang frais d’écureuil et je fume de la sauge soixante-six minutes et six secondes avant de commencer. Non, je plaisante. Pendant les vacances d’été, j’aime écrire des nouvelles, en plein air, avec un crayon à papier et un bloc-notes. Mais le reste du temps, j’allume mon ordi dans mon bureau, je mets de la musique, en général du rock. Pas de chansons françaises, car les mots me gênent. La musique m’isole du reste du monde (ou plutôt des bruits de la maison). J’ai quelques grigris dans mon bureau : un attrapeur de rêves indien par exemple. J’ai aussi des photos en noir et blanc de Stephen King et Hemingway, mes dieux de l’écriture.

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Yozone : Comme mot de la fin, auriez-vous quelques conseils à donner à un aspirant-écrivain ?

1- Être terriblement têtu. 2- Élaguer, encore élaguer, ne garder que l’os. 3- Refuser d’écrire ce qui a déjà été écrit dix fois. 4- Penser qu’être écrivain n’est pas plus important que d’être souffleur de verre ou ébéniste, qu’il y a donc des savoir-faire à conquérir (et qu’il ne faut jamais cesser de le faire).

Yozone : Merci beaucoup, Loïc.

Propos recueillis par :


François Schnebelen
5 mars 2014


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Hysteresis (Le Bélial’, février 2014)



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L’arbre qui a servi de modèle pour Fau



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