Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Sang sur Abbey Road (Du)
William Shaw
Les Escales, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), policier, 432 pages, janvier 2014, 21,90€

Les érudits de l’histoire de la musique et les victimes de la beatlemania le savent : Abbey Road est le nom d’un album des Beatles sorti en 1968. Initialement, rapporte la légende, cet album devait s’appeler Everest, là où Paul aurait voulu emmener tous les autres. Mais aucun n’avait envie d’aller si loin si bien que la photographie fut prise à la sortie du studio, sur Abbey Road, donnant à l’album son titre définitif.



«  Pour des agents qui passent l’essentiel de leur temps à battre le pavé, un meurtre est un cadeau.  »

C’est dans une ruelle non loin du célèbre studio des Beatles que l’on retrouve, à-demi dissimulée parmi les ordures, sous un vieux matelas, nue, une jeune fille assassinée. L’inspecteur Cathal Breen, chargé de l’enquête, pense qu’elle pourrait être l’une des nombreuses fans des Beatles qui s’amassent quasiment en permanence à l’entrée des studios, sur Abbey Road, non loin de là. Une enquête qu’il devra mener en tenant compte de l’animosité affichée de ses confrères, car il a, peu de temps auparavant, abandonné l’un d’eux face à un délinquant armé d’un couteau.

Bien décidé à explorer toutes les pistes, malgré les réticences des uns et des autres, Breen s’acharne. Il est aidé par Tozer, une jeune policière débrouillarde, qui elle aussi en gêne beaucoup : en 1968, dans la police britannique, une femme n’a pas le droit de conduire. Et elle en sait un peu trop sur la libéralisation des mœurs au goût des uns et des autres. Pire encore, elle est elle-même un fan incollable des Beatles. Mais c’est en l’occurrence un défaut qui pourrait bien être une qualité...

«  Si tous les jeunes d’Angleterre s’unissaient, ils pourraient tuer tous les plus de trente ans. Tous les vieux devraient mourir.  »

Une femme : on aura décidément tout vu. Mais les temps sont vraiment durs pour les policiers, même pour ceux qui viennent à peine d’atteindre la trentaine. Les choses changent trop vite. L’ordre et les traditions sont en train de s’effondrer. L’argent change de mains, les jeunes s’enrichissent trop rapidement, profitent trop de la vie, ne se soucient plus de rien. « C’était comme si un coup d’état avait eu lieu. Les jeunes et beaux avaient pris le pouvoir », écrit William Shaw. Tout se métamorphose à tel point que le fossé ne se fait plus entre deux générations, mais entre des promotions séparées d’à peine quelques années.

«  C’était un de ces moments où la frustrante complexité du monde s’éloigne juste assez pour devenir matérielle, un objet qu’on croit discerner.  »

Mais la société britannique ne change pas qu’en surface. Ce n’est seulement le formidable essor des drogues – que les policiers comprennent fort bien, en orientant leurs carrières vers ces nouveaux délits – mais aussi le début de mouvements d’immigration en provenance du riche empire colonial : des quatre coins de la planète affluent des individus à la peau basanée qui suscitent méfiance, réticences, et le plus souvent un racisme affiché. Ce qui n’empêche pas les Britanniques bon teint de continuer à se méfier également des gens d’origine irlandaise, comme l’inspecteur Cathal Breen, dont l’enquête devient rapidement plus complexe, avec bientôt un second meurtre, puis un suicide.

Ce mouvement d’émigration marque profondément le roman, dont il constitue un des ressorts secrets, et à qui il donne une âpreté singulière. Car c’est sur l’arrière-fond de la crise coloniale de la création du Biafra, une partie de l’actuel Nigéria (qui ne se porte pas beaucoup mieux depuis), des massacres et famines qui s’ensuivirent, et des réactions et mouvements des uns et des autres, que se déroule « Du sang sur Abbey Road ». Un drame qui n’est pas seulement celui des morts, que ce soit à Londres ou en Afrique, mais qui aussi celui des émigrés dont la véritable appartenance est perdue, comme ce remarquable docteur Ezeoke africain élevé à Londres depuis sa plus tendre enfance, incapable de retourner au pays sans y être malade, mais malgré tout persuadé d’être plus africain que les Africains eux-mêmes, et qui comprendra, à vouloir trop aider son pays d’origine, que l’enfer est perpétuellement pavé de bonnes intentions.

Un premier roman réussi

L’auteur a manifestement apporté un soin particulier à la recréation des sixties : les marques de l’époque, y compris celles qui sont à présent disparues, les descriptions précises des intérieurs, les véhicules, les aspects de Londres à l’époque, les tenues et coiffures, la folie des Beatles et autres détails donnent homogénéité et cohérence à l’histoire.

Si l’on fait exception d’une des ressorts périphériques de l’intrigue – les circonstances précises du faux casse de la fuite de Breen qui nous semble artificielle ou à tout le moins insuffisamment convaincante – tous les éléments s’emboitent à la perfection, avec fausses pistes astucieuses et mécanique dramatique inexorable. L’acharnement de l’enquêteur alors que tout semble bouclé est classique mais fonctionne toujours. Le petit détail, la remarque en apparence anodine, la réponse à une question posée comme en passant redistribuent les cartes, redéploient l’éventail des possibles, donnent à l’intrigue une envergure inattendue.

Complexité de l’intrigue, dialogues au couteau, humour incisif de personnages auxquels William Shaw parvient à donner corps et substance, société en pleine mutation, émergence d’un nouveau racisme non pas colonial mais à rebours, prise de conscience par une partie des britanniques des atrocités perpétrées par l’Empire : autant d’éléments qui concourent à donner à « Du sang sur Abbey Road  » une tonalité singulière et en font une histoire à la fois belle et tragique. « Du sang sur Abbey Road » est présenté comme le premier d’une série de trois romans consacrés aux années soixante. Un volume inaugural dont les qualités pousseront les lecteurs à s’atteler, sans nul doute, aux prochains romans de William Shaw.

Titre : Du sang sur Abbey Road (A Song from dead lips, 2013)
Auteur : William Shaw
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Paul Benita
Couverture : Hokus Pokus Creations
Éditeur : Les Escales)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 432
Format (en cm) : 14,5 x 22,5
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 978-2- 365690683
Prix : 21,90 €



Hilaire Alrune
21 février 2014


JPEG - 16.2 ko



Chargement...
WebAnalytics