Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Mausolées
Christian Chavassieux
Mnémos, Dédales, roman (France), science-fiction, 326 pages, octobre 2013, 20€

Nous sommes dans les premières décennies du XXIe siècle. Le monde, qui a subi d’immenses conflits impliquant l’utilisation d’armes nouvelles, panse ses plaies. La démocratie, peu à peu, renaît. Si les États-Unis ont perdu tout leadership, l’Europe Ralliée, en cours de reconstitution, redresse peu à peu la tête. Quelque part dans cette Europe Ralliée, c’est à Sargonne, non loin de Mireveil – deux villes dont on comprend qu’elles sont encore, malgré la tutelle de la Fédération, peu ou prou des cités-états – que va se jouer un drame dont les racines remontent à cette période nommée les Conflits.



Malgré ce contexte global, « Mausolées » n’apparaît pas comme un roman post-apocalyptique de plus. Si le roman hérite d’une telle toile de fond, ce n’est tout d’abord qu’en filigrane, un filigrane que l’on devine à travers les pensées du jeune Léo Kargo dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu’il a publié quelques poésies et qu’il écrit régulièrement. Le jeune homme arrive à Sargonne, recruté par Pavel Adenito Khan, combattant, aventurier et homme politique, milliardaire et mécène controversé. Un individu extraordinairement puissant dont Kargo croit deviner qu’en l’embauchant au prétexte de faire du tri dans sa bibliothèque – une bibliothèque d’une richesse vertigineuse – il cherche, peut-être, à trouver un auteur capable d’écrire sa propre biographie.

«  Il est arrivé à d’autres bibliothécaires, un peu partout dans le monde, d’explorer la frange de la réalité que dessinent les livres, et de n’en pas revenir.  »

On est donc dès le départ dans la fréquentation isolée des livres, mais aussi dans l’énigmatique, le non-dit, le faux-semblant. Il faudra longtemps à Kargo pour rencontrer son employeur, mais il aura eu affaire bien avant à Jhilat, le bras droit de Khan, et à Danoo, sa secrétaire et mieux encore aussi son administratrice. Entre la menace et de la séduction, chacun prétendant avoir l’oreille attentive de Khan, Kargo comprendra rapidement que la fréquentation des cercles du pouvoir n’est rien d’autre qu’un jeu d’ombres et de stratégie. Un jeu à l’image de celui auquel il joue avec les gardiens du Palais de Khan, jeu lui-même nommé Palais des Fous. Une création ambiguë, aux pièces versatiles, invention de Khan lui-même, avec cases hexagonales et règles complexes incluant loyauté, fourberies et traîtrises. Un jeu qui permet des échos subtils et récurrents entre les parties et le monde réel. Et des adversaires qui, ayant combattu aux côtés de Khan pour rétablir à travers le monde diverses démocraties, ne sont pas forcément eux-mêmes des pièces secondaires.

«  Les invités sourirent et approuvèrent, mais il était évident qu’ils sen fichaient, se trouvaient même vaguement gênés de voir Khan se mêler de poésie et de livres, tares anciennes d’un monde mort.  »

Réflexion sur la littérature, sur l’Histoire, sur l’innocence, sur le pouvoir, sur les conflits intérieurs des grands de ce monde, le roman, tout d’abord intimiste, élargit progressivement son éventail de thématiques. Filiation, paternité, possibilités et obligations d’un monde humain qui peu à peu se meurt pour cause de stérilité, zones d’ombre omniprésentes, mensonges des uns et des autres, qu’ils soient hommes de confiance, médecins, politiciens ou confidents, et enfin manipulations et obsessions diverses, dont celle de Khan lui-même pour un ennemi de la démocratie qu’il doit à toute force abattre avant sa propre fin, viennent nourrir et enrichir le roman qui peu à peu prend les allures complexes d’un récit policier. Sans compter le rôle, que l’on a bien du mal à deviner, de Lilith, étrange personnage féminin, mutilé mais porteur de prothèses mécaniques, force contraire mais bénéficiant d’étranges complicités, qui n’est pas sans apparaître comme une figuration à la fois des parentés incomplètes, inabouties qui dans cette histoire apparaissent récurrentes, et de ce monde lacunaire, dévasté, lui aussi amputé, renaissant tant bien que mal sans trouver son réel aboutissement.

«  Je suis ici pour détruire le bastion de la démocratie, je suis le carnage et le blasphème.  »

C’est avec une plume, une voix toute particulière – le lecteur ne se découragera pas devant la surabondance d’adjectifs et d’images des toutes premières pages, la prose devenant ensuite plus maîtrisée – que Christian Chavassieux déroule son histoire. Il le fait de manière feutrée tout d’abord, avec une richesse de langage et des ambiances qui ne sont pas sans évoquer des classiques comme « Le Rivage des Syrtes » de Julien Gracq et les non moins fameux « Eumeswil » et « Héliopolis » de Jünger. Puis, à mesure que l’intrigue devient plus complexe, plus tendue, et que les personnages et groupes d’influence basculent dans le conflit ouvert, il poursuit avec une imagerie plus moderne – armes high-tech surprenantes, drones et action résolument spectaculaire.

«  La vitesse est l’ennemie du verbe. Le verbe, c’est le temps. On doit prendre le temps de dire, et de dire tout.  »

Certains lecteurs, goûtant le ton intimiste et le tempo mesuré de « Mausolées », pourront regretter la surenchère d’action et l’accumulation de révélations et de coups de théâtre qui dans la dernière partie viennent accroître subitement le rythme et faire basculer le roman dans un registre de thriller auquel ses thématiques et sa tonalité particulières auraient pu lui permettre d’échapper. Mais, en revenant sur un propos plus philosophique avec l’émouvant destin réservé au héros dans les toutes dernières pages, Christian Chavassieux vient contrebalancer l’effet et l’allure sans doute un peu trop cinématographiques de ces derniers chapitres et offrir au roman une fin mémorable.

Par tous ces aspects, le roman de Christian Chavassieux mérite assurément la lecture. Une réussite manifeste pour un auteur à la prose exigeante, et une belle publication pour les éditions Mnémos qui avec « Mausolées » ont le courage de sortir des sentiers battus pour proposer au lecteur un de ces romans qui ne s’oublient pas sitôt la dernière page tournée, et qui, tête haute – ils ne sont pas si nombreux – sont capables de venir s’inscrire à la fois dans le registre de la littérature dite de genre et dans celui de la littérature générale.


Titre : Mausolées
Auteur : Christian Chavassieux
Couverture : Akalikoushin
Éditeur : Mnémos
Collection : Dédales
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 326
Format (en cm) :15 x 21 x 2,7
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 9782354081614
Prix : 20 €



Hilaire Alrune
31 mars 2014


JPEG - 21.4 ko



Chargement...
WebAnalytics