Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Fantômes - Histoires troubles
Joe Hill
J’ai Lu, n°10447, traduit de l’anglais (États-unis), fantastique, 413 pages, décembre 2013, 8€

Quinze nouvelles, plus une petite histoire de machine à écrire hantée dans les remerciements. Quinze histoires troubles qui méritent d’être lues.



Du réaliste au bord de l’inquiétude

Il est toujours délicat de mêler les amateurs du genre à leur propre production. C’est à ce pari difficile que s’attaque Joe Hill dès la première nouvelle, “Dernier cri”, où un anthologiste de nouvelles fantastiques se retrouve dans une réalité plus sinistre encore que celle enfermée dans les volumes dont il a la charge. Et pourtant, Joe Hill s’en sort avec les honneurs grâce à un glissement cauchemardesque particulièrement convaincant. On regrette que la nouvelle soit gâchée par deux détails : un contresens géographique, la localisation du massacre de Jim Jones à Jonestown en Guyane française (témoignant soit de l’ignorance obstinée des Américains pour tout ce qui est hors de leurs frontières, soit d’une erreur de traduction de « Guyana », l’ancienne Guyane britannique, en « Guyane française »), et une coquille comique, « pris d’un poing de côté », qui hélas vient gâcher une fin dramatique.

Autres récits sans ressort véritablement fantastique mais jamais très éloignés du genre, “Dans la souricière” où un loser qui vient d’être mis à la porte par son employeur se trouve mêlé de manière abominable à un crime, “Mieux qu’à la maison”, une nouvelle en définitive consacrée au souvenir, “Un petit déjeuner” qui voit un de ces vagabonds du rail que l’on nomme les hobos confronté au jeu morbide de petites filles, et enfin “Bobby Conroy revient d’entre les morts”, qui met en scène des figurants dans un film de zombies trouvant un pur moment de grâce et de bonheur – une très belle nouvelle qui n’est pas sans évoquer les réussites de Ray Bradbury.

Des frontières troubles, du fantastique impur

Des récits à la frontière, donc, entre polar et littérature générale d’une part, fantastique de l’autre. Mais aussi des récits très étranges comme “Stridulations”, dont le narrateur se réveille en cours de transformation en sauterelle géante, que pour notre part nous aurions tendance à considérer comme un “Cafard” de Franz Kafka revu façon pulp, “Pop art”, très beau récit, lui aussi un peu kafkaïen, où Joe Hill parvient à faire passer pour réelle – l’exploit n’est pas mince – l’existence d’un enfant fait de plastique gonflable, “Fils d’Abraham”, épouvantable histoire, à la fois sarcastique et morbide, héritée non pas de l’univers biblique mais de celui d’un certain Bram Stoker, “Le Téléphone noir”, qui oscille en permanence, et avec élégance, entre récit noir et récit fantastique, “La cape”, sorte de réécriture, mais avec un ultime glissement sinistre, de la très belle nouvelle de Stephen Millhauser intitulée “Tapis volants” (dans le recueil « Le Lanceur de couteaux »), “Escamotage”, où le frère d’un enfant atteint d’une maladie mentale capable de construire d’étonnants labyrinthes de carton est confronté à des évènements impossibles (nouvelle dans laquelle l’on trouve également des éléments évoquant l’univers de Stephen Millhauser).

Fantastique trouble une fois encore avec “Dernier souffle”, qui met en scène la visite par une petite famille d’un musée des derniers soupirs, une nouvelle mémorable qui fera immanquablement penser le lecteur français à “L’Appareil pour l’analyse chimique du dernier soupir” d’Auguste Villiers de l’Isle-Adam, avec en fin de récit un soupçon d’humour sardonique, macabre à la manière d’Ambrose Bierce. Une pépite dans le genre.

On serait, avec ces récits, déjà amplement satisfait. Mais, avec “Le masque de papa”, nous découvrons une des nouvelles les plus fortes du volume : un glissement trouble du monde du jeu vers celui d’une autre réalité, ou d’une autre fiction, qui n’est pas seulement un jeu et qui fait penser, mais en plus fort encore, au récit “Le Chapeau du spécialiste” ou à “Magie pour débutants” de Kelly Link. Une frontière trouble entre le monde de l’enfance et un autre monde des adultes, ou un monde adulte qui contiendrait encore une part de magie. Une réussite parfaite dans l’allusif, une nouvelle qui répond parfaitement au qualificatif « d’histoire trouble » adopté pour ce recueil, et qui, avec une remarquable économie de moyens, génère un malaise infiniment supérieur à bien des récits explicites.

Le cinéma a déjà inspiré bien des belles plumes des littératures de l’imaginaire, on pense notamment à Jack Finney ou à Ray Bradbury, noms prestigieux auxquels il faudra désormais ajouter celui de Joe Hill. Car, avec “La Belle au ciné hantant”, l’auteur livre une nouvelle quasiment parfaite, qui malgré des références contemporaines (dont un avatar de Steven Spielberg) fleure bon l’intemporel. Une nouvelle à la fois terrifiante et poétique qui, en se terminant sur une image clef de tout ce que fut et est encore le cinéma, apparaît magnifiquement aboutie.

Un recueil à découvrir

Il y a chez Joe Hill une volonté de coller à la réalité de l’Amérique profonde – les enfances, les joueurs de base-ball, la vie des hobos, des petits employés, des individus normaux, voire des losers. Ce souci des individus et des situations vraisemblables, ce soin apporté aux petits détails qui font vrai génère un réalisme prégnant qui rend plus crédible l’horreur, et plus efficace cette rupture avec le réel qui est l’un des ressorts bien connus du fantastique.

Un réalisme dont on n’aura aucun mal à reconnaître l’hérédité, Joe Hill n’étant autre que le fils d’un certain écrivain de Bangor (Maine), auteur, pour en rester aux nouvelles, de recueils comme « Brume » ou « Danse macabre ». Une paternité que même sans la connaître l’on n’aurait sans doute pas manqué d’évoquer, tout au moins sur le plan littéraire, même s’il est un peu facile de l’affirmer après coup.

Disons-le sans ambages : cette paternité, sans aucun doute lourde à porter, est plus, et mieux, qu’assumée. Car les nouvelles de Joe Hill ne souffrent ni des excès de longueur ni de cette psychologie envahissante que l’on retrouve dans certains textes paternels, et bénéficient en sus, tout au moins pour certains d’entre eux, de cette petite note de poésie et de ce caractère intemporel qui font les grands textes. Il semble que Joe Hill ne se soit pas contenté de phagocyter l’héritage paternel et qu’en intégrant des sensibilités plus classiques il soit parvenu à créer un ton particulier empruntant aux qualités des uns et des autres. Ce n’est pas mince. Et c’est très exactement ce que l’on appelle une excellente surprise.


Titre : Fantômes (20th century ghosts, 2005)
Auteur : Joe Hill
Traduction de l’anglais (États-unis) : Valérie Rosier
Couverture : HD Connelly / Archange images
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Jean-Claude Lattès, 2010)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 10447
Pages : 413
Format (en cm) :11 x 17,9 x 2,1
Dépôt légal : décembre 2013
ISBN : 978-2-290-05739-1
Prix : 8 €


Le père de Joe Hill sur la Yozone


Hilaire Alrune
18 février 2014


JPEG - 13.9 ko



Chargement...
WebAnalytics