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Francis Berthelot et le « Serpent à Collerette »
Au coeur des Forêts secrètes de l’auteur du « Serpent à collerette » (Prix Masterton 2003).


Phénix Mag vous connaît bien, ne fut-ce que par le Prix Masterton que vous avez cueilli des mains du Maître à la Foire du Livre de Bruxelles en 2003, pour « Le Serpent à collerette ». Voici à présent la parution d’un recueil s’ouvrant précisément par cette nouvelle. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette aventure ?

Elle s’est faite sous l’impulsion simultanée de Richard Comballot et d’Olivier Girard. Le premier m’avait commandé des nouvelles pour plusieurs anthologies, en particulier Les Ombres de Peter Pan (Mnémos, mai 2004) et Les Miroirs d’Alice (Mnémos, novembre 2004). Le second souhaitait rééditer « Le Serpent à collerette » au Bélial’, dans un recueil qui rassemblerait des nouvelles déjà parues et quelques inédits. Comme je voulais donner au Serpent à collerette - conte sur le viol et l’inceste - un pendant évoquant le thème de la différence et de l’intolérance, j’ai profité de l’occasion pour écrire Le Cœur à trois temps. L’ensemble a donc vu le jour naturellement et, les fées veillant au grain, Joëlle Wintrebert a eu la gentillesse de l’embellir d’une préface.

Avant toutes choses : il y a beaucoup de figures d’enfants dans Forêts secrètes : pourquoi ?

Des enfants, il y en a dans la plupart de mes textes - romans ou nouvelles. Pour connaître mes personnages, j’aime bien les imaginer quand ils sont petits et les voir grandir en fonction de ce qu’ils ont vécu alors. De plus, Forêts secrètes se situe fréquemment dans l’univers du conte, qui constitue un des lieux où l’inconscient, pour s’exprimer, utilise les images de l’enfance. Même lorsqu’il s’agit de contes pour adultes, on reste proche de cette zone mystérieuse et il est logique d’y faire intervenir des héros en herbe.

Deux nouvelles, les extrêmes, se réfèrent au pays des Forêts Secrètes. Quel est ce pays, et pourquoi se fait-il rare ?

Ces deux textes sont des contes plutôt que des nouvelles. Et le pays des Forêts secrètes, c’est mon “Il était une fois” à moi. Je l’ai introduit dans la première phrase de La Maison brisée. L’étude psychanalytique des contes de fées montre que la forêt symbolise les profondeurs de l’inconscient, et le petit Pierre-Plume, justement, y trouve la réponse à la question insoluble qu’il se pose (le divorce de ses parents). Par la suite, chaque fois que j’ai écrit un conte, je me suis placé sous la protection de ces futaies. Le Serpent à collerette et Le Cœur à trois temps étaient au départ destinés aux enfants. Mais la frilosité des éditeurs pour la jeunesse m’a finalement conduit à les adresser aux adultes. Malgré cela, je ne crois pas que le pays des Forêts Secrètes se fasse rare - pas plus que ne le doivent les choses précieuses. Chacun porte le sien en lui et peut en retrouver le chemin s’il le désire.

Par deux fois, vous êtes très humoristique. Je pense aux récits centrés sur Alice et sur Peter Pan. Et, dans ce dernier, vous êtes même un rien cynique. Serait-ce votre côté ‘conte philosophique’ à la Voltaire ?

Si vous voulez ; encore qu’il y a plus de morale chez Voltaire que chez moi ! Mon ami Marc Petit m’a dit un jour que mon univers, c’était “Alice au pays du marquis de Sade”. Quand Richard Comballot m’a demandé une nouvelle sur Alice, j’ai décidé de prendre cette formule au pied de la lettre, et d’envoyer la demoiselle chez le bon marquis. Juxtaposer ces deux univers - en intégrant le style de Lewis Carroll et celui de Sade - était un pari très drôle : je ne me suis jamais autant amusé à écrire un texte. Quant à Peter Paon et Crochette, je les ai imaginés en poussant au paroxysme les défauts des héros de J. M. Barrie : la vanité pour l’un, la jalousie pour l’autre. Que cela soit cynique n’est pas pour me déplaire. Face à un monde absurde, le cynisme est un moyen de survie comme un autre.
Tiens, à propos : j’ai une vraie fausse histoire à vous raconter.
Mes grands-parents, qui appartenaient à la haute aristocratie, utilisaient lors des repas une sonnette de table pour appeler les domestiques. C’était une figurine de bronze représentant une élégante du second empire : sa crinoline, qui dissimulait non des jambes mais un battant, formait cloche et tintait délicieusement quand on l’agitait.
Un soir que J. M. Barrie était venu dîner au manoir (je devais avoir six ou sept ans), il a vu ma grand-mère utiliser cet objet insolite et s’est exclamé :
« My God, what is that ? »
Et j’ai répondu :
« My Lord, it is la Fée Clochette. »
Quelques temps après, quand il m’a envoyé un exemplaire de Peter Pan, fraîchement sorti de chez l’imprimeur, j’ai été ravi de voir comment il avait immortalisé cette créature - que notre personnel, au demeurant, ha-ïs-sait.

Si vous réussissez à être drôle, vous êtes parfois aussi grinçant, dans La Gantière et dans Rire de verre. J’ai écrit que, pour vous, Mal et Beauté pouvaient coexister. Etes-vous d’accord ?

Sauf erreur, c’est le fondement même de la tragédie. Mais pour peu qu’on y ajoute un zest d’humour, on bascule dans le grinçant. Demandez à Sade, Baudelaire et Lautréamont ce qu’ils en pensent ! Le Mal exerce sur nous une fascination certaine, et les tensions qu’il crée sont un ingrédient indispensable à la tension dramatique. Il est donc à la fois objet de la réflexion et moteur du récit. Qu’il en résulte une forme de beauté est logique. Néanmoins, le problème moral qu’il comporte oblige l’auteur à se positionner par rapport à lui. Prendre le point de vue de la victime ou de ceux qui la secourent est la solution la plus simple. Adopter celui du bourreau implique une forme de cynisme, et ne peut s’accomplir de manière acceptable pour le lecteur que par le biais d’une distanciation : ironie, hyperbole, caricature, etc.

« Le Serpent à collerette » et « Le Cœur à trois temps » sont deux longs et beaux textes, centrés sur la souffrance. Celle-ci est-elle rédemptrice, à vos yeux ? (aucune allusion à ‘La Passion’ de Mel Gibson).

Je ne sais pas si c’est la souffrance en elle-même qui est rédemptrice. Mais il est certain que nombre de mes personnages - surtout ceux qui oscillent entre le bien et le mal - cherchent une rédemption. Et que pour l’atteindre, ils doivent souffrir un minimum : sinon, ce ne serait pas drôle. Je ne suis pas très prodigue en happy ends, mais je ne veux pas non plus que mes lecteurs se jettent dans la Seine. Dans les deux cas que vous évoquez, je termine sur une note d’espoir ; relative, certes, mais quand même. « La douleur est instructive » dit Silverberg dans Un Jeu Cruel. J’ai tendance à écrire des récits initiatiques, où le héros, avant de se trouver lui-même, commence soit par en baver, soit par se conduire très mal, soit les deux. L’un et l’autre l’aident à se perfectionner.

« Mérélune » est un chef-d’œuvre, admirablement écrit. J’ai fort pensé aux symbolistes, à Maeterlinck en particulier et à sa pièce ‘Pelléas et Mélisande’. Ai-je raison ?

« Mérélune » a été créé à partir de deux nouvelles que j’avais écrites au début des années 70. A aucun moment, je n’ai pensé à Maeterlinck, mais la référence me plait bien. Il est de bon ton de le juger précieux, artificiel et démodé. Pour ma part, j’aime beaucoup son théâtre, jusque dans ses défauts. Il y règne une poésie douloureuse, intemporelle, empreinte d’une sourde cruauté, qui s’exprime aussi bien dans les situations que dans la langue. Outre Pelléas, j’ai une affection particulière pour Ariane et Barbe-Bleue, d’où Dukas a tiré un superbe opéra. Il est très possible que son univers m’ait inconsciemment marqué.
La musique est centrale dans Le cœur à trois temps. Et je lis, sur votre site, que vous aimez Serge Prokofiev. Parlez-nous de votre affection pour la musique, de celle que vous aimez, de Prokofiev, et l’influence de la musique sur vos écrits.
Pour moi, la musique est une drogue, mais je n’envisage pas de m’en désintoxiquer. En particulier la musique russe : de Glinka à Chostakovitch, en passant par Tchaïkovski, le Groupe des Cinq, Glazounov, Glière, Miaskovski, Khatchaturian... Et Prokofiev, bien entendu, qui est depuis toujours mon préféré. Ce que j’aime chez lui, outre son extrême richesse mélodique, c’est le fait qu’il intègre trois dimensions - le lyrisme, l’humour et la violence - dans des structures parfaitement rigoureuses. Je trouve là autant d’échos à mes propres tendances, dans ce qu’elles ont à la fois de fort et de contradictoire. Il est certain que baigner dans ce type de musique ne peut que conditionner ce que j’écris, aussi bien au niveau de la tension dramatique qu’en termes d’atmosphère, de contrastes, d’images, et bien sûr de musicalité.

L’austère essayiste de « La Métamorphose généralisée » se révèle ici un conteur charmant, poétique, farceur, amusé, ou profondément humaniste. S’agirait-il d’une détente de la métamorphose ?

Humaniste, je l’étais déjà - bien que foncièrement misanthrope ! Poète aussi, je crois, si l’on peut employer ce mot sans paraître prétentieux. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la dimension facétieuse qui apparaît dans des textes comme Peter Paon ou La Nouvelle Alice. Je ne l’avais jamais explorée de façon aussi libre. Mon penchant naturel, c’est le mélo, dont je tempère en général les excès avec un zest d’ironie. Là, je suis allé plus loin, et j’avoue que ça m’a beaucoup plu. Une nouvelle métamorphose, oui, sans doute. Ecrire des nouvelles a ceci d’agréable qu’on peut y découvrir des voies insoupçonnées.

Eternelle question finale, au tournant : quels sont vos projets ?

Côté théorie, je termine un essai-guide sur les transfictions - la zone frontalière entre le mainstream et les littératures de l’imaginaire - qui doit paraître en automne 2005 en Folio SF (Bibliothèque de l’Entre-Mondes). Côté fiction, je poursuis mon cycle « Le Rêve du Démiurge » dont Nuit de colère est le cinquième volume. Le sixième, Hadès Palace, devrait sortir l’année prochaine. Le septième, Le Petit cabaret des morts, est en cours d’écriture. Le huitième et le neuvième sont en gestation...

Sites internet :
- Francis Berthelot
- Mnémos
- Le Bélial’

Propos recueillis en novembre 2004 pour Phenix-mag


Bruno Peeters
15 novembre 2005


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« Forêts secrètes » (éd. Le Bélial’)



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Les ombres de Peter Pan (anthologie chez Mnémos)



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Mission ALice, une autre anthologie préparée par Richard Comballot pour les éditions Mnémos.



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Nuit de colère, un roman chez Flammarion.



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Hadès Palace au Bélial’.



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Quand Berthelot se fait essayiste.



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Pour tout savoir sur les transfictions (folio SF, oct. 2005)



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