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172 Heures Sur La Lune
Johan Harstad
Albin Michel, Wiz, traduit du norvégien (Norvège), Science-Fiction, 477 pages, mars 2013, 19,50€.

Dans l’espoir de relancer l’intérêt du grand public pour la conquête spatiale, la NASA décide d’envoyer, encadrés par une équipe chevronnée, trois adolescents dans l’espace. Mais entre secret-défense et non-dits, le séjour ne se passera vraiment pas comme prévu.
Quant au retour, il pourrait bien réserver quelques surprises...



Nominé pour le prix Jeunesse des Utopiales 2013 (remporté par « Nox, Ici-bas » d’Yves Grevet), « 172 Heures sur la Lune » est loin d’être exempt de défaut. A commencer par la lenteur de mise en route du récit.

Dès le départ, Johan Harstad vous fait bien comprendre qu’il y a un truc absolument abominable qui attend juste de bouffer des humains tout cru sur la Lune, et pourtant, page 200 (sur un total de 477), nos chers humains ont toujours leurs deux pieds fermement ancrés au sol terrien. C’est long. Arrivé page 280, nos amis ont certes décollé, mais l’histoire, elle, toujours pas.

Par ailleurs, si certains choix scénaristiques sont compréhensibles au vu de la cible visée, ils n’en créent pas moins des incohérences.
Le fait d’envoyer des adolescents est logique lorsque le lectorat visé est adolescent, mais demander à n’importe quel individu d’ingurgiter en quelques semaines (environ 5 mois) la masse de connaissance nécessaire et d’acquérir la forme physique compatible avec un voyage dans l’espace me semble aberrant. Astronaute reste un métier à part entière et éprouvant, pas un objectif de vacances. Et ce même si le pourquoi du comment est bien expliqué dans le récit.

Que les adolescents viennent du monde entier se comprend également, on ne peut pas toujours rester dans le mode « américains sauveurs du monde », surtout quand l’auteur n’est pas un américain. La preuve : Johan Harstad est norvégien et l’un des heureux candidats pour la Lune est… norvégien ! Sauf que connaissant la qualité de certains systèmes d’éducation (dont la France d’ailleurs) quelle est la probabilité de tomber sur trois adolescents (âgés de 14 à 18 ans) parlant suffisamment bien anglais pour qu’en l’espace de quelques semaines, encore une fois, ils apprennent tout ce qu’ils ont à assimiler et qu’en plus, ils soient parfaitement capables de TOUT comprendre (leur vie en dépend tout de même, non ?) Et ce dès le premier jour.
Car à part une petite allusion page 201 sur l’accent du petit français, rien sur les problèmes de compréhension. Il y a aussi de petites incohérences temporelles : ainsi pages 220 et 221, il reste 122 minutes avant la séparation du module lunaire… Une heure plus tard il reste deux minutes…sic.

Mais ceci reste des réflexions arrivant au cours de la lecture. Maintenant que celle-ci est terminée, l’intérêt même de la mission spatiale et donc du récit se pose. Il est flagrant que les hauts-fonctionnaires qui ont décidé du voyage lunaire savaient ce qu’il se passait sur la Lune, pourquoi y envoyer des ados ?
Et sur les cinq astronautes envoyés, seul un sait réellement où il a mis les pieds, ce qui ne semble pas non plus très logique, sur ce type de mission on met tout le monde au courant, non ?
Sauf les ados, à la rigueur.

Voici pour l’histoire, je développerais certains points dans une partie « attention : spoiler » que je vous laisse libre de lire ou pas.

Venons-en au style proprement dit.
Il est flagrant que Johan Harstad a tenté de reproduire la mise en scène du film d’ambiance, où le spectateur imagine plus qu’il ne voit le danger, le monstre ou le tueur en série. Cette figure de style doit permettre au spectateur de monter en pression et laisse l’imagination créer une peur bien plus grande qu’elle ne l’aurait été si la créature était plus présente à l’écran.
Le problème de cet exercice en littérature consiste en ce que l’imagination du lecteur fait déjà une grande partie du travail et qu’en lui fournissant si peu de matière, le récit a vite tendance à s’alourdir et se traîner.
C’est ce qui se passe avec « 172h ».

L’exemple le plus flagrant est le retraité que l’on retrouve à plusieurs reprises. Vieil homme coincé dans son cerveau et dans sa maison de retraite, ancien concierge au centre de communication spatial, il entre en panique à chaque reportage sur l’expédition lunaire.
Dès la première intervention, le lecteur a très bien compris que ce vieux monsieur sait ce qu’il se passe là-haut (comment il le sait reste une autre histoire), l’auteur a-t-il vraiment besoin de ralentir encore plus l’histoire en allant le voir à 3 ou 4 reprises, toujours pour les mêmes crises d’hystérie qui ne fournissent d’ailleurs aucune information supplémentaire ?

De la même manière, Johan Harstad tire la ficelle facile de l’unique personnage comprenant ce qui se passe auquel les protagonistes restants vont soutirer des informations avant d’essayer de sauver leur vie. Le problème ici, c’est que l’explication n’en est pas une. Et sans parler de la fin qui, après quelques secondes de réflexion, apparaît totalement incohérente.

C’est à se demander au final si, dès le départ, Johan Harstad n’avait pas un problème avec son intrigue. Il choisit alors de limiter la phase lunaire au maximum, ce qui donne exactement ce que le lecteur obtient avec « 172h » : un livre qui démarre lentement, avec une intrigue vague et un final alambiqué.
Si, un point positif : il y a quelques photos (montages ?) fort sympathiques.

Attention : spoiler.

La totalité de l’intrigue repose sur le mythe du Doppelgänger, ce qui est particulièrement intéressant et original. De l’or en barre si on sait le manier.
A priori, Johan Harstad pourrait faire illusion, mais l’explication du Doppelgänger se fait en dix pages à moins de cent pages de la fin et repose essentiellement sur la présentation du cas d’Émilie Sagée, une histoire que l’on peut trouver en deux minutes sur internet en tapant Doppelgänger.
Par ailleurs, Johan Harstad propose la plupart des théories sur les doubles mais n’adhère à aucune quant à leur présence sur la Lune sauf en assurant que ce ne sont pas des extraterrestres. Agressifs, ils provoquent des accidents et tuent directement et indirectement. Aucune idée de leur nombre, mais ils sont insensibles aux blessures et aux conditions extérieures, ils sont aussi capables de se faufiler par les grilles d’aération, mais présentent une consistance physique.

En parlant des morts, les deux premières sont un peu étranges. Coincés, presque à bout d’oxygène, les deux astronautes ouvrent leurs casques. Psychologiquement peu combatifs pour des individus formés à survivre en dehors de leur planète, un autre se gave de médicaments.

Quant au final, l’une des adolescentes réussit à atteindre la capsule d’évacuation en claquant l’écoutille au nez de l’un des doubles (ou du double ?) et arrive sur Terre, tout le monde est persuadé qu’elle est saine et sauve. Sauf que finalement, il s’avère qu’elle est aussi un double. A quoi rime alors toute la scène où elle fuit le Doppelgänger alors qu’il y a trois places dans la capsule ? Et à la toute fin du récit, il s’avère que le corps de l’ado en question se trouve à 180m du sas de la base lunaire...

Je dirais bien quelque chose, mais cela risque d’être peu courtois.


Titre : 172 Heures sur la Lune (DARLAH – 172 Timer På Månen, 2008)
Auteur : Johan Harstad
Traduction du norvégien (Norvège) : Jean-Baptiste Coursaud
Couverture : Laurent Besson
Éditeur : Albin Michel
Collection : wiz
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 477
Format (en cm) : 14,5 x 21,5 x 3,1
Dépôt légal : mars 2013
ISBN : 978-2-226-24738-4
Prix : 19,50 €



Emmanuelle Mounier
22 novembre 2013


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