La précision des traits et le foisonnement des détails constituent la marque de fabrique de Jean-Yves Delitte. Cet album ne déroge pas à la règle. Quelle beauté ! Presque de l’orfèvrerie. Le niveau de détail est tel que l’on se surprend parfois à stopper sa lecture pour contempler une case, surtout quand celle-ci couvre une grande partie de la page. Sur certains aspects, les illustrations de cet album sont même supérieures à celles des volumes précédents. Tout d’abord, les décors demeurent magnifiques et le travail sur les cordages des navires reste impressionnant. Le niveau de réalisme des bateaux est exemplaire. Les visages, pourtant nombreux, sont variés et facilement reconnaissables. Le cadrage est dynamique et bien pensé.
Les couleurs sont toujours aussi immersives. Les teintes des nuages et les reflets de la mer, par exemple, sont fins et subtils. On apprécie toujours autant les pages noires supportant les scènes de nuit. Les très rares lacunes des précédents opus sont également corrigées. Ceux qui trouvaient la palette d’expressions des personnages assez peu variée seront comblés, les esquisses des bouches ayant été particulièrement travaillées sur cet album. Les traits des visages sont fins et crédibles. Les plus tatillons s’étonneront éventuellement de ne jamais voir les dents des personnages lorsqu’ils ouvrent la bouche. Un détail. Une attention particulière a été apportée aux ombres projetées sur les personnages et les décors. Il faut dire que les croisillons des fenêtres islamiques, appelés « moucharabieh » par les experts, se prêtent à ce genre d’exercice graphique.
Le scénario est également de meilleure faction que le troisième tome. Oubliez les histoires improbables de fontaine de jouvence en plein désert ! Retour aux aventures de pirates. Aux vraies. Ce quatrième opus introduit ainsi un nouveau cycle des péripéties de Black Crow. Bien que les précédentes aventures soient ponctuellement rappelées, il n’est aucunement nécessaire de les avoir lues pour comprendre cette intrigue.
La première planche de cet album donne le ton : Samuel Prescott, alias Black Crow, découvre son équipage pendu dans une prison sordide. Un long flash-back va alors expliquer les raisons de cette macabre révélation. Tout commence trois semaines plus tôt, au large des côtes africaines, à quelques miles nautiques au Nord du tropique du Cancer. Les quelques rescapés de l’aventure gréco-africaine pensent leurs plaies et noient leurs chagrins à bord du Revenge. Cette poignée d’hommes, menée par un Black Crow encore en colère de ne pas avoir pu sauver le frère de sa défunte femme, vogue vers un avenir plus serein. C’est du moins ce qu’ils espèrent. Mais la rencontre d’un navire marchand assailli par des bateaux barbaresques, des pirates musulmans, va chambouler leurs plans. Décidant de venir en aide aux victimes, la corvette fonce sur les pirates et les fait fuir. Or, à bord du navire marchand se trouve l’héritier du Sultan Mohamed II. Pour remercier ses sauveurs, le Prince invite l’équipage du Revenge à Port Saïd, au débouché de l’actuel canal de Suez dans la mer Méditerranée. Et si le but de l’attaque par les barbaresques n’était pas l’appât du gain mais une volonté de tuer le prince héritier… La situation stratégique de Port Saïd intéresse à la fois les français et les anglais. Tous sont prêts aux pires stratagèmes pour prendre le contrôle de ce port, y compris faire croire qu’un corsaire amérindien a assassiné le fils du sultan, opposé à une présence étrangère…
On entre facilement et on se laisse vite porter par cette histoire assez classique. Les personnages et les situations sont crédibles, Jean-Yves Delitte se laissant le temps d’installer son intrigue. Cependant, il manque encore quelques ingrédients pour pleinement apprécier le récit. L’omniprésence du texte peut gêner certains. Des bulles, des bulles et des bulles… Au moins, les plus critiques ne pourront pas dire que cette BD se lit trop vite ! D’un côté, je trouve pertinent que l’auteur décrive l’univers maritime du XVIIIème siècle et profite des dialogues entre les personnages pour développer leurs traits de caractères. De l’autre, je ne comprends pas pourquoi Black Crow, un solitaire, verbalise par de longues phrases ses moindres faits et gestes. Ça ne me parait cohérent avec l’état d’esprit du héros. Du coup, les plus paresseux auront tendance à survoler certaines cases, sans lire le texte. Et il faut avouer qu’ils n’auront pas totalement tort, tant certaines de ces bulles freinent le dynamisme général de l’intrigue. Pire, ces bulles dispensables masquent en partie les dessins. Blasphème !
L’introduction d’une belle aventure donc, une intrigue classique magnifiquement mise en images. Cette pure fiction s’offre même le luxe de faire référence à quelques détails historiques, comme la présence du bailli de Suffren, surnommé « l’amiral Satan » par les anglais, et expliquant le titre de ce quatrième opus.
Pour le moment, il n’est pas prévu de date de sortie pour le prochain volume. Cet album verra Black Crow se venger de la mort de ses compagnons. Un futur épisode plein d’actions sans doute.
(T4) La Conspiration de Satan :
Série : Black Crow
Scénario : Jean-Yves Delitte
Dessin et couleurs : Jean-Yves Delitte
Éditeur : Glénat
Collection : Grafica
Dépôt légal : 6 février 2013
Format : 240 x 320 mm
Pagination : 48 pages couleur
ISBN : 978-2-7234-9038-2
Prix Public : 13,90 €
A lire sur la Yozone :
Black Crow : piraterie et autres aventures
Black Crow (T2) Le Trésor Maudit
Black Crow (T3) L’Arbre aux Hollandais
Illustrations © Delitte et Glénat (2013)
