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Héritage de saint Leibowitz (L’)
Walter M. Miller Jr.
Folio, collection SF, n°455, traduit de l’anglais (États-unis), science-fiction, 708 pages, juin 2013, 10,50€

Plusieurs décennies après le succès public et critique de son premier roman « Un Cantique pour Leibowitz », fable post-apocalyptique souvent considérée comme un des classiques de la science-fiction, ’Walter M. Miller} revient sur son univers futur, plus exactement sur celui de la partie centrale de son roman, qu’il détaille sur plus de sept cents pages. Pas une suite ni une introduction, donc, mais plutôt, à travers la vie et le destin d’un individu, un récit annexe qui reprend certains des thèmes philosophiques déjà abordés par l’auteur.



Au quatrième siècle du quatrième millénaire, l’humanité survit tant bien que mal après une apocalypse nucléaire survenue au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. Science et savoir, responsables de l’apocalypse, sont désormais honnis. Mais un scientifique secondairement canonisé par l’Église, qui, elle, a très bien survécu à la fin du monde, a laissé derrière lui des documents, les Mémorabilia, conservés par un ordre religieux. À partir de ces documents protégés par l’Église, l’humanité pourra renaître de ses cendres : une renaissance au moins sur le plan scientifique.

C’est à cette époque et dans ce contexte que se déroule cet épais roman, consacré à la vie de frère Dent Noire, moine de l’abbaye de saint Leibowitz. Une existence qui touche aussi à la quête initiatique, et à travers laquelle frère Dent Noire exprimera maintes fois ses doutes, cherchera des certitudes, se demandera quelle est sa voie. Une existence marquée par les affrontements entre Empire Texark, Église, et peuples nomades. Et c’est là que le bât commence à blesser : avec l’introduction de personnages caricaturaux (comme le tueur professionnel), avec des longues digressions sur les peuples et coutumes, avec les shamans, avec les intrigues et complots, avec les aspects médiévisants, on a l’impression d’être passé d’une fable aux accents intemporels à un épais pavé de fantasy.

On retrouve certes des traits marquants, comme l’ironie désespérée propre à Walter Miller. Mais la critique, pour grinçante qu’elle soit, n’est plus vraiment subtile. La première chose que l’on réinvente sur les anciennes terres du Texas, après la redécouverte de la lampe à arc électrique, n’est rien d’autre que la chaise électrique - c’est gros. On se demande où faire passer le méridien de la référence, on évite l’ancien, car l’on confond Greenwich avec la sorcière verte (Green Witch). Le nouveau pape est nommé Amen Ier. Lorsque le personnage principal est contraint de donner sa bénédiction à un malade, il use de la méconnaissance du latin de ses ravisseurs pour au contraire le maudire. Une charge féroce ? Tout au plus, des astuces de potache. L’ouvrage n’est pas sans pâtir de telles facilités, qui, sans vouloir paraître excessivement critique, donnent l’impression que Miller a perdu la main.

Autres défauts – et si nous parlions un peu plus haut de fantasy, ce n’est pas un hasard – la surcharge et la longueur. Car si l’on peut concevoir que Walter M. Miller ait choisi pour ce roman de développer la toile de fond qui manquait à « Un Cantique pour Leibowitz », il manque dans ce nouvel opus un propos, une trame narrative, une véritable histoire. Si la quête de sens est bien à l’origine du parcours de frère Dent Noire, le lecteur, lui, peine à trouver celui de ce roman à travers digressions sans fin – mais pas toujours sans intérêt – et intrigues pas toujours passionnantes. Mais pouvait-il en être autrement ? Qu’y avait-il à ajouter au propos désespéré déjà exprimé par l’auteur ?

On reste donc en définitive assez perplexe devant ce volume publié près de quatre décennies après le texte original et qui n’en constitue ni la suite ni le prologue – et encore moins un développement dans la mesure où l’idée phare du roman « Un cantique pour Leibowitz » n’appelait, par essence, pas de véritable développement. On pourrait à la limite écrire qu’il vient faire complément à la partie centrale d’ « Un Cantique pour Leibowitz » en lui donnant la toile de fond qui lui manquait – si ce n’est que l’élusion de cette toile de fond, son caractère vague, lâche, imprécis, constituait manifestement un choix délibéré qui apparaît à posteriori, et peut-être paradoxalement, comme une des forces d’« Un Cantique pour Leibowitz », non totalement dénué de longueurs, mais néanmoins axé sur l’essentiel.

Il est permis de se demander si un agent ou un éditeur opportuniste n’a pas jugé, à la fin des années quatre-vingt dix, que le moment était venu de publier un ouvrage en panne depuis longtemps mais qui, avec sa tendance médiévisante, avec la caution de ses passages en latin, avec une partie de ses personnages stéréotypés, avec ses près de sept cent pages, venait peu ou prou coller à la marée montante d’une fantasy en train de devenir une véritable littérature industrielle. Double public, donc : les amateurs du « Cantique pour Leibowitz » d’une part, et la clientèle en expansion des énormes pavés d’un genre en plein essor. À coup sûr une bonne opération commerciale, mais – même si l’on n’est pas attaché aux définitions ni aux genres – pas forcément une bonne affaire pour la science-fiction, ni même pour la gloire de l’auteur.

On notera également, au registre des ambigüités que la postface de Terry Bisson, qui a achevé le roman en lieu et place de l’auteur, n’est pas strictement univoque. Après l’inévitable entame strictement promotionnelle, sans doute imposée contractuellement, Bisson explique que le contrat de ce volume, sept ans plus tôt, mentionnait « un nombre à six chiffres moyennement élevé », que l’identité de celui qui achèverait le roman importait peu à Miller, et qu’il s’agissait pour Terry Bisson, qui cherchait du travail, d’un retour au « negriarcat » : beaucoup d’éléments qui, pour peu que l’on lise entre les lignes, laissent entendre les principaux déterminants de l’affaire, et laissent en définitive assez perplexe.

Perplexité et réserves. Là est peut-être le drame de Walter M. Miller  : celui d’un auteur en proie à la dépression (il mit fin à ses jours avant la publication de « L’Héritage de saint Leibowitz »), engagé depuis des années dans l’écriture d’une œuvre ambitieuse mais percevant peut-être son caractère bancal, ses longueurs, son manque d’homogénéité, sans parvenir à résoudre ses défauts de structure. Sans parvenir, surtout, à retrouver cet état de grâce qui lui avait permis, quelques décennies plus tôt, d’écrire ce « Cantique pour Leibowitz » qui lui avait valu un succès à la fois public et critique. Pour autant, « L’Héritage de saint Leibowitz  » n’est pas dénué d’intérêt ; mais, au risque de nous répéter, il est surtout beaucoup, beaucoup trop long, et les sept cent pages de ce monde renaissant ne seront arpentées dans leur intégralité que par des lecteurs ayant empoigné leur bâton de pèlerin après avoir décidé, quoiqu’il arrive, d’aller jusqu’au bout.


Titre : L’héritage de saint Leibowitz (Saint Leibowitz and the wild horse woman, 1997)
Auteur : Walter M. Miller Jr. et Terry Bisson
Traduction de l’anglais (États-unis) : Jean-Daniel Brèque
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Folio (édition originale : Denoël,1998)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman(site éditeur)
Numéro : 455
Pages : 708
Format (en cm) : 11 x 17,8
Dépôt légal : juin 2013
ISBN : 978-2- 07-044929-3
Prix : 10,50 €



Walter M. Miller sur la yozone :

- La chronique de « Un cantique pour Leibowitz »


Hilaire Alrune
10 août 2013


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