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Almoha, tome 1 : La Muraille Interdite
Serge Brussolo
Milady, roman (France), fantasy post-apocalyptique, 441 pages, mai 2012, 8€

Sur Almoha, suite à un cataclysme écologique, malédiction lancée par un sorcier injustement déchu, l’hémisphère nord est recouvert d’un océan de boue, et la gravité écrasante.
Les hommes survivent dans cet environnement hostile, où les dangers sont nombreux : boue semi-solide recelant des pièges, lézards géants, brumes et nuages calcaires volant à basse altitude...
Nath revient chez lui après avoir vécu chez les sauvages Têtes-Molles. Paria, il cherche un refuge que tous lui refuse, avant d’accepter l’offre de la nouvelle sentinelle, fonctionnaire chargé de guetter les nuages tueurs du haut de la tour.



Serge Brussolo est né en 1951. Il écrit très tôt et sera publié dès 1978, avant de faire les beaux jours du Fleuve Noir Anticipation (grâce auquel il vivra même de sa plume !). Unanimement salué aujourd’hui pour une œuvre qui touche le fantastique, l’horreur, la science-fiction, le roman policier, historique, et même la littérature générale, il est un incontournable de l’imaginaire français. Son cycle d’Almoha, écrit entre 1973 et 1977, a été publié à différente reprises, de façon morcelée, en collections jeunesse ou adulte dans les années 1980 (et épuisé aujourd’hui). Je n’en avais lu que la version jeunesse « Les sentinelles d’Almoha », chez Fernand Nathan, 150 pages expurgées et miraculeusement exhumées dans une bibliothèque d’un petit village perdu.

Car à n’en pas douter, « La Muraille interdite », première moitié du cycle original d’Almoha, n’est pas calibrée jeunesse. Comme souvent chez Brussolo, l’univers est hostile, et les hommes aussi. Les faibles et les malades ne font pas de vieux os. Les femmes n’ont que deux choix, baisser la tête et tout accepter, ou tenter de jouer de leurs charmes pour acquérir une influence, quand bien même celle-ci serait précaire et soumise aux caprices du mâle dominant. Rien de nouveau dans la nature humaine.

Nath, le « héros », a donc tenté la vie en couple avec une femme Tête-Molle. Ces mutants humains souffrent moins de l’écrasante gravité, mais leur cerveau n’enregistre plus rien, les condamnant à une vie tribale peu civilisée. La tribu décimée par des lézards géants, prédateurs de la boue, Nath rentre chez lui, à bord d’un baleinier des nuages : plutôt que traquer des cétacés, le navire chasse les nuages de marbre qui, en dérivant, menacent les quelques îlots d’habitation qui surnagent. Il faut les aborder, chercher des failles, les fragmenter en morceaux moins dangereux.
Lorsqu’enfin il rentre en ville, il est rejeté par tous. Les rues ne sont pas sûres à cause des Rampants, une secte qui croit en la rédemption à condition que les hommes cessent de lutter contre l’écrasante gravité. Il finit par se faire embaucher dans la caverne-cimetière, où le croque-mort embaume les cadavres avant de les couler dans le goudron. Hélas, il en sera vite chassé. Sigrid, une fille qu’il a connue jadis et la seule à essayer de l’aider, lui parle du poste de vigie. Encore hélas, c’est un étranger qui vient de remporter le tirage au sort. Mais ce dernier lui propose de devenir son assistant.

Mais... mais mais, forcément il y a une entourloupe, l’homme n’est pas ce qu’il prétend être, ainsi que Sigrid et un ancien harponneur essaient de le faire comprendre à Nath. La première partie du roman s’achève de manière apocalyptique.

La ville détruite, nos trois survivants s’élancent sur l’océan de boue, en direction de la Grande muraille qui sépare les deux hémisphères. Les légendes prétendent que si le Nord est un enfer, le Sud est le Paradis.
La route sera laborieuse : leur bateau trop abimé, ils seront « recueillis » sur un nuage qui est en fait une base pirate : les forbans, ayant dompté le mal de la gravité grâce à leur alchimiste, rançonnent les villes en les menaçant de bombardements.
Mais les oiseaux ne voient pas cette colonisation d’un bon œil, et font tout pour couler le nuage. Finalement seuls Sigrid et Nath arriveront au Mur, et trouveront derrière, forcément, un enfer bien différent !

Excusez ce résumé un peu long, mais « La Muraille interdite » est très représentatif du style initial de Serge Brussolo, et presque symptomatique de l’édition des années 1980 : le récit est feuilletonnesque, découpé en épisodes bien précis qui sont autant d’aventures propres à faire battre le pouls plus vite. Mais le tout est très linéaire et certains éléments presque superflus, comme en témoignent les différentes édulcorations du cycle pour la jeunesse. Dans mon (lointain mais vivace) souvenir de l’édition Fernand Nathan, le récit commençait la veille du tirage au sort : exit les Têtes-Molles, le baleinier et son harponneur ou encore le cimetière.

Néanmoins, il faut reconnaître une certaine cohérence à cette version à la fois originale et pour le coup définitive : l’imbrication des personnages dans l’intrigue rend moins disparate les épisodes et aucun ne semble réellement superflu.

Critiquons maintenant la case Fantasy dans laquelle Milady classe ce roman. Ainsi que souligné plus haut, Brussolo est éclectique, mais son cycle ne répond pas strictement aux codes du genre. Almoha est une colonie terrienne, on est plutôt donc dans du post-apocalyptique, avec la régression de civilisation qui va souvent avec, quand bien même on parle de magie régulièrement, pour évoquer sciences et technologies survivantes dont on peine à expliquer le fonctionnement. À titre de comparaison, l’excellent cycle BD de Caza « Les mondes d’Arkadi » joue dans le même registre.
L’auteur, comme dans tous ses romans parus en FNA, prend plaisir à inventer des aberrations de la nature, en leur donnant une vague caution scientifique. Almoha a été maudite par un mage, premier ministre déchu du gouverneur de la planète, et c’est pour cela que la gravité pèse autant, comme un plafond trop bas. L’océan de boue vient de la surexploitation minière de la planète, ça c’est pour la touche écolo, James Cameron peut remballer son « Avatar ». Et les nuages sont issus des pollutions atmosphériques qui ont suivi.
Les héros n’ont pas non plus de noble but à atteindre, ils ne font « que »fuir les catastrophes en séries, à la recherche d’un éventuel éden qui leur garantisse au moins la sécurité, besoin basique. Et on sait avec Brussolo, dès le début, qu’il n’y a pas de Paradis, que des Enfers différents.

Bémol donc pour l’étiquette fantasy, et pour la couverture signée Miguel Coimbra, un montage 3D guère représentatif du contenu, hormis les lézards : pas d’épées, Nath et Sigrid sont plutôt de malingres vagabonds que de solides guerriers.
Mais cela reste un excellent Brussolo, pour peu qu’on soit familier du style de l’auteur dans les années 1980. Un 2e tome, « Le Serment du Feu », clôt le cycle, mais on peut parfaitement s’en tenir là.


Titre : La Muraille Interdite
Série : le cycle d’Almoha (réédition d’après les manuscrits originaux, 1973-1977), tome 1/2
Auteur : Serge Brussolo
Couverture : Miguel Coimbra
Éditeur : Milady
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 441
Format (en cm) : 18 x 11 x 2,8
Dépôt légal : mai 2012
ISBN : 9782811207359
Prix : 8 €



Nicolas Soffray
6 août 2013


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