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Alliance des trois (L’)
Maxime Chattam
Le Livre de Poche, n°32795, fantastique / science-fiction, 451 pages, octobre 2012, 7,60€

Au début des années 2000, Maxime Chattam se faisait connaître du grand public avec d’épais thrillers reprenant les stéréotypes vendeurs de l’époque : serial-killers, profilers, autopsies. Une veine référentielle, imitatrice, laissant un fort goût de « copié-collé » – jusqu’à sa notule biographique qui n’était pas sans évoquer celle de Patricia Cornwell – mais se révélant souvent efficace. Par la suite, l’auteur se lançait dans une série de romans moins typés américains, plus personnels (« Le Sang du temps », le Cycle de l’Homme), eux aussi sous le signe du thriller. En 2008, Maxime Chattam entamait une saga destinée à la jeunesse. Virage opportuniste dans le sillage du succès faramineux des séries pour enfants, Harry Potter en tête, ou au contraire (en sachant que l’auteur avait publié en 2003, sous le pseudonyme de Maxime Williams, un premier roman jeunesse intitulé « Le Cinquième règne »), retour à des premières amours ?
La lecture que nous faisons de « L’Alliance des trois » ne permet pas de répondre clairement à cette question.



Une trame composite

À Manhattan, Matt et Tobias, deux adolescents, sont confrontés à d’étranges phénomènes : un commerçant semble héberger des reptiles dans ses manches, une foudre étrange fait disparaître un clochard sous leurs yeux. Puis survient une tempête atypique, inexplicable, à l’issue de laquelle disparaissent la plupart des adultes, dévorés par d’étranges éclairs qui laissent intacts leurs vêtements ; les rares à y avoir survécu sont métamorphosés en créatures effrayantes. La plupart des enfants, au contraire, semblent épargnés. Poursuivis par d’étranges entités montées sur échasses, Matt et Tobias, à travers un paysage métamorphosé par une végétation aberrante, s’enfuient vers le sud. Sur une île accueillante de la rivière Susequanah, en compagnie d’autres adolescents, ils trouveront sécurité et refuge. Mais la survie n’y sera pas toujours facile, et les nouvelles menaces du monde environnant ne leur laisseront nul répit. Dans cette succession de péripéties, Maxime Chattam emprunte des éléments à tous les horizons de l’imaginaire ; merveilleux, fantasy, aventure, épouvante, science-fiction.

Des insuffisances indiscutables

Si ce roman réserve de bien désagréables surprises à ses personnages, le lecteur n’est pas non plus épargné. Les défauts de ce récit sont hélas nombreux ; nous n’en citerons que quelques-uns. Les incohérences sont récurrentes – par exemple l’épisode au cours duquel Tobias et Matt découvrent un message sur un panneau, chronologiquement et logiquement invraisemblable, ce que l’auteur semble avoir vaguement réalisé en tentant d’en donner, quelques chapitres plus loin, une explication non satisfaisante, ou encore le fait que pour se sentir en sécurité les enfants se réfugient sur un ilot coupé du monde, mais sur ledit ilot se trouve une vieille maison où surviennent des évènements terrifiant la plupart d’entre eux, comme c’est logique ! – les facilités narratives, coïncidences, fausses surprises et rebondissements téléphonés également. Les dialogues sont hélas bien souvent superficiels, jusqu’à la caricature, et même parfois bien au-delà. Ainsi, lorsque les deux adolescents se trouvent confrontés à un chien géant (qui continuera à grandir par la suite, sans raison) capable de porter l’un d’entre eux, dont on sait qu’il a quatorze ans et mesure un mètre soixante-dix, non seulement ne s’étonnent-ils aucunement de sa taille, mais en sus ne trouvent-ils pas d’autre question à poser que « Il a un collier  » ?, et pas d’autre source d’étonnement que le fait qu’il ne soit pas retourné à l’état sauvage.

Quant à l’écriture, elle pose sans cesse problème.
Que penser, lorsque le héros s’essaye à la télékinésie, d’une phrase telle que : « Il passa une bonne heure à s’entraîner, se concentrant pour sentir la pierre sous sa peau, écouter les battements de son cœur, jusqu’à la chaleur de son sang. » ?
Que penser d’expressions telles qu’ « il n’y avait pas la trotteuse de son souffle pour lui rappeler qu’il était vivant  » ?
Que penser d’une phrase telle que « Matt pouvait voir leurs gestes grâce à leurs jambes qu’il distinguait » ?
Que penser de « Le Cynik titubait au milieu de son tourbillon de flammes et s’effondra enfin dans un râle de soulagement  » ?
Des trouvailles de ce genre attendent le lecteur presque à chaque chapitre. Les impropriétés lexicales sont récurrentes : les enfants font le guet sur un « poste de gué  », « Elle était blonde. Hors Claudia était brune  », « ausculter les étoiles » , etc. Et pourquoi donc, alors que l’on n’est pas capable d’écrire un français de base correct, aller chercher (à moins qu’il ne s’agisse encore d’une erreur) des termes peu usités tels que « margelle mousseuse » pour « margelle moussue  » ?

Nous ne ferons pas ici la liste des problèmes posés par l’écriture de Maxime Chattam, la palme revenant incontestablement, outre au chapitre quinze qui semble concentrer ses insuffisances, à une phrase, qui mérite sa place dans les anthologies : « Ils durent examiner les tranches des livres de deux bibliothèques avant d’en trouver une qui comportait des ouvrages scientifiques  ». Même parmi les plus jeunes lecteurs, certains ne confondront pas la tranche et le dos d’un ouvrage. Et les mauvaises langues auront beau jeu d’affirmer que Maxime Chattam, avec dix romans à son actif, ne sait pas même ce qu’est un livre.

Tout ceci, pour l’ensemble, soulève bien des questions. Méconnaissance grossière de la langue française, simple désinvolture, ou mépris fondamental du lecteur ? Ce n’est pas à nous de trancher, mais il est fort vraisemblable en tout cas que les éditions Albin Michel, responsables de la première édition de cet ouvrage, ont envoyé le manuscrit à l’impression sans que personne au sein de la maison n’en ait fait une relecture attentive, ni peut-être même ne l’ait simplement lu.

Des qualités bien réelles

On ne pourra donc que regretter ces défauts, et ceci d’autant plus que gommer les plus criants d’entre eux n’aurait pas forcément demandé beaucoup de travail. Si un effort avait été fait en ce sens, «  L’Alliance des trois  », vendu dans une collection que rien n’identifie comme destinée à la jeunesse, aurait pu être un ouvrage pour enfants estimable. Car ce premier tome de la saga de l’Autre-Monde ne manque pas, par ailleurs, de qualités essentielles à ce type d’entreprise.

Les premiers chapitres, consacrés à la tempête et à ses suites immédiates, sont en effet extrêmement efficaces, et, avec une écriture très simple, permettent de susciter des images particulièrement impressionnantes.
La fuite des deux protagonistes à travers un monde bouleversé, avec ses aspects à la fois inexplicables et post-apocalyptiques, est indiscutablement prenante. Et l’idée de cette communauté d’adolescents recréant une microsociété sur une île protégée, au moins partiellement, des dangers du monde extérieur, ne manque pas de séduire.

La structure du roman, à base de chapitres très courts, souvent astucieusement découpés, permet de maintenir l’attention. L’ensemble constitue un tout, qui, s’il est hétérogène, est marqué par un dynamisme constant. En ce sens, ce qui apparaît comme un des objectifs premiers de l’auteur apparaît atteint : entraîner le lecteur dans une succession de découvertes et de péripéties sans trop lui laisser le temps de souffler, ni de réfléchir, jusqu’au tout dernier chapitre.

Mais la véritable trouvaille de l’ouvrage, c’est bien entendu le Raupéroden. Cette entité menaçante navigant à la frontière des rêves et du monde réel est mise en scène avec suffisamment de finesse pour jeter une ombre inquiétante sur la plus grande partie du roman. Apparaissant de façon récurrente, dévoilé par petites touches, entrevu mais jamais entièrement décrit, il s’affirme comme une des composantes essentielles du récit tout en demeurant un mystère.

Une impression finale en mi-teinte

Ces qualités, en définitive, l’emportent-elles sur les défauts ? La réponse, sans aucun doute, sera fonction des lecteurs. Avec ce roman dynamique et vite lu, chacun pourra se faire rapidement sa propre idée.
Quoiqu’il en soit, une fois ce premier tome refermé, suffisamment de questions restent en suspens pour que l’on ait envie de lire la suite : sans doute est-ce là l’essentiel.


_ Titre : l’Alliance des trois
Série : Autre-Monde, tome I
Auteur : Maxime Chattam
Couverture : Paul McGee / Deb Casso
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Albin-Michel, 2008)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 32795
Pages : 451
Format (en cm) : 11 x 17,8 x 2
Dépôt légal : octobre 2012
ISBN : 978-2-259-16956-7
Prix : 7,60 €


Maxime Chattam sur la Yozone :
- la chronique de « Les Arcanes du chaos »
- la chronique de « La Théorie Gaïa »
- une première chronique de « Prédateurs »
- une seconde chronique de « Prédateurs »


Hilaire Alrune
14 novembre 2012


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