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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Connexions interrompues
Ketty Steward
Black Coat Press, Rivière Blanche, nouvelles (France), avenir pas radieux, 237 pages, juillet 2011, 17€

Ketty Steward est une ancienne de la Yozone, et elle officie actuellement sur ActuSF. Mais c’est surtout, je le dis après l’avoir croisée lors des Imaginales, une jeune femme débordant de sympathie et de bonne humeur, en totale contradiction avec la noirceur des futurs qu’elle écrits.



Une chose que j’aime, d’entrée, dans ce « Connexions interrompues » et dans la plupart des recueils de la Rivière Blanche, c’est que l’auteur prend le temps et la peine de resituer chaque texte dans son parcours, son humeur du moment, le travail fait dessus. Ketty Steward en profite pour dévoiler les dessous de ses textes, le pourquoi de leur naissance, du grand projet au petit détail insignifiant d’où jaillit l’idée.

Erreurs 404

Puces Savantes” pose les choses. un texte court, dans le milieu scolaire. Et là, déjà, l’avenir n’est pas glorieux, dévoré de technologies : élèves pucés pour s’assurer de leur présence, profs souvent en visioconférence... Tout ce qui pourrait nous sembler un progrès s’écroule finalement, entre les failles du système ou les erreurs de son jusqu’au-boutisme.
Et Rose, elle a vécu” pose la question du vieillissement de la population et des progrès médicaux. Rose est une riche vieillarde et tant qu’elle vit, au nom d’un équilibre natalité-mortalité, elle empêche les jeunes de fonder une famille. Mais voilà, c’est son argent qui fait tourner l’économie...
Mine de rien” écrit pour une anthologie sur les mines, dérive de ce sujet pour broder sur le thème du paradoxe temporel, et rappellera “Un Coup de Tonnerre” de Bradbury. Si le texte n’est pas aussi inoubliable que son modèle, les dernières lignes sont empreintes d’une poésie similaire.
Avec “Arachnet”, on entre dans le futur Internet par le texte le moins violent de l’auteure : un face-à-face par écran interposé entre un administrateur réseau et une citoyenne qui prend goût à la vie déconnectée. Très agréable sur le fond comme la forme, l’une de mes nouvelles préférées.
En comparaison, “Ipsem Dolorum”, publiée dans le Galaxies 12, est bien plus sombre. Plus longue, elle esquisse un futur où une Église vante la souffrance tandis que la science l’a bannie de la vie quotidienne, et sur laquelle un journaliste mène l’enquête, avant de rencontrer une femme à qui les prêtres auraient enlevé son enfant. Et de découvrir dans quel horrible dessein... Trop longue, trop remplie de références, oscillant entre l’action limite cyberpunk et la réflexion sur le rôle de la douleur dans nos vies, elle laisse une impression bizarre.

Liaisons sans fil

Le souffle est une histoire de jumeau maléfique assez sombre, mais dont le background futuriste m’a semblé plus intéressant que l’histoire. “Les Champs de Mars” sont un hommage aux « Chroniques Martiennes » du déjà précédemment cité Bradbury, et reprend en plus court le principe “Ils avaient la peau brune et les yeux dorés” dans Un Remède à la Mélancolie.
Corps usagé, peu servi décrit l’étrange relation entre une femme et son clone médical, qu’elle chérit tout d’abord avant de la traiter comme une domestique, voire moins, une bête, un simple jeu de pièces de rechange. Puis c’est le repentir final. Tout cela raconté du point de vue du clone. Très bonne réflexion sur l’identité, sur soi face à l’autre.
Sasser est triste hélas cache un fléau déjà présent : la publicité virale ciblée. Une femme croit rencontrer le prince charmant, alors qu’un logiciel ne fait que lui mailer des extraits de Tristan et Iseult. Troublant, car finalement, entre le désert affectif surexploité par les sites de rencontres et le fichage invisible dont nous sommes l’objet, n’est-ce pas déjà possible ?
La maladie du ver à soie, a lieu dans l’espace, dans une société asexuée sans il ni elle mais avec el. Écrite pour une anthologie aux édition Voy’el (« Le monde selon Ève »), elle trace en quelques pages l’échec d’une uniformisation des corps et des esprits. Si l’argument est un peu facile et généralisé à la majorité des femmes de l’histoire, le texte n’en est pas moins plaisant et poussera à une plus longue réflexion.

Sessions expirées

Gardien” est une fable écolo à la chute noire. Si la chute n’est guère surprenante, le tout est bien écrit. “Déboires de mémoire” reprend aussi le thème de la déconnexion abordé plus haut, via une installation qui rame, puis s’autonomise pour pousser l’être humain devant l’écran à retrouver une vie sociale. La chute est intéressante, puisque dans cet univers où les IA gèrent le monde, redonner de la liberté, du « temps libre » aux humains est perçu comme un bug !
L’ère des nourriciers” est une utopie dont l’auteure s’excuse par avance de la naïveté. Certes, tout y est carré et en creusant, on pourrait juger le système instable, mais le tout fleure bon la SF de la génération précédente, où les auteurs ne s’échinaient pas forcément à expliquer comment on en était arrivé là : ils présentaient leur nouvelle société, et un grain de sable la faisait forcément dérailler (pas forcément pour la bonne cause, parfois par la simple bêtise humaine). J’en profite pour vous recommander « Le Pianiste Déchaîné », de Kurt Vonnegut.
Rudolph de Clavène”, trop brève, peine à faire connaître son objectif.
Ce qui compte” conclut en beauté et en poésie : une poignée de saynètes qui dépeignent un futur sombre, oppresseur, où chacun va sortir la tête de l’eau, retrouver un brin d’espoir, de vie, d’humanité au son d’une petite musique.

Si tout n’est pas inoubliable dans ce « Connexions interrompues », il y a quand même du très bon au sommaire, et de la matière à plus ample réflexion sur nombre de sujets. Donc débranchez-vous et allez lire...
Vous êtes déjà en train de lire “Puces savantes” en PDF (disponible sur le site de l’éditeur) sur liseuse ? Coupez le wi-fi !


Titre : Connexions interrompues (nouvelles)
Auteur : Ketty Steward
Nouvelles :
- ERREURS 404
Puces savantes
Et Rose, elle a vécu
Mine de rien
Arachnet
Dolorem Ipsum
- LIAISONS SANS FIL
Le souffle
Les Champs de Mars
Corps usagé, peu servi
Sasser est triste hélas
La maladie du ver à soie
- SESSIONS EXPIRÉES
Gardien
Déboires de mémoire
L’ère des nourriciers
Rudolph de Clavène
Ce qui compte
Couverture : YOZ
Éditeur : Black Coat Press
Collection : Rivière Blanche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 2083
Pages : 237
Format (en cm) : 20,4 x 12,8 x 1,9
Dépôt légal : juillet 2011
ISBN : 9781612270258
Prix : 17 €



Nicolas Soffray
12 novembre 2012


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