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C’était demain
Jean-Marc Rigaux
Editions Murmure des soirs, fantastique/littérature générale, 113 pages, octobre 2012, 17€

Murmure des soirs est une petite maison d’édition créée en 2011 qui publie entre autres des recueils de nouvelles étranges. Des auteurs tels que Thomas Owen et Alain Dartevelle figurent déjà dans sa collection « Fantastique ». Avec ce volume de onze récits de Jean-Marc Rigaux, un nouveau ton, de nouvelles thématiques, dont nous donnons un aperçu ci-dessous.



« Au bout de trois heures, il était la terre entière »

Dans “Welcome to the limit ”, un savant excentrique ne se laisse pas impressionner par les barrières mentales ni physiques. Résolu à aller plus loin que ses congénères, il décide d’abattre de nouvelles barrières : rien d’autre que la membrane plasmique, qui sépare le contenu de nos cellules du monde extérieur. Mais cette membrane est aussi celle qui sépare la formidable machinerie cellulaire du noyau, ce compartiment qui contient nos gènes, l’essence même de notre être. Pouvons-nous nous assimiler au monde extérieur, fusionner avec le monde, être nous-mêmes l’univers ? Une approche originale qui, dans le quotidien d’un obscur chercheur, instille un soupçon de métaphysique.

« Qu’est-ce que vous croyez ? Que vous avez plus de neurones que moi ? »

Avec “Feu follet ”, Jean-Marc Rigaux nous fait découvrir un autre quotidien, celui de la concierge d’un immeuble et de ses occupants. Cette concierge, elle n’est rien, on l’ignore, on la méprise. Mais peut-on être transparente jusqu’à être dépourvue de toute substance ? Peut-on accepter de sombrer dans l’oubli alors que l’on n’a pas même simplement commencé à exister ? La meilleure révolte ne serait-elle pas de s’effacer absolument ? Une ghost story originale où une femme devient son propre fantôme avant même sa mort, un conte naturaliste avec ses petites gens et leurs bassesses, mais aussi, une jolie fable morale.

« Je veux être tout à fait honnête, même si je n’ai que peu d’illusions sur la crédibilité de mon récit.  »

Dans “Corps à corps ” un masseur-kinésithérapeute, après avoir découvert que les individus qu’il manipule sont perméables à sa propre chair et qu’il peut entièrement s’y glisser, se met à partager l’existence de quelques-uns de ses clients. De la sorte, il en apprendra plus sur l’âme humaine qu’il n’en a jamais soupçonné, et verra ses propres mémoires écrites par un autre.

« L’espoir de la découverte d’une anomalie, carburant des chercheurs, se révélait vain. »

C’était demain ”, qui reprend le titre d’un film de Nicolas Meyer, adapté du roman de Karl Alexander (publié chez Seghers en 1980 et repris par Mnémos en 2011), ne traite pas comme son prédécesseur du voyage temporel sur le plan technologique, mais des pièges que peuvent jouer prescience et mémoire. Peu à peu, un individu se met à se souvenir non pas de son passé, mais bel et bien de son propre futur. Comme si deux compartiments de sa mémoire - celle du passé et celle du futur - devenaient deux vases communicants sans l’équilibre associé, le second s’emplissant peu à peu aux dépens du premier. Dès lors, capable de faire des prédictions qui intéressent bien du monde, il est capté par les politiques qui voient en lui un outil formidable. Une idée étonnante, que l’auteur développe habilement avec le corollaire suivant : la mémoire n’a jamais été infaillible, et l’on connaît la tendance de l’esprit humain à élucubrer de faux souvenirs ; dès lors, notre homme ne pourrait-il pas avoir aussi, du futur, de faux souvenirs ? Une idée riche et originale dont d’autres auraient tiré un roman.

Mais nous ne saurions gâcher le plaisir du lecteur en dévoilant le contenu de chacune de ces onze nouvelles. Que l’on sache cependant qu’elles permettront – peut-être – de répondre à ces questions que chacun se pose depuis toujours. Une incapacité à lire peut-elle sceller le destin d’un traducteur acharné (“Dans le port d’Alexie”) ? Quels sont les liens cachés entre l’exil, les gènes, le regard, le plaisir et l’évolution (“Le gène et le plaisir”) ? Quel peut-être l’avenir sentimental de deux mathématiciens qui décident de ne plus s’exprimer autrement qu’en équations (“Une tête au carré ”) ? Un physicien découvrant une nouvelle particule peut-il espérer laisser plus de traces que ladite particule (“Graviton”) ? Cette étrange optique dont beaucoup rêvent, ne serait-elle pas plutôt un cadeau empoisonné (“Les lunettes qui déshabillent”) ? Un prêtre peut-il faire l’expérience transitoire de l’éternité (“Une éternité ”) ? Si le regard de l’expérimentateur, en physique fondamentale, influe sur l’expérience, qu’en est-il de cette expérience qu’est le film de notre vie (“La nuit tombe sans prévenir ”) ? Autant de questions, autant de nouvelles qui, d’une manière ou d’une autre viennent apporter une ébauche de réponse, souvent en se refermant astucieusement sur elles-mêmes.

Les personnages mis en scène par Jean-Marc Rigaux, on l’a vu dans les récits résumés ci-dessus, sont souvent des gens ordinaires à qui il arrive des choses extraordinaires. Ils perdent une aptitude commune et leur vie s’en trouve bouleversée, ou bien gagnent un étrange pouvoir qui ne suffit pas à faire d’eux des êtres réellement exceptionnels. De ces aventures singulières, contées à l’aide d’une prose à la fois simple et discrète, naît une impression d’étrangeté qui n’est pas sans évoquer certains récits fantastiques de Marcel Aymé. Sans rechercher les effets de style ni les chutes brutales, Jean-Marc Rigaux propose des gauchissements du réel souvent inattendus, qui, associés à une narration maîtrisée, font de ce petit volume un ouvrage assurément recommandable.


Titre : C’était demain
Auteur : Jean-Marc Rigaux
Éditeur : Murmure des soirs
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 113
ISBN : 978–2–930657–07–3
Format (en cm) : 15 x 21 x 0,8
Dépôt légal : octobre 2012
Prix : 17 €



Les éditions Murmure des Soirs sur la Yozone :
La chronique de « Narconews »
La chronique de « Au nom du néant »


Hilaire Alrune
23 novembre 2012


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