De fait, le tableau est d’un noir très profond : loyers en retard, assortis de menace d’expulsion, fin des commandes éditoriales, inspiration zéro ! Plus une fâcheuse tendance à cacher la débine générale à sa si gentille compagne et à ses deux filles adorables. Quitte à se réfugier dans la boisson, la baise de filles de rencontre et l’apitoiement sur soi-même. Décidément, ce créateur aux allures de double de Wazem n’a pas vraiment le vent en poupe...
Encore que l’auto-suggestion ait des vertus cachées. Pour preuve : sa conviction intime qu’une fois remontée la pente qu’il n’en finit pas de descendre, il va nous pondre un de ces chefs-d’oeuvre dont il ne tient encore que le titre : « Mars aller-retour ». Titre mystérieux, intrigant en diable, et selon lui capable de soutirer à un fidèle éditeur une avance suffisante pour éponger toutes les dettes, et du même coup, mettre au rencard ses idées noires !

Un miracle possible, qui semble finir par se produire, alors même que notre homme est au tréfonds du trou... A moins qu’il ne s’agisse d’une pure illusion de son esprit neurasthénique ? Alors même que ce dessinateur en plein retour sur soi trouve l’échappatoire dans une maison en ruines, dont la véritable nature serait d’être un vaisseau spatial ultra-artisanal menant en droite ligne à la planète Mars.
Séjourner sur Mars, comme on se retire dans le désert. En un endroit vacant où régler ses comptes avec soi et où se mettre à nu. Où se croquer tel quel, sans autre histoire à conter que la sienne, tissue d’espoirs sincères et de mensonges, et de compromissions, de rêves de gosse, de pulsions infantiles d’auto-destruction, et de la volonté de surmonter tout cela avec une certaine élégance.
Pas à dire, c’est un bien bel et bien troublant album que vient de donner Wazem, même s’il y fait encore un peu de cinéma. Même si on y rencontre différentes accointances avec certains parents en bande dessinée (dédoublements à la Sfar, angoisses à la façon de de Manu Larcenet en son « Combat ordinaire ») et même s’il n’échappe pas toujours à d’indécrottables bons sentiments. Broutilles, au bout du compte : sous ses enrobages ironique et onirique « Mars Aller-retour » est un album foncièrement émouvant : gorgé d’une vérité intime comme touchée du doigt d’un dessinateur finalement très inspiré.

Mars aller-retour
Scénario et dessins : Pierre Wazem
Editeur : Futuropolis
Parution : 23 août 2012
Pagination : 128 pages couleurs
Format : 19,5 x 26,5 cm
Numéro ISBN : 978-2-7548-0128-7
Prix public : 20 €
Illustrations © Pierre Wazem et Futuropolis (2012)