Les deux premiers tomes ont installé l’ambiance toute de liberté narrative au service de laquelle Dionnet passe d’un dessinateur à l’autre (un ou deux par album, en en changeant systématiquement d’un album à l’autre) pour mettre en scène des dieux qui eux aussi, et jusqu’ici, semblaient papillonner dans le monde des vivants, comme si cette première génération divine, partiellement issue d’humains, en était encore à chercher sa place en ce bas-monde.
Même les dieux ont commencé petits, paraphraserions nous... Et ce troisième album approfondit l’analyse du malaise dans le contexte extrême de la seconde guerre mondiale. Avec, en avant-scène, le taciturne Soleil Levant. Un dieu aux traits asiatiques, dont les repères vacillent alors même qu’il observe que beaucoup de ses frères humains, bien que de nationalité américaine, se font parquer dans des camps pour la seule raison qu’ils sont d’origine japonaise.
Un constat déstabilisant, au coeur de cette Amérique qui se présente comme le chantre la Liberté mondiale. Un trouble dont à distance semble vouloir profiter le Maréchal Goering, question de rallier Soleil Levant à la cause de la coalition germano-japonaise... Une invitation s’ensuit, que le dieu accepte, entretenant ainsi le doute sur ses choix, ses options personnelles, et sur ses propres réponses à la question majeure : un dieu, fût-il nouveau, peut-il s’arroger le droit d’influer sur l’Histoire des hommes ?
Soleil Levant, s’il cache d’abord son jeu, se voit alors contraint de faire des choix cruciaux, au plus fort d’une mission diablement mouvementée où les querelles d’idées font soudain place aux actes, en des affrontements grandioses où Danijel Zezelj donne sa pleine mesure. Dessinateur magistral tant dans les plans fixes que dans des découpages d’un dynamisme à couper le souffle, Zezelj, sans jamais se départir d’une esthétique fascinante, joue sur les sépias et les clairs-obscurs pour imprégner l’album d’une tonalité crépusculaire d’une grande efficacité, en parfaite adéquation avec la tragédie en train de se jouer.
Une parfaite réussite que Jean-Pierre Dionnet, farceur dans l’âme comme peuvent l’être certains démiurges, vient parasiter le tout d’une incise qualifiée d’entracte : soit un bref aperçu d’images qui seraient dues à un certain Baldazzini. Baldazzini ? Un parfait inconnu soudain intronisé graphiste-phare des défuntes sixties. Question, sans doute, de prouver par la bande que les replis de l’espace-temps recèlent bien des surprises, dont des joyaux...
(T3) Une petite ville en Amérique
Série : Des dieux et des hommes
Scénario : Jean-Pierre Dionnet
Dessin : Danijel Zezelj
Editeur : Dargaud
Collection : Caractère
Dépot légal : 11 avril 2012
Pagination : 64 pages couleurs
Format : 24 x 32 cm
Numéro ISBN : 978-2-2050-6678-4
Prix public : 13,95 €
A lire sur la Yozone :
Des Dieux et des Hommes (T1) La fin du Commencement
Illustrations © Dargaud et les auteurs (2012)
