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Ki et Vandien - Intégrale
Megan Lindholm (Robin Hobb)
Mnémos, Icares, roman traduit de l’anglais (USA), fantasy, 845 pages, juillet 2012, 28€

Ki est une romni, une voyageuse, toujours sur les routes, chez elle dans son chariot, loin des villes, des gens et des problèmes. Transporter telle ou telle marchandise lui suffit à gagner de quoi acheter de quoi vivre, et depuis la mort de son époux et ses enfant, cela lui suffit. Et puis sa route croise celle de Vandien, qui fuit lui aussi son passé, son destin, sa vie... Mais il est aussi bavard qu’elle est mutique. Arriveront-ils à panser mutuellement leurs plaies ?



Présenté ainsi, « Ki et Vandien » fait figure de roman sentimental. C’est ce qu’il est. Comme ce qu’est la vie, de toute façon, qu’on l’enveloppe de fantasy, comme c’est le cas ici, ou bien de SF, de réalisme... (si, cela existe, paraît-il... mais la littérature générale n’est pas notre propos). Et c’est tout en subtilité que Megan Lindholm, qui ne signe pas encore Robin Hobb, fait se rapprocher ses deux protagonistes, dont la rencontre est pourtant mal engagée : Vandien, affamé, tente de voler l’un des chevaux de trait de Ki, qui le plaque au sol, un couteau sur la gorge.
Mais commençons par le début : « Ki et Vandien » se compose de 4 romans, une « première trilogie » publiée aux USA en 1983, et un dernier volume paru un peu plus tard, et plus indépendant, comme un goût de revenez-y.

Le vol des harpies

Le roman et le cycle s’ouvrent sur un acte de vengeance : Ki escalade une falaise et détruit un nid de harpies, brûlant parents et enfants. Œil pour œil : des harpies ont tué son époux et ses enfants. Mais elle ne se sent pas en paix pour autant.
Et une menace plane sur elle tandis qu’elle convoie un précieux chargement sur une route de montagne tandis que l’hiver et la neige approchent à grands pas : l’un des parents aurait-il échappé aux flammes ? C’est ce qu’elle cache un temps à Vandien, compagnon de route adopté après une rencontre, comme dit plus haut, plutôt musclée.

Le roman alterne voyage dans la passe des Sœurs, cette piste de montagne qui menace de les coincer dans la neige, et les souvenirs de Ki, qui font la lumière sur sa vie et son lien avec les harpies : son époux venait de Gué-de-Harpe, une contrée où les harpies sont adorées. Revenue veuve là-bas, elle n’y trouve pas sa place, et cause même quelques troubles du seul fait de sa présence. Quant aux conséquences de sa vengeance, c’est une marque d’opprobre jetée sur toute sa belle-famille.

L’auteure distille lentement les souvenirs de Ki, nous laissant échafauder de multiples hypothèses qui s’écroulent comme des châteaux de cartes lorsqu’arrive la révélation finale.
Je me vous en dis pas plus, pour vous laisser apprécier le roman. J’ajouterai seulement que l’histoire peut s’arrêter là.

Stylistiquement parlant, il m’a semblé que le texte, et je ne pense pas que le traducteur soit à blâmer, souffrait de nombreuses répétitions. D’autant plus surprenant que les phrases sont souvent simples, sujet, verbe, complément. Mais, au fil des pages, ce martèlement de termes, « route », « chariot », « piste », « bois », etc. a pris un autre sens : insidieusement, le texte nous fait ressentir la routine du voyage, des gestes du quotidien, et ces mots et leur rythme nous font cruellement défaut lorsque quelque chose perturbe cette routine : le moindre incident prend d’énormes proportions.
C’est un ressenti, conforté par le fait que les deux tomes suivants ne pâtissent pas de telles « lourdeurs ». Donc c’est soit volontaire, soit l’auteure a appris très vite...

Les Ventchanteuses

Le second volume démarre dans un village cosmopolite où nos deux héros cherchent un engagement, car une fois de plus, l’argent vient à manquer. Vandien s’étant fait pigeonner, Ki le laisse se débrouiller seul et trouve une autre mission, qui s’avèrera bien plus périlleuse.
Le roman alterne donc les points de vue du duo séparé. Vandien s’est laissé bercer par un conte de trésor enfoui dans un temple noyé sous la mer : seule une grande marée permet d’aller le chercher. Mais très vite, alors qu’il s’est démené pour trouver un attelage que Ki lui a refusé, tout le village lui révèle la farce : les pêcheurs se délectent, chaque grande marée, de voir un pauvre diable peiner dans les flots. Informé du fait, Vandien s’obstine à leur donner tort et à chercher le coffre enfoui.
Ki, de son côté, doit convoyer à toute allure des caisses, qu’on lui a remis dans une maison vide et pratiquement en la menaçant. Attaquée en chemin, elle découvre le secret de sa marchandise, c’est un sorcier, coupé en morceaux ! Ses agresseurs n’ayant pas emporté sa tête, le mage contraint Ki à retrouver son corps et l’entraine dans des sauts de puce dimensionnels dans le temple des Venchanteuses, des prêtresses mutantes qui commandent à la météo et assurent ainsi leur domination sur la paysannerie locale.
Ki et Vandien se retrouveront finalement, leurs puissants ennemis mutuels aussi, et ils échapperont de peu à la colère des uns et des autres, témoins gênants d’affaires privées et de luttes de pouvoir.
Haletant de bout en bout, ce deuxième tome introduit la magie et les ventchanteuses, qui seront très présentes dans la suite :

La Porte du Limbreth

Lors d’une escale citadine, Ki et Vandien tombent dans un piège tendu par une ventchanteuse rivale de celle qui leur a, contre son gré, assuré sa protection : une porte dimensionnelle les entraîne sur un autre monde, froid, déshumanisant, décérébrant, où vit une entité, le Limbreth, qui se nourrit de la vie et des souvenirs.
Très intrigant, ce volume est impossible à raconter. J’en ai déjà trop dit. C’est une lente marche vers une destination sans retour, et pour qui court après l’autre, un défi au temps et une preuve d’un amour sans bornes.
C’est aussi, d’un point de vue littéraire, un roman typique des années 80, avec cette vision d’un Multivers et d’entités bien, bien plus puissantes que les dieux adulés par les humains, pauvres fourmis sur un pauvre caillou dans l’espace infini. Un concept quasi philosophique pas désagréable même si un peu compliqué, loin de la fantasy rôliste et ses rafales de boules de feu.
Enfin, on lèvera le voile sur certains détails de la vie de Ki, preuve que l’auteure préparait son coup dès le premier volume et que rien n’est arrivé par hasard.

Les roues du destin

Ce quatrième et dernier volume est, comme je l’ai dit en introduction, un peu à part. Écrit 6 ans plus tard, il peut être lu indépendamment. C’est d’ailleurs ainsi que je l’ai découvert, lors de sa première édition chez Mnémos en 2006. Quelques micro-détails - l’exil imposé par les ventchanteuses, l’origine de la cicatrice de Vandien - intrigueront dans le premier chapitre, mais comme Ki et Vandien sont dans un nouveau pays, faisant une croix sur les routes du passé, cela a très peu d’importance.
Les voici donc partis sur des routes inconnues, dans un duché soumis à une loi martiale appliquée par de brutaux mercenaires, convoyant un détestable adolescent qui semble détenir un pouvoir mal maîtrisé. Les choses s’enveniment lorsqu’ils sont rejoints par une autre fille de son village, membre de la résistance, qui les met en garde contre le jeune homme, de plus en plus partagé entre deux personnalités radicalement opposées. Ki et Vandien font figure de deux parents avec des enfants qu’ils n’ont jamais eu... et à qui ils n’ont pas la possibilité de coller une bonne fessée.
Comme toujours jouets des complots et des forces en présence, ils vont devoir endurer le plus grand désespoir tandis que la rébellion amorce un coup d’éclat sans nuance : la victoire, ou la mort...

Intégrale

Comme je le disais, j’ai lu « Les roues du destin » il y maintenant longtemps, et jamais je n’ai saisi l’occasion, même lors de la parution du cycle en poche chez J’ai Lu, de combler le manque préalable. Entre-temps, j’avais fini d’engloutir les 13 tomes de l’« Assassin Royal », et abandonné le trop tronçonné cycle des « Aventuriers de la mer ». Le manque est désormais comblé, et cela pourrait bien me réconcilier avec Robin Hobb.
« Ki et Vandien », sans avoir la lourdeur des milliers de pages qui font actuellement vivre la dame, est sans conteste la marque d’une grande auteure, parfaite organisatrice de ses intrigues et fine observatrice de la nature humaine. Ce dernier détail, qu’on retrouve dans ses autres cycles, est de loin l’essentiel, c’est celui qui donne une âme au récit, qu’il soit de fantasy ou d’autre chose.

Qui n’avait pas craqué pour les 4 J’ai Lu magnifiquement illustrés en pleine couverture par Vincent Madras ne dédaignera pas cette toute aussi belle réédition en intégrale, pas plus chère, et le travail graphique d’Alain Brion.


Titre : Ki et Vandien - Intégrale
Content : Le vol des harpies (Harpy’s Flight, 1983), Les Ventchanteuses (The Windsingers, 1983), La porte du Limbreth (The Limbreth Gate, 1983), Les roues du destin (Luck of the wheels, 1989)
Auteur : Megan Lindholm (Robin Hobb)
Traduction de l’anglais (USA) : Xavier Spinat (T1), Guillaume Le Pennec (T2, 3 & 4)
Couverture : Alain Brion
Éditeur : Mnémos(édition originale : Mnémos, 2004, 2004, 2005, 2006)
Collection : Icares
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 845
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 4,5
Dépôt légal : juillet 2012
ISBN : 978-2-35408-141-6
Prix : 28 €


Note : les éditions Mnémos ont fait l’insigne honneur de confier la relecture avant impression à votre serviteur. Aussi si vous retrouvez des coquilles, vous pouvez me jeter la pierre... (via mail ci-dessous) (j’ai toute une série d’excuses en réserve) (mais j’espère sincèrement avoir bien fait mon travail, non pour moi, mais pour ce très beau et bon livre)

À lire aussi sur la Yozone
- les chroniques des version poche du « Vol des harpies » (2007) et des « Roues du destin » (2009)


Nicolas Soffray
7 octobre 2012


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