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Reines et Dragons (Imaginales 2012)
Sylvie Miller et Lionel Davoust
Mnémos, Fantasy, nouvelles (France), anthologie Imaginales, 204 pages, mai 2012, 18€

Pour sa 4e édition, l’anthologie du Festival Imaginales (30 mai-3 juin 2012) allie deux grandes figures du pouvoir, radicalement opposées, définitivement liées.



Ainsi que le présentent Sylvie Miller et Lionel Davoust, qui succèdent à Stéphanie Nicot à la direction de l’anthologie du festival, le dragon incarne un pouvoir ancien, parfois disparu mais toujours craint, une force brutale, irrésistible. À l’inverse, la reine incarne le temporaire, l’éphémère, le fragile. De sa condition de femme, de son statut d’humaine, de son mode d’élection dans un univers dominé par les mâles, la reine doit asseoir son autorité là où un dragon l’impose par la seule possibilité de son existence. Et pourtant...
Pourtant, ainsi que les douze auteurs de ce millésime vont nous le démontrer, en brisant les clichés, les destins des reines et des dragons sont souvent liés, pour le meilleur mais souvent pour le pire.

Le recueil s’ouvre avec Chantal Robillard. Son “Dit du Drégonjon et de son Elfrie”, chanson de troubadour, gagne à être lu à haute voix, comme le suggèrent les anthologistes. On l’eût presque encore préféré versifié, mais on ne boudera pas notre plaisir devant pareille entrée en matière.

Différents schémas se dessinent chez les auteurs ayant pris la thématique au mot, avec une vraie reine et un vrai dragon. Chez Thomas Geha (ou Xavier Dollo, comme vous préférez), c’est le dragon qui fait la reine, c’est le lézard millénaire qui gouverne en inspirant aux souverains leur politique, qui doivent obéir en bonnes marionnettes. Mais que se passe-t-il quand la marionnette se rebelle, et que quelqu’un tire les ficelles derrière le marionnettiste ? Ou en l’occurrence, chuchote à son oreille...
Adrien Tomas, le petit nouveau de cette édition, nous offre une nouvelle à chute très appréciable et joue, en se jouant de nous, sur le thème de l’exploit : une reine, jeune veuve, offre le trône et son lit à celui qui vengera feu le roi son époux, en tuant le dragon qui l’a occis. Plutôt que s’entretuer, la fine fleur des chevaliers et la lie des arrivistes et ambitieux se précipitent sur la tanière du monstre... Qui en sortira vainqueur ? À la fin d’“Ophëa”, on n’a qu’une envie : découvrir « La Geste du Sixième Dragon », le roman flambant neuf de l’auteur, qui vient de rafler le prix Imaginales 2012 !
Avec “Morflam”, Pierre Bordage sait encore une fois nous enchanter avec un récit initiatique, dans lequel une reine sévère affronte le monstre qui détruit son royaume... et reçoit une leçon de vie. Simple, presque épuré. Impeccable.
Erik Wietzel, à qui je ne reprocherai pas de faire toujours très classique car il le fait si bien, a l’originalité de présenter une société de dragons, vivant coupée et ignorante des humains, dans “Le monstre de Westerham”. Reine et dragon se rencontrent et s’allient. Mais cela ne durera qu’un temps, dans cette histoire dont le thème central est la trahison.
Enfin, Nathalie Dau donne elle aussi la parole aux dragons dans “Cet œil brillant qui la fixait”. Dans le château aveugle où vit tout un peuple, une princesse veut voir, à l’occasion d’une attaque, la bête qui vit dans les eaux du lac et les protège depuis toujours. Elle apprendra bien vite, elle la rêveuse éprise de liberté et amoureuse de la Lune, qu’un pacte lie la famille régnante, et qu’elle va devenir le prochain dragon des eaux. Mais ce qui semble un horrible châtiment va se muer en délivrance. Comme toujours, Nathalie Dau livre un texte à la fois épique et profondément touchant, empreint d’amour et de chagrin.

Viennent ensuite ceux qui jouent sur les mots, avec un égal talent, pour nous sortir un peu plus des clichés. Reines de peu de choses et dragons en tous genres sont au menu de ces textes plus atypiques mais non moins délectables.
Anne Fakhouri la première, dans “Au cœur du Dragon”, nous présente une communauté qui vit en symbiose avec des dragons de toutes sortes, récoltant les pierres précieuses digérées par les sauriens dans leurs nids temporairement désertés. La vie est âpre, et régie par d’immuables rituels que les deux protagonistes principaux vont mettre à mal, volontairement ou non.
Justine Niogret signe la nouvelle la plus décalée, de la science-fantasy très contemporaine, avec une histoire de jeune fille qui appâte les baleines à coups de tartines, tandis qu’un dragon recyclé en cafetier solitaire lui fait la conversation. Deux âmes perdues sur un bout de banquise, en un temps hors de lui-même, et dans le style décapant dont l’auteure sait faire preuve : la jeune Reine a la langue aussi bien pendue que le caractère bien trempé, la répartie violente à défaut d’arguments, et c’est un dragon mi-coincé mi-complice, au flegme parfois très british, qui prend tout dans le museau, bonne poire et épaule compatissante. C’est touchant et désespérément drôle à la fois.

Azr’Khila” de Charlotte Bousquet est une histoire de vengeance dans le désert, nouvelle à chute un peu triste. Le coup de cœur du festival de l’an dernier livre certes un très bon texte, mais qui colle assez artificiellement à la thématique, refusant de jouer le jeu. Un peu décevant donc dans le principe malgré une lecture qui prend aux tripes.

Au contraire, dans “Où vont les reines”, Vincent Gessler nous narre un voyage initiatique bien loin des clichés du genre, autour de la maternité. Une reine en devenir, le ventre plein d’un amour interdit, est exilée à la rencontre des dragons que chaque nouvelle souveraine se doit d’affronter -et de vaincre- pour assurer la sécurité de son peuple et garantir le flux du fleuve nourricier. Mais l’épreuve que la jeune fille appréhende n’aura rien à voir avec ce qu’elle découvrira, et qui fera d’elle une reine.

Mathieu Gaborit nous livre un morceau d’urban fantasy autour du rêve qui déserte la capitale. Choisie par le dragon gardien des songes, la reine du monde intangible doit sauver un homme, libérer son imagination pour sauver son univers de la grisaille. Beaucoup de non-dit dans cette nouvelle onirique, comme si l’auteur avait voulu épurer un roman déjà condensé. La tension monte, monte à l’approche du cataclysme annoncé, et désamorcé elle retombe un peu trop vite, sans cette petite difficulté finale qui fait le sel de la plupart des autres textes.

Mélanie Fazi emprunte elle aussi la voie d’une fantasy contemporaine pour le texte qui clôt le recueil, laissant transparaître une société moderne derrière le culte ancestral rendu à un dragon protecteur qui a tous les atours d’un ordre médiéval. Histoire de filles, de promises au dragon, partagées entre l’honneur d’être choisies et la crainte de ce que cela signifie. À cet âge difficile de l’adolescence, les sentiments se mélangent et dérivent, amitié, jalousie, passion, frayeur... et amour.

J’ai tendance à dire chaque année que le recueil est aussi bon, sinon meilleur que l’année précédente. La version 2012 n’échappera pas à la règle. Si personnellement je regrette que Sylvie Miller et Lionel Davoust, que j’apprécie tous deux particulièrement, ne soient pas au sommaire, force est de constater qu’ils ont fait un excellent travail.

Après la violence physique ou psychologique qui imprégnait « Victimes et Bourreaux », « Reines et Dragons », au thème plus ouvert, nous offre d’agréables moments de calme et de beauté. Certes, le sang ne manque pas de couler, mais les douze auteurs rassemblés ici réussissent à faire émerger un troisième pouvoir face à la force et à la magie. On appréciera de voir le sommaire s’ouvrir à de nouvelles plumes, débutantes certes mais déjà reconnues par leurs pairs comme par les lecteurs (Geha, Fakhouri, Niogret, Gessler et bien sûr Tomas), si talentueuses qu’elles feraient presque de l’ombre aux « anciens », habitués du festival.

Si les minuscules coquilles (ponctuation, accents et traits d’union essentiellement) passeront inaperçues, les plus attentifs noteront que deux nouvelles ont dû changer de titre au dernier moment...

Julien Delval laisse la place à Kerem Beyit à la couverture, pour une illustration que d’aucuns jugeront certainement un peu racoleuse avec une charmante créature à la vêture et la posture pas très royales, mais elle a le mérite d’accrocher l’œil et, au fil de la lecture, collera parfaitement à plusieurs textes (à vous de trouver lesquels).

Une anthologie d’une grande variété, où les auteurs se plaisent autant à jouer avec les classiques qu’à nous emporter hors des sentiers battus, en une poignée de pages hélas, trois fois hélas, trop vite dévorées...


Titre : Reines et Dragons (nouvelles, anthologie du festival Imaginales 2012)
Direction de l’anthologie : Sylvie Miller & Lionel Davoust
Auteurs et nouvelles :
- Chantal Robillard : Le dit du Drégonjon et de son Elfrie
- Thomas Geha : Chuchoteurs du dragon
- Adrien Tomas : Ophëa
- Anne Fakhouri : Au cœur du Dragon
- Justine Niogret : La grande déesse de fer de la miséricorde
- Pierre Bordage : Morflam
- Charlotte Bousquet : Azr’Khila
- Vincent Gessler : Où vont les reines
- Erik Wietzel : Le monstre de Westerham
- Mathieu Gaborit : Under a Lilac Tree
- Nathalie Dau : Cet œil brillant qui la fixait
- Mélanie Fazi : Les Sœurs de la Tarasque
Couverture : Kerem Beyit
Éditeur : Mnémos
Collection : Fantasy
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 204
Format (en cm) : 15,5 x 23,5 x 1,7
Dépôt légal : mai 2012
ISBN : 978-2-35408-139-3
Prix : 18 €



À lire également sur la Yozone :
- Les anthologies des années précédentes : « Rois et Capitaines », « Magiciennes et Sorciers », « Victimes et Bourreaux »


Nicolas Soffray
31 mai 2012


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