Dans un futur proche, Paris est menacé par une étrange malédiction. Parfois, l’un de ses habitants se transforme en un redoutable monstre, incontrôlable, détruisant la ville pendant un cours instant avant de reprendre sa forme humaine. Plus le temps passe et plus le phénomène, appelé « émergence », devient de plus en plus fréquent. La malédiction semble frapper au hasard et ses victimes, après avoir repris leurs esprits, ne souffrent visiblement d’aucune séquelle. Le Mal disparaît aussi subitement qu’il est apparu. Heureusement, en même temps que les premières émergences, un super-héros, Cosmos, est apparu dans la ville. Sa mission : canaliser les monstres et protéger les parisiens durant le phénomène. Cosmos est devenu une star. Bien que sa véritable identité reste secrète, ses exploits sont repris en BD, par des longs métrages au cinéma… si bien que les parisiens considèrent normale la présence de Cosmos dans la ville, lui déléguant intégralement la protection de la capitale en cas d’émergence.
Virgile, Oscar et Elias sont trois frères, âgés entre six et quinze ans, et vivent à Paris avec leur père, Nathan, chauffeur de bus. Du moins, c’est ce qu’ils ont toujours cru… Un jour, les trois frangins, accompagnés de leur amie Bria, découvrent leur père inconscient, allongé derrière le bar de la cuisine, portant le costume de Cosmos. Il ne leur faut pas longtemps pour découvrir la vérité : leur père EST Cosmos.
Après l’avoir déposé anonymement aux urgences, les quatre amis décident de reprendre le flambeau de leur héros. Ils sont aidés par un vieil ordinateur, planqué dans le dressing du père, qui leur indique l’heure et le lieu exact de la prochaine émergence. Mais s’ils sont les descendants de leur père, ils ne sont pas pour autant les dignes héritiers de Cosmos. Pas facile de protéger une ville quand on n’a aucun super pouvoir.
L’univers de cette BD est très bien construit. Certes, les costumes, les monstres et certaines scènes d’actions sont directement inspirés des comic books et des mangas populaires, mais la « french touch » ajoutée par Rémi Gourrierec lui donne une saveur particulière. Tout d’abord, l’ambiance contemporaine est très réaliste. La ville de Paris est parfaitement retranscrite, sans vision pessimiste ni décors de carte postale. Le travail sur la psychologie des personnages est également indéniable. Les quatre enfants ont des personnalités bien différentes, sans sombrer dans la caricature. Ce sont de jeunes ados avant tout, parfaitement ancrés dans la vie quotidienne, avec leur insouciance, leurs difficultés sentimentales, leurs idées incongrues et leurs mépris du rangement (Oui, j’héberge des ados en ce moment !). Les autres personnages sont tout aussi bien ficelés. Ces nombreux aspects rendent le scénario, pourtant purement SF, très crédibles. J’ai retrouvé un peu le même plaisir de lecture que j’avais ressenti sur des albums tels que “Umbrella Academy” ou “Masqué”.
Bien sûr, les plus critiques trouveront sans doute quelques lacunes dans le récit, comme le moment où Virgile, l’aîné, explique pourquoi il ne faut pas évacuer la zone d’une future émergence. Mais ces rares points de détails ne gênent en rien la lecture.
Ce premier volume présente donc parfaitement les divers personnages et pose l’intrigue principale. Évidemment le suspens est conservé et de nombreuses questions demeurent. Quelle est l’origine des émergences ? Qu’est-il arrivé à Cosmos ? Qui est cet Ernst qui tient tant à rencontrer Nathan ? Et pourquoi ce journaliste fait-il une enquête sur les victimes d’émergences ? Gageons que les prochains épisodes de la série nous apporteront ces réponses.
La série est prévue en six tomes. Selon Rémi Gourrierec, le deuxième volume est déjà bien avancé et devrait être publié cette année. Ce rythme soutenu devrait satisfaire les amateurs de mangas, car, selon moi, c’est le genre qui correspond le mieux à cette BD. Même si le format est un peu plus grand qu’un format poche de manga classique (format A5 en fait), de nombreuses caractéristiques sont reprises de cette littérature telles que la couverture cartonnée, le découpage en sept chapitres d’environs 20 planches, l’annonciation du titre du chapitre incrusté dans une case de la troisième page, le recours aux « speed-lines » pour souligner le dynamisme des actions, quelques images en pleine page, voire en double page, les dessins en noir et blanc…
Globalement, les dessins sont d’inspiration très manga, mais pas seulement. Même si l’ensemble est en noir et blanc, Rémi Gourrierec a su utiliser diverses teintes de gris pour donner du volume à ses illustrations, ajouter de la texture à ses décors. Les paysages extérieurs fourmillent de détails, les perspectives et les angles de vues sont très bien travaillés, et les personnages sont assez expressifs. Là encore, l’auteur a su prendre le meilleur des différents genres classiques en narration graphique pour en faire un album original et intéressant. La lecture est fluide, dynamique, comme on le rencontre souvent dans les mangas, et les traits des personnages sont très variés comme s’efforcent à le faire les auteurs de BD franco-belges. Le lecteur appréciera le juste équilibre entre la contemplation des dessins et la lecture des bulles. Une belle réussite donc ! J’espère seulement que les inconditionnels de genres, les purs amateurs de mangas par exemple, ne seront pas déçus par ce brassage de références. Les visages légèrement déformés, les yeux surdimensionnés ou le cadrage très classique de l’ensemble pourraient en rebouter certains.
Rémi Gourrierec signe ici son premier album, mais il n’est pas pour autant un bleu. Ce natif parisien a créé son blog Bd en 2006. Aujourd’hui, le blog de l’esbroufe connait un grand succès, et c’est sans doute grâce à cette réussite que Lewis Trondheim lui a proposé de publier sa première série dans la collection Shampooing. Les principaux points communs entre l’univers de son blog et “Big Crunch” sont les dessins en noir et blanc et l’humour subtil dans les relations entre les personnages.
En cosmologie, le « Big Crunch » est un des possibles destins de l’Univers. Il désigne l’effondrement de l’univers à la fin d’une phase de contraction symétrique de la phase d’expansion faisant suite au Big Bang. C’est donc en quelque sorte un « Big Bang à l’envers », c’est d’ailleurs suivant cette idée que son nom est dérivé. Selon l’auteur, l’accélération des phénomènes d’émergences pourraient donc annoncer la fin du monde.
Cette nouvelle série n’a pas révélé tous ses secrets. Le cliffhanger de ce premier opus nous laisse d’ailleurs espérer de nombreux rebondissements dans les cinq autres volumes de la série. En fait, le plus dur quand on réussit sa première BD est de ne pas décevoir aux suivantes. Espérons que Rémi Gourrierec saura profiter de l’expérience de Lewis Trondheim pour nous offrir des suites aussi abouties que cet album.
(T1) Cosmos ne répond plus :
Série : Big Crunch
Scénario : Rémi Gourrierec
Dessin : Rémi Gourrierec
Editeur : Delcourt
Collection : Shampooing
Dépôt légal : 15 février 2012
Format : 150 x 210 mm
Pagination : 192 pages noir et blanc
ISBN : 978-2-7560-1933-8
Prix Public TTC France : 13,95 €
Illustrations © Gourrierec et Delcourt (2012)
