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Apocalypse zombie
Jonathan Maberry
Castelmore, traduit de l’anglais (Etats-Unis), fantastique, 412 pages, février 2012, 15,20€

Avec un gros roman de près de cinq cents pages intitulé « Patient zéro », les éditions Bragelonne étaient les premières, en 2010, à publier Jonathan Maberry en France.
Techno-bio-thriller bourré d’action, d’adrénaline et de suspense, ce récit mettait en scène une menace terroriste basée sur l’utilisation à large échelle d’un agent infectieux pas tout à fait conventionnel transformant les êtres humains en créatures démentes et affamées de chair humaine.
Sur une thématique identique – le zombie – mais grâce à une tonalité totalement différente et un traitement diamétralement opposé, Jonathan Maberry a écrit, avec « Apocalypse Zombie », roman ciblant le segment de l’imaginaire « jeunesse » et publié aux Editions Castelmore dédiées à ce lectorat, un roman paradoxalement plus mûr, plus âpre et plus dense.



Mountainside, quelque part aux Etats-Unis. Une quinzaine d’années auparavant, la Chute a eu lieu, les zombies ont conquis l’ensemble du pays.
Derrière la Barricade, le reste du monde, le monde extérieur, à présent nommé la Grande Putréfaction. Depuis l’apocalypse zombie, quelques communautés survivent, quelques marchands ambulants lourdement armés et lourdement protégés, arrivent et repartent, quelques tueurs de zombies osent s’aventurer, seuls, à l’extérieur. Un extérieur auquel la majorité des habitants de Mountainside préfère ne jamais penser.

Benny Imura a quinze ans. Son plus lointain souvenir remonte à la Première Nuit, quand son propre père zombifié a attrapé sa mère, quand son grand frère Tom, à présent tueur de zombies, l’a sauvé de justesse. Benny voudrait lui aussi devenir tueur de zombies, mais ne veut rien avoir à faire avec Tom : il est persuadé que celui-ci n’a rien fait pour sauver sa mère. Et il idolâtre d’autres tueurs de zombies, des héros monolithiques n’hésitant pas à conter leurs exploits.

C’est dans ce contexte post-apocalyptique que Benny grandira, et, suivant malgré tout son frère dans le monde extérieur, découvrira, à travers ses aventures et errances dans la Grande Putréfaction, une réalité tout autre que ce qu’il croyait. Une réalité abominable devant laquelle il sera bien obligé d’ouvrir les yeux. Pour le lecteur, la maturation d’un personnage qu’il sera difficile de ne pas voir comme la maturation du genre lui-même.

L’une des grandes forces de ce récit est de parvenir, sans que cela ne paraisse forcé ou artificiel, à multiplier les points de vue des différents protagonistes, ou, par l’expérience de Benny, les différents points de vue successifs d’un même individu. La structure purement romanesque du récit de Jonathan Maberry ne l’autorise pas à multiplier ces approches à l’infini, comme cela avait été possible à Max Brooks dans « World War Z », ouvrage présenté comme un documentaire et basé sur la multiplicité de témoignages, mais Maberry parvient malgré tout à surprendre.
Ainsi, la Première Nuit est-elle rapidement contée par un artiste, alors occupé à faire des croquis dans un poste de police. «  Et moi, je restais planté là à regarder. C’était à cause de toutes ces couleurs, tu vois. Du rouge vif. Le blanc pâle de la peau exsangue. Les lèvres grises, les yeux noirs. Le bleu des uniformes. Les arcs électriques blanc-bleutés, quand ils utilisaient leur taser. C’était d’une beauté malsaine. » En quelques phrases à peine, Maberry pointe du doigt, résume, synthétise, décrit cette tendance qui, à travers livres, films et bandes dessinées s’est développée au cours de ces dernières années : l’esthétique zombie.

Il ne s’agit là que d’un détail parmi les trouvailles de l’auteur. On pourrait en citer bien d’autres, par exemple la manière dont Jonathan Maberry fait des cartes à collectionner une zone intermédiaire entre réel et fiction, entre les fantasmes adolescents et l’abominable découverte du réel. Ces cartes, dont certaines donnent à Benny l’impression de se trouver ailleurs, « dans un endroit où soufflait un vent chaud et sec, où les arbres étaient morts, où des ossements d’un blanc étincelant gisaient à même le sol, où le ciel était aussi dur et sombre que l’agent azurant sur le canon d’un pistolet  » ont une histoire à la fois multiple et complexe.
En jouant sur l’usage classique de la fiction, en évoquant sans jamais les nommer ces jeux de cartes de l’armée américaine figurant des individus bien réels à abattre, Maberry délimite une zone frontière à la fois trouble et mouvante, un espace fictionnel qui est celui dans lequel l’adolescent se débat, entre ses conceptions d’enfant et ce que lui dévoilent peu à peu ses propres expériences.

Avec un grand sens de la composition, Jonathan Maberry fait alterner les rythmes, qui ralentissent ou au contraire se précipitent au gré de l’action. Il n’hésite pas à écrire des chapitres volontairement très lents, ceux du cheminement, quand, pas à pas, fragment d’idée par fragment d’idée, le grand frère de Benny lui fait comprendre, accepter, assimiler cette réalité que tout en lui refuse.
Pour autant, l’auteur ne délaisse ni l’action ni les fondamentaux du genre : l’attaque de l’adolescent isolé par un voisin zombifié, le champ de zombies qu’il faut absolument traverser, l’inexorable submersion par une horde de zombies en bordure d’une autoroute, les poursuites et traquenards, les règlements de compte dans la Grande Putréfaction. Et l’inévitable Fille Perdue, qu’il faut absolument retrouver dans ce monde dépourvu de foi, de loi, et même d’humanité.

Car cette notion d’humanité perdue représente sans doute l’aspect fondamental du roman de Maberry. S’il est difficile d’en dire plus sans dévoiler l’un des contenus essentiels du récit, que l’on sache cependant qu’un des aspects primordiaux est de déterminer ce qui est le plus, ou le moins, humain. Ce qui est l’ennemi ou ne l’est pas : les zombies, les hommes, la peur elle-même, ou l’abandon de tout projet, de tout espoir. Ce que peut être, ce que doit être le respect pour les morts, ou pour ceux qui ne le sont pas vraiment.

Souvent sensible, parfois bouleversant, « Apocalypse Zombie  » atteint, à l’occasion de quelques chapitres, l’intensité dramatique de romans façon Conrad ou de « Sa Majesté des Mouches » de William Golding. Ou, pour rester dans le genre, de longs métrages comme le « Vingt-huit jours plus tard » de Danny Boyle ou le « Vingt-huit semaines plus tard  » de Juan Carlos Fresnadillo.

« Apocalypse zombie » est donc un roman pleinement mature qui, s’il a été publié chez un éditeur ciblant les adolescents, ferait honneur à bien des collections dites adultes.
A noter également, pour finir, la remarquable couverture d’Anne-Claire Payet, qui, sur une telle thématique, évite avec soin les habituels travers de la mise en image tapageuse : à la fois sombre, sobre et âpre, elle illustre à la perfection l’ambiance et le contenu du roman.


Titre : Apocalypse Zombie (Rot and Ruin, 2010)
Auteur : Jonathan Maberry
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) : Arnaud Demaegd
Couverture : Anne-Claire Payet
Éditeur : Castelmore
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 412
Format (en cm) : 14,3 x 21,3 x 3
Dépôt légal : février 2012
ISBN : 978-2-36231-042-3
Prix : 15,20 €



Hilaire Alrune
1er mai 2012


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