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Le Pacte des Immortels
Eric Nylund
Castelmore, traduit de l’anglais (Etats-unis), fantastique / fantasy, 444 pages, avril 2011, 12,90€

Immeuble Oakwood, Del Sombra, Californie. Eliot et Fiona, deux jumeaux orphelins, approchent de leurs quinze ans. Ils vivent avec leur grand-mère tyrannique, qui, ayant décidé de ne jamais les scolariser, les afflige de devoirs en tous genres et les met à l’abri de toutes distractions à l’aide d’une nuée de règles contraignantes. La règle 55, nommée « antifabulation » précise qu’« aucun livre, bande dessinée, film ou autre média appartenant au genre de la science-fiction, du fantastique ou de l’horreur n’est autorisé. » C’est dire si la vie est dure. Sans compter que la même grand-mère, pour les aider à forger leur caractère, les oblige à travailler régulièrement à la pizzeria voisine.
Pourtant, le rythme bien établi des tâches quotidiennes peu à peu se fissure et d’étranges personnages s’imposent dans leur existence.
Progressivement, les adolescents comprennent qu’ils sont le fruit de la rencontre entre deux familles diamétralement opposées, et que ces deux familles sont prêtes à tout pour les faire disparaître.



Entre le marteau et l’enclume

Quoi de plus banal qu’une vieille vendetta entre familles ? Il n’y aurait assurément guère à s’étonner si lesdites familles n’étaient composées d’Immortels, dieux anciens de la mythologie antique ou équivalents contemporains. C’est ainsi que si le Conseil de la Ligue, rattaché à la lignée maternelle des enfants, comprend des membres en apparence humains mais dont les pouvoirs terrifiants ne se révéleront que petit à petit, le Directoire, composé d’individus de la famille paternelle des jumeaux, comprend des entités tels que Baal, Monarque des Terres Foudroyées et Prince des Faux Dieux, Sealiah, Maîtresse de Selicérane, la Lame Assoiffée de Meurtres, Lev, Maître des Mers Abyssales Infinies, Abby, Servante de l’Armageddon et Maîtresse du Palais des abominations, Ashmed, Architecte en Chef du Mal, et enfin l’extravagant Oz, Maître des Marasmes du Glamour et du Cirque Extravagigantus Damnationem. Voilà de quoi apporter un peu de piquant à l’existence désespérément morose des jumeaux.

Car en effet ces jumeaux, fruits de l’amour interdit entre deux membres de ces Familles, doivent en principe être éliminés. Mais un pacte de non-agression entre ces Familles ne doit pas être violé, d’où débats et arguties d’allure juridique : si les enfants sont simplement humains, nul obstacle à leur disparition ; s’ils tiennent de l’une ou l’autre famille, il devient plus difficile de les occire. Car si l’on n’hésite guère, à la manière des princes italiens, à s’assassiner au sein même des Familles, le pacte doit être respecté : sous peine de déclencher une guerre nouvelle, les uns ne doivent en aucun cas, dans leur précipitation, assassiner des enfants qui feraient partie de la Famille adverse. Les jumeaux devront donc traverser diverses épreuves pour découvrir leur véritable nature. Des épreuves atypiques, car, comme le précise un des personnages, le classique a fait son temps : “Tuer l’Hydre ou ramener Cerbère des Enfers... qui s’en soucie à l’heure actuelle ?

L’omniprésence des livres

Si les péripéties sont bel et bien là, si la poésie n’est pas tout à fait absente, si la gastronomie n’est pas en reste – on notera les splendides descriptions de procédures de fabrication du chocolat tentateur, dans la lumière filtrée par les vitraux d’une chapelle reconvertie et à l’aide de mélangeurs à billes d’or – si la musique prend également une très belle place dans l’histoire – notons le magnifique chapitre ou Eliot subjugue l’assistance avec un récital improvisé – la véritable toile de fond de l’ouvrage reste le monde des livres. Que ce soit à travers ceux qui occupent le moindre recoin de l’appartement d’Oakwood – près de cent mille volumes – que ce soit par la bibliothèque d’un membre divin de la Famille, s’étendant “sur trois étages agrémentés de balcons en fer forgé” et pourvue “d’échelles cuivrées coulissant sur des rails, menant à des passerelles couvertes” , ou que ce soit, enfin, par les innombrables notes de bas de page.
Car, en effet, Eric Nylund s’amuse à mêler d’un bout à l’autre les références réelles et fictives, et les amateurs d’apocryphes ne manqueront pas d’y trouver une abondante matière. Citons, entre autres, un « Atlas des livres extraordinaires » de Victor Golden, l’« Encyclopédie St Hawthorn de la botanique du Nouveau-Monde et au-delà », un hypothétique « Guide pratique des premiers secours et de la chirurgie d’urgence  » commandé par Napoléon à Marcellus Masters, les très détaillés « Dieux du premier et du vingt et unième siècles » (en plusieurs dizaines de volumes), ou l’édition Beezle du « Mythica Improbica  », consacré aux légendes urbaines, et que les deux enfants finiront par découvrir dans une cave.

Un ouvrage rythmé, attractif et plaisant


Outre les péripéties, outre les caractères bien rendus des enfants et des autres protagonistes, l’ouvrage est enrichi de nombreuses énigmes, devinettes, remarques savantes ou farfelues qui apportent une touche d’érudition et d’humour. Adolescents, et peut-être même adultes, sauront désormais reconnaître les membres de leur entourage affligés d’omphaloscopie chronique et apprendront, par exemple, que les pizzas ont été inventées au IIIème siècle avant Jésus Christ, quelles sont les relations entre le jeu de dés et la physique quantique, quelle est la plus petite espèce de la famille des manchots, et quel rapport on peut bien trouver entre les harengs et les aurores boréales. Ils seront également lancés sur des pistes à éclaircir par eux-mêmes, comme de déterminer si le jeu de yo-yo a bel et bien été inventé par des tribus polynésiennes, “qui les utilisaient pour fracasser les crânes avec une précision mortelle” , ou si l’existence de l’insurpassable cacaotier d’argent, au sujet duquel Herman Cortes lui-même aurait certifié qu’en regard du produit obtenu, “tous les autres chocolats avaient un goût de terre ”, sont d’authentiques vérités historiques ou de simples fictions.

Une fin abrupte

Alors que l’intrigue progresse crescendo, alors que l’on apprend qu’il existe d’autres Familles – des écrivains hippies dans le Comté de Seco au Nouveau-Mexique, les Scalagari de Sicile, les Rêveurs, les Infernaux –, alors que l’héroïne, frappée par la proximité éventuelle de sa propre mort, décide, au cas où les jours à venir seraient pour elle les derniers, de les passer sans son addiction et pour cela parvient à se débarrasser de sa boîte de chocolats infinie, Eric Nylund propose une fin abrupte, un cliffhanger subit, un gambit au terme duquel l’addiction se retrouve brutalement transférée d’un personnage du roman au lecteur lui-même. Car c’est bien un manque que le lecteur, qui s’est volontiers laissé happer par cette histoire, ressent tout à coup. Un manque suffisant pour le pousser – malgré la conviction que ce stratagème est aussi vieux que le monde, aussi vieux que les dieux décrits dans cette histoire – à aller se plonger dans le volume qui lui fait suite. Car si l’ascendance divine des personnages de ce roman apparaît évidente, celle des lecteurs n’est hélas guère envisageable, et ces pauvres humains et faibles mortels seront toujours à la merci des ruses des dieux, des auteurs et d’autres démiurges.


Titre : Le Pacte des Immortels (Mortal Coils, 2009)
Auteur : Eric Nylund
Traduction de l’anglais (Etats-unis) : Emmanuelle Casse-Castric
Couverture : Miguel Coimbra
Éditeur : Castelmore
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 444
Format (en cm) : 14,3 x 21,4 x 3,5
Dépôt légal : septembre 2011
ISBN : 978-2-36231-026-3
Prix : 14,90 €



Hilaire Alrune
2 avril 2012


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