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Rafale (La) (T1) Les Rails rouges
P Cothias, P. Ordas & Winoc
Grand Angle

Si les récits de guerres sont nombreux dans le monde de la BD, ceux qui concernent la guerre d’Indochine le sont beaucoup moins.
Cet ouvrage écrit à quatre mains propose une vision humaniste de ces événements troubles de l’Histoire de France. Ce roman graphique ne présente ni gentil, ni méchant, mais seulement des individus sincères, à la psychologie complexe et aux idéologies différentes.
Sous les yeux de deux protagonistes, le français Frédéric Daguet et la vietnamienne My Linh, le lecteur découvre les désirs profonds des deux camps.
Mais est-ce suffisant pour traiter d’un sujet si peu représenté aujourd’hui ?



La guerre d’Indochine a fait rage entre 1946 et 1954. Plus de soixante ans plus tard, ce passage sombre de l’Histoire de France laisse encore des séquelles. Les points de vue s’affrontent, les non-dits demeurent.
Patrice Ordas et Patrick Cothias sont deux passionnés d’Histoire. Le premier a d’ailleurs été primé pour ses romans historiques. Ensemble, les deux hommes ont réalisé plusieurs ouvrages comme “L’Ambulance 13”, “L’œil des dobermans” ou “Le Fils de l’officier”.

Le scénario de cet album se base sur des faits historiques : en 1948, des légionnaires ont blindé un train pour en faire un convoi militaire sensé garantir la « pacification » de la piste Hô Chi Minh. Ce réseau de sentiers, qui serpentaient à travers la jungle et la montagne, approvisionnait en armes et en matériel les combattants rebelles du Sud-Viêt Nam. Le contrôle de cette zone constituait donc un point stratégique majeur du conflit. On estime aujourd’hui que plusieurs dizaines de milliers de personnes sont morts autour de cette piste tristement célèbre.
Dans cette histoire, un jeune ingénieur du Chemin de fer Transindochinois, Frédéric Daguet, est forcé d’aider les légionnaires français à militariser leur train, « La Rafale ». Il est « réquisitionné », en quelque sorte, et intègre le deuxième corps étranger de l’armée française. Sa mission : embarquer sur le train et assurer sa maintenance. Il a été choisi pour sa connaissance des trains et des armes en tant qu’ancien résistant. Pas facile pour ce communiste d’intégrer un régiment composé, en partie, d’anciens officiers SS. Dans l’autre camp, la lutte pour l’indépendance du pays s’organise. Après s’être prostituée pour distraire la vigilance des colons et mieux les espionner, la jeune My Linh prépare l’offensive. Pour la liberté, la destruction du train et de son équipage est maintenant une priorité.

Les auteurs se sont refusés à tout manichéisme, confrontant tous les points de vue avec une certaine empathie. Il n’y a pas de méchant dans cette BD, mais des soldats, des combattants, des patriotes, des utopistes… des hommes et des femmes prêts à tout pour une doctrine qu’ils croient meilleure.
L’Indochine française était un gigantesque territoire qui couvrait notamment les actuels Cambodge, Laos, et Viêt Nam. Au sein de l’ancienne capitale Saïgon, l’orient et l’occident cohabitent, des amitiés se tissent, des couples se forment… mais le conflit demeure entre ces peuples que tout oppose. Les relations étroites entre les individus, qu’elles soient sincères ou calculées, ne peuvent pas effacer les revendications collectives et légitimes d’indépendance. Cet album retranscrit de façon assez fine la dualité des sentiments qui devaient animer les acteurs de l’époque.
Aidé par un dessin de haut vol, on découvre l’ambiance nocturne des rues de Saïgon, celle des bars à filles et des ruelles obscures. On constate également la dangerosité de la jungle et des campagnes environnantes. Les relations complexes entre les hommes enrichissent considérablement le récit. A cette période, la légion étrangère accueillait un grand nombre de nationalités et d’idéologies différentes : anciens de la Wehrmacht, Russes, et Français se rassemblaient sous un même drapeau mais ne partageaient pas les mêmes idées. La « famille » de légionnaires constitue ainsi la pierre angulaire de cette histoire.

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Patrice Ordas et Patrick Cothias se sont beaucoup documentés avant d’écrire leur scénario. De nombreux personnages, comme les légionnaires, ont d’ailleurs existé, bien que leurs noms aient été changés dans ce livre. Cette liberté avec la vérité historique s’explique par la volonté des auteurs de protéger l’intimité des personnes, car certains sont encore vivants. La plaie laissée par cette période sombre de l’histoire française n’est sans doute pas encore totalement cicatrisée. Comme l’explique Ordas : « la Légion reste très discrète sur ses actions et il n’a pas été simple de réunir la documentation nécessaire au récit ». Si vous le souhaitez, vous pourrez cependant retrouver quelques documents d’archives sur le Net.

Cependant, cette BD n’est pas un rapport historique strict. Tant mieux d’ailleurs. Elle présente assez bien le conflit en Indochine française et les tensions entre les peuples, mais elle n’explique ni les origines des événements, ni le contexte géopolitique en 1948. Ce roman graphique est donc plus proche du récit d’aventures que du livre d’Histoire. Il est néanmoins assez bien construit pour donner envie au lecteur curieux d’aller rechercher quelques informations complémentaires par lui-même.

Le rythme soutenu de ce premier opus renforce l’impression de lire une épopée romanesque. L’ensemble est dynamique, fluide et se lit d’une seule traite. Les auteurs ont réussi à poser l’univers de leur scénario, pourtant dans un contexte historique lourd, sans avoir recours trop souvent aux encarts narratifs. Tout (ou presque) est dit de la bouche même des personnages. Les rebondissements et les scènes d’action sont nombreux. Les plus critiques pourraient d’ailleurs s’étonner de la foule de mésaventures vécues par Frédéric Daguet. Pourquoi envoyer un ingénieur vérifier l’absence d’explosif sous un pont alors que le train est bondé de militaires ?

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Les dessins de Winoc, qui a participé aux séries “Cliff and Co” et “Traffic”, sont riches et fourmillent de détails. Comme je le disais plus haut, les environnements indochinois sont particulièrement bien retranscrits. Certaines cases font penser à des photographies d’époques, sans doute le résultat de l’important travail préparatoire (comme le prouve l’image ci-dessus). Les couleurs de Nadine Voillat (qui a également participé à la série “Cliff and Co”) mettent parfaitement en valeur ces dessins et contribuent à l’ambiance générale. Surtout dans les scènes de pénombre. Certaines planches, je ne sais pas pourquoi, font un peu penser aux BD des années 70-80 comme “Jonathan” de Cosey. Ce petit côté classique, presque désuet, sied parfaitement à ce genre d’ouvrage.
Le cadrage reste classique mais permet une lecture rapide de l’ensemble. Un bémol toutefois : je ne comprends pas pourquoi, à l’intersection des pages 14 et 15, on se retrouve avec une image verticale illisible à la pliure des pages. C’est d’autant plus regrettable que cette image, représentant le train serpentant dans la jungle, est assez jolie. Mais tout n’est pas perdu, vous pouvez contempler ce dessin sur la brève publiée en fin d’année dernière. Merci la Yozone !

Il ne me vient aucune autre BD en tête qui traite exclusivement de la guerre d’Indochine. A ma connaissance, seule la série “Tramp” avait consacré quelques épisodes à ces événements. Je n’ai donc pas de véritables éléments de comparaison sur la façon dont le thème est traité.
Si vous aimez les histoires de trains blindés, je vous invite fortement à vous (re)plonger dans l’excellent “Corto Maltese en Sibérie” d’Hugo Pratt.

Quoi qu’il en soit, ce premier opus reste cohérent et réussi. Le scénario, basé sur des faits historiques, est captivant et les dessins, détaillés et précis, confèrent à l’ensemble un univers particulièrement réaliste. Une belle introduction à l’ouverture d’un livre d’Histoire, dynamique et facile d’accès.
La série est prévue en trois tomes. Espérons que les prochains épisodes seront aussi immersifs et qu’ils nous en diront un peu plus sur les origines de ce sombre conflit. On peut d’ores et déjà s’attendre à une confrontation des idéologies dans le cœur de Frédéric Daguet. Pas facile d’être communiste, profondément antimilitariste, et participer à une expédition de pacification en territoire indochinois…


(T1) Les Rails rouges
- Série : La Rafale
- Scénario : Patrick Cothias et Patrice Ordas
- Dessin : Winoc
- Couleur : Nadine Voillat
- Editeur : Grand Angle
- Dépôt légal : 4 janvier 2012
- Format : 220 x 290 mm
- Pagination : 48 pages couleurs
- ISBN : 978-2-8189-0840-2
- Prix Public TTC France : 13,50 €


La Rafale © Bamboo Édition 2012 - Patrick Cothias, Patrice Ordas, Winoc



Allison & Julien
21 mars 2012




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