Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Féerie pour les Ténèbres, l’Intégrale : Volume 1
Jérôme Noirez
Le Bélial’, Kvasar, 2 romans et une nouvelle (France, 2004 et 2005), fantasy hors normes, 612 pages, février 2012, 25€

Des profondeurs de la terre surgit la Technole, les vestiges d’un ailleurs inconnu. Les inclusions (les bâtiments, les routes, les lignes ferroviaires, d’électricité…) et les rebuts (les matériaux et objets divers) ont transformé l’existence des habitants. La puissante caste des rebuteux fouille les tas d’immondices pour en extraire les trésors.
C’est dans cette drôle de société entre médiévisme et technologie mystérieuse qu’une jeune fille est retrouvée sauvagement assassinée. Ses os en plastique interloquent l’officieur de justice Obicion. Son enquête le poussera à rencontrer la plantureuse dame Plommard, l’ancienne amante du défunt féeur d’Ando, Dandin, ainsi que Malgasta, une femme de caractère et aux attributs féminins fascinant la gent masculine, qui vient d’éventrer dame Plommard, loin de se vider de son sang.



Si cette trilogie m’était connue, car sa sortie originale chez Nestiveqnen avait déchaîné les passions, je n’avais jamais franchi le pas de sa découverte. Les nouvelles de Jérôme Noirez lues à droite à gauche, dans « Bifrost 53 » et « Bifrost 64 », ainsi que dans l’anthologie « Zoo Criminel », ne m’avaient pas vraiment donné envie de lire un de ses romans.
Aussi les deux volumes de cette intégrale de « Féerie pour les Ténèbres » m’ont offert la possibilité de découvrir plus avant cet auteur, présenté comme un des plus originaux de l’Hexagone.

Première surprise, les livres eux-mêmes en tant qu’objets. Placées côte à côte, les deux couvertures, en pelliculage mat avec un vernis sélectif brillant pour les titres et le logo de l’éditeur, présentent la superbe illustration d’Aurélien Police dont le style colle bien à l’imagination de Jérôme Noirez. Rabats intérieurs, façonnage, cousu, la qualité est au rendez-vous et rien qu’en tenir un en mains provoque le désir de l’ouvrir pour s’attaquer à la prose noirezienne.

JPEG - 17.3 ko


Cette intégrale de « Féerie pour les Ténèbres » reprend bien sûr les trois romans d’origine, mais aussi six nouvelles, dont deux inédites, appartenant à cet univers. Toutefois, “Chat écorché ne craint plus l’eau froide” était tout d’abord intégrée en tant que prologue à « Les Nuits Vénéneuses » dont le titre est devenu pour l’occasion « Le Sacre des Orties ».
Dans ce premier volume, les tomes un et deux, « Féerie pour les Ténèbres » et « Le Sacre des Orties » ont été révisés.

La brève présentation ne donne qu’un aperçu du début de « Féerie pour les Ténèbres », le tome un de la trilogie, qui installe le décor et les principaux personnages que l’on retrouvera tout au long des trois tomes. Résumer les deux volets initiaux tient de la gageure, tellement l’imagination de Jérôme Noirez déborde dans tous les sens.

La technologie n’a pas forcément besoin d’être comprise pour être utilisée. Tombée du ciel ou plutôt éructée par l’En-Dessous (comprendre sous la surface), la Technole joue un rôle important dans l’histoire, car elle donne un contrepoint à la magie des féeurs d’Ando et offre de multiples développements au récit. Il suffit de suivre les tribulations du Bruchedos - assemblage hétéroclite appartenant à la classe des automobiles !- dans « Le Sacre des Orties » pour s’en convaincre.
Les épées côtoient les pistolets rouillés manquant de vous péter à la gueule à la moindre sollicitation, les télévisions montrent de la neige et quand des images s’y étalent, ce n’est pas bon signe… Même les idées parviennent à franchir la barrière. Et ce n’est pas pour la bonne cause !

Aurélien Police a saisi l’étrangeté de ce monde, pollué dans tous les sens du terme. Jérôme Noirez donne une seconde jeunesse à nos fonds de poubelle, aux contenus des déchetteries, aux ruines ; nos immondices transforment cette civilisation et font des heureux.
Autant que je puisse en juger, nous sommes en présence de fantasy, mais d’une fantasy balayant tout ce que l’on aurait pu lire auparavant. Une fantasy dépoussiérée, détournée, rajeunie par l’injection massive des bienfaits (!) de notre société. Un vrai coup de maître !
Le lecteur n’est plus en territoire connu, balisé par les nombreux cycles se ressemblant de près ou de loin. Ici, il rentre en terrain noirezien, faisant fi des frontières, des conventions trop strictes et ne demandant qu’à être abolies pour interpeller les curieux.
Un peu à l’image des trois palais royaux, vaste labyrinthe de pièces, où vivent aussi bien les vivants que des morts dans les étages intermédiaires.

Les personnages mis en scène ne sont pas des coquilles vides, ils sont très bien décrits et possèdent la touche d’originalité les rendant attachants. Dans leurs rangs, ils comptent notamment deux enfants, une sœur et son frère, Grenotte et Gourgou, que rien n’effraie plus que d’être adoptés. Le mot parents les fait fuir, hurler à la mort ! Ils aiment manger, dormir, péter, roter… des occupations que ne renient pas les rioteux, les drôles d’habitants de l’En-Dessous.
Autre trouvaille géniale de Jérôme Noirez qui, loin de pervertir le seul paysage, corrompt aussi l’humain. Voilà bien longtemps, l’empereur Chincheface se plaisait à mutiler ses sujets. Une main par-ci, un pied par-là, une oreille… chaque bout étant jeté dans un trou. À la fin, le peuple meurtri s’est rebellé et l’a balancé dans son maudit trou. La légende veut que ces agissements aient donné naissance à une nouvelle race, celle des rioteux comprenant différentes classes. Ne vous étonnez donc pas de croiser le chemin d’un fraselé, un être aux nombreux membres surnuméraires, ou un esmoigné (par exemple, une jambe surmontée d’un ventre).

Vous l’aurez compris, l’auteur possède une imagination débordante, son délire est contagieux et il est quasi impossible de ne pas y plonger. Mais cette fertilité des idées ne fait pas tout et, heureusement, le style s’avère à la hauteur. L’écriture est fluide, elle n’accroche pas, malgré des digressions ne servant pas forcément le récit mais renforçant l’ambiance générale. Thopasion, le conducteur fou du Bruchedos, possède une casquette Tour de France 1985. Il ignore la signification de ce terme, mais trouve extrêmement troublant qu’en additionnant les chiffres, il parvienne à un total de 23. Allez savoir pourquoi ! Rassurez-vous, Thopasion n’en sait pas plus. Pour décrire cela, les mots de Jérôme Noirez font merveille.

Parler davantage de ce premier volume de l’intégrale de « Féerie pour les Ténèbres » serait vain, il mérite d’être découvert livre en main. Le contenant comme le contenu ne déçoivent pas. L’histoire est prenante, étonnante et, entre rires et gravité, dérangeante. Jusqu’à la dernière ligne, l’auteur démontre qu’il est capable de tout.

Après quelques textes épars, Jérôme Noirez a achevé de me convaincre de son talent et de sa voix à nulle autre pareille. À un moment, j’ai bien pensé à Brussolo période Fleuve Noir Anticipation, mais sur l’ensemble, il m’a semblé surpasser cette référence.

Lisez du Noirez, mangez-en, écoutez-en, car il a poussé le vice jusqu’à composer une bande-son accompagnant cette féerie hors normes.

Une œuvre tout simplement magistrale !

Autant dire que dans la foulée, j’ai ouvert le volume deux dont « Le Carnaval des Abîmes » poursuit l’aventure entamée aux travers des deux premiers romans.


Titre : Féerie pour les Ténèbres, l’Intégrale
Premier volume composé de : Féerie pour les Ténèbres, Chat écorché ne craint plus l’eau froide (interlude) et Le Sacre des Orties, les présentes éditions sont révisées par l’auteur
Auteur : Jérôme Noirez
Couverture : Aurélien Police
Premières éditions françaises : Féerie pour les Ténèbres (Nestiveqnen, 2004), Chat écorché ne craint plus l’eau froide (interlude) et Le Sacre des Orties (Nestiveqnen, 2005 sous le titre Les Nuits Vénéneuses, la nouvelle en constituant le prologue)
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Kvasar
Directeur de la collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur), la bande originale, l’illustration d’Aurélien Police
Pages : 612
Format (en cm) : 15,1 x 22
Dépôt légal : février 2012
ISBN : 978-2-84344-108-0
Prix : 25 €



Autres livres de Jérôme Noirez chroniqués sur la Yozone :
- « Leçons du Monde Fluctuant »
- « Le Diapason des mots et des misères »
- « L’Empire Invisible »
- « Fleurs de Dragon »
- « Le Shôgun de l’Ombre »


François Schnebelen
14 mars 2012


JPEG - 23.7 ko
Illustration d’Aurélien Police pour le volume un de l’intégrale de Féerie pour les Ténèbres (Le Bélial’, 2012)



JPEG - 15.8 ko
Illustration de Todd Lockwood pour Féerie pour les Ténèbres (Nestiveqnen, 2004)



JPEG - 15.2 ko
Illustration de Eikasia pour Les Nuits Vénéneuses, titre devenu Le Sacre des Orties (Nestiveqnen, 2005)



Chargement...
WebAnalytics