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Fille de l’eau (La)
S. Goerg
Dargaud

Un curieux accident de pédalo amène un adolescent, Damien, au pied d’une somptueuse villa, appartenant à un richissime sculpteur récemment décédé, et surplombant le lac.
Trempé, le jeune homme est accueilli par la famille du défunt.
Mais qui est cet individu, aux traits étrangement féminins, qui cherche, par tous les moyens, à cacher son identité et la véritable raison de sa présence sur les lieux ?
La soirée va être longue et riche en rebondissements…



Damien s’appelle en réalité Judith. A seize ans, elle vient d’apprendre la mort de son père biologique qu’elle n’a jamais rencontré. Pour se construire, elle doit connaître ses origines, observer la vie d’une famille qui lui ressemble, du moins génétiquement. Elle ne regrette pas sa propre vie, mais elle doit comprendre celle de l’homme qui l’a engendrée. Son père était un grand artiste, un sculpteur de renom. Cette reconnaissance lui a permis d’offrir le meilleur à sa famille, comme cette somptueuse maison d’architecte, au milieu d’une nature sauvage et majestueuse, qui devient peu à peu le personnage central de ce drame familial.

Ce roman graphique consistant (près de 200 pages !) fut initialement publié sur le site Grandpapier sous le titre « Surface ». Cette plateforme de publication en ligne est née de l’initiative des éditions Employé du Moi. Or cette maison d’édition a justement été fondée en 2000 par l’auteur, Sacha Goerg. Pratique !
Le titre « Surface » était particulièrement bien trouvé. A première vue, tout est lisse dans cette BD : les façades de la villa, le lac qu’elle surplombe, les sculptures gigantesques qui parsèment le lieu, les relations entre les personnages… mais à première vue seulement. L’arrivée de Judith dans cet univers fragile va révéler, au fil des planches, les aspérités de la maison, les saillies dans la falaise qu’elle domine, les mécanismes cachés des sculptures, le mal-être des protagonistes.

Au détour des bruits entendus derrières les portes closes, pendant le diner et la nuit qui suit, Judith fait la connaissance de Sonia, la mère, et Mattew son fils de quinze ans. Son propre demi-frère donc. L’atmosphère est lourde, croulant sous le poids des non-dits et de ce que chacun considère comme un secret. Le but de la soirée étant d’organiser l’exposition posthume du père de Judith et Mattew, quelques invités participent au repas. L’alcool aidant, les langues se délient, l’intimité de chacun se dévoile, les personnages deviennent attachants, même aux yeux de Judith.
En une soirée, l’adolescente va découvrir les failles de cette famille démembrée et de leurs proches amis. En une soirée, les souvenirs honteux vont ressurgir, les secrets vont être dévoilés, les vices vont se révéler. Aux côtés de Judith, son père imaginaire (ou le fantôme de son père), bonhomme rond et monochrome, assiste à ces scènes et les commente pour elle.

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Ce père fantomatique n’est pas le seul élément fantastique du récit. De nombreux effets sont réunis pour donner un aspect onirique au récit, ne serait-ce que l’absence de cadre aux images qui renforce cette impression de rêverie. Ce côté imaginaire, cher aux travaux de Sacha Goerg, adoucit l’aspect dramatique du récit. La douleur des personnages est palpable, mais elle est atténuée par la poésie qui se dégage à la lecture. L’ambiance qui se dégage de ce livre est très particulière et assez difficile à décrire.
Ne vous attendez pas à une tragédie grecque. Ne vous attendez pas non plus à une BD intello. Cet ouvrage est subtil, riche, presque sensoriel et reste accessible à tous. Sans doute est-ce dû aux superbes aquarelles qui constituent cet album. La psychologie des personnages est complexe et parfaitement mise en scène dans ce huis clos. Il est d’ailleurs parfois déconcertant de constater le décalage créé entre le récit et certains dessins. Le scénario se veut pudique, à l’image des non-dits familiaux, mais, à l’inverse, certaines images apparaissent particulièrement crues et choquantes. Les scènes d’amour sont explicites. La simple dégustation d’une pièce de viande, dans une ambiance assez tendue et malsaine, devient une séquence atroce et sanguinaire. Ainsi, l’auteur aime jouer avec les métaphores. Les dessins racontent finalement beaucoup plus l’histoire que le discours des intervenants. Les expressions telles que « se noyer dans ses problèmes », « faire tomber les masques » et « repartir de zéro pour tout reconstruire » prennent ici leur sens premier. Sous les yeux de Judith, les fissures s’élargissent, qu’elles soient sur les murs ou dans les cœurs.

J’ai particulièrement apprécié le passage où l’adolescente découvre une gigantesque sculpture monolithique mauve créée par son père. Après s’être glissée dans l’imposante structure, elle peut enfin exprimer son mal-être à son père imaginaire. Le décor est alors monochrome, sans contour, invisible pour le lecteur. Seule la posture des personnages nous laisse deviner la topographie des lieux.
Pour profiter pleinement de la lecture de cet album, il faut se laisser porter par ce conte initiatique, sans chercher à l’intellectualiser. S’immerger dans ce récit d’apprentissage et accepter les événements parfois très surprenants. Libre à chacun, ensuite, d’interpréter ces événements irréalistes (comme le tremblement de terre ou la sculpture gonflable).
Sans vous en dire trop, je peux d’ores et déjà vous prédire une fin apocalyptique. Mais c’est sans doute le meilleur pour Judith de trouver sa place au sein de cette famille en reconstruction.

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Une attention particulière a été portée aux couleurs de ce one-shot. Les spécialistes identifieront un travail à la plume et à l’encre de chine, apposé directement sur les esquisses. Les décors aux teintes légères, façon aquarelle, mettent parfaitement en valeur la végétation des lieux. Ce style renforce d’ailleurs l’ambiance éthérée du récit. Pour trancher avec cette nature délicatement colorée, les éléments appartenant au père disparu, comme la maison ou les sculptures contemporaines, sont massifs, géométriques, de couleurs vives et monochromes.
Les personnages sont distinctifs et possèdent une palette d’expressions variée. Certains ressemblent d’ailleurs aux héros des précédentes publications de l’auteur. D’une manière générale, les dessins sont fins et restent précis malgré l’utilisation du pinceau dans la mise en couleur. Les graphismes sont épurés, aérés, et renforcent l’idée d’un temps suspendu, étiré, d’une atmosphère tendue. Par ces dessins, on peut observer le silence et les sentiments inavoués.
Sacha Goerg est amateur d’art plastique. Il a d’ailleurs travaillé dans un centre d’art et a conçu lui-même quelques œuvres contemporaines. Certaines de ses créations, planes et monochromes, font penser aux sculptures du père de Judith. Visiblement, l’auteur a compilé dans ses planches certains thèmes qui lui sont chers comme l’architecture, l’art contemporain, le monde du rêve, le décalage narratif et l’homosexualité.

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Sacha Goerg nous propose un récit complexe, dense, dont le discours, tout en retenu, s’oppose parfois au dessin onirique ou explicite. Cet album réussi connaîtra certainement un légitime succès auprès du public et offrira aux éditions Dargaud une juste médiatisation.
La BD fait partie de la sélection Dargaud pour le site participatif My Major Company BD. Ceux qui ont investi sur ce livre ont donc misé sur le bon cheval.


La Fille de l’eau
- Scénario : Sacha Goerg
- Dessin : Sacha Goerg
- Editeur : Dargaud
- Dépôt légal : 20 janvier 2012
- Format : 240 x 80 mm
- Pagination : 192 pages couleurs
- ISBN : 978-2-2050-6851-1
- Prix Public TTC France : 18 €


Illustrations © Sacha Goerg et Dargaud (2012)



Allison & Julien
26 février 2012




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