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Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps
Laurent Queyssi
ActuSF, Les 3 Souhaits, nouvelles (France), influence dickienne, 245 pages, janvier 2012, 12€

Un futur où on s’affilie à vie à une marque, comme symbole de soi, trop cool pour être honnête.
Un milliardaire qui sort de son cocon de richissime pour relever un défi à la hauteur de son intelligence, et qui bouleversera sa vie.
La règle secrète des choix décisionnels d’une série télé.
Un hommage à Fantômas.
Une réécriture du mythe dickien : et si Philip avait été sa soeur ?
Un univers virtuel irrémédiablement intégré au cours normal de son existence.
Le rock comme passeport pour les étoiles, et la terre en champ de bataille.
Et en finale, un space-opera re-génésique qui magnifie la plus belle ressource de l’homme : sa capacité à imaginer, raconter et faire partager.



Laurent Queyssi apparait dans notre paysage imaginaire il y a une demi-douzaine d’années, avec « Neurotwistin’ », aux Moutons électriques. Je le découvris dans l’indispensable « Dimension Philip K. Dick » de Rivière Blanche, et à la lecture de ce nouveau recueil, difficile pour le fan dickien que je suis de ne pas être emballé. La présence au sommaire du très bel hommage “707 Hacienda Way” coécrit avec Ugo Bellagamba est déjà alléchant.

Philip K. Dick (1928-1982) a influencé nombre d’auteurs, en dépit d’une prose que l’on pourrait qualifier d’imparfaite : dans plusieurs de ses romans comme nombre de ses nouvelles, il semble n’avoir su comment finir, et la plupart du temps opte pour une pirouette surprenante, tantôt agréable, tantôt à la limite de l’incompréhensible. On aime, on adore ou on déteste : Dick n’a jamais revendiqué un quelconque génie.

Laurent Queyssi pourra sans mal prétendre à cet héritage littéraire. Si son imaginaire recèle des concepts d’une grande originalité, et sa prose démontre un travail accordé à chaque ligne, mais tout comme pour le maître, une fois parvenu au point final, on hésite parfois entre émerveillement poétique ou déception.

Parfois, il nous arrive de partir sans savoir où nos pas nous mèneront. Il en est ainsi de certaines nouvelles de Dick, où l’arrivée est si loin du départ qu’on pourra hurler au vol et à la fumisterie. cette même impression m’a saisi une fois achevée la lecture de “Fuck City” ou l’éponyme “Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps” seul inédit du livre : le texte est sublime, les potentialités immenses, et le dernier paragraphe, faute d’une fin « logique », semble faire le choix de la moins bonne conclusion possible. Je n’arrive pas à ne pas aimer ces textes, très bien écrits, l’un ébouriffant, l’autre ancré dans un réel délirant, mais une petite déception demeure.

Génie ou gâchis, impression que le temps et la mémoire intervertiront peut-être, chacun se fera son opinion. Tout comme sur la déconcertante préface de Xavier Mauméjean, “Portrait en découpe sur écran”, long patchwork tiré semble-t-il de la vie numérique de l’auteur, où on en apprend trop et trop peu au travers de bribes accolées.

Les autres nouvelles semblent, en comparaison, plus rassurantes. Avec au menu de l’anticipation assez classique, mais excellente, dans “Sense of Wonder 2.0”, et un futur dominé par la vie virtuelle dans le très beau et poétique “Rebecca est revenue”. Le futur va encore un cran plus loin, dans le vaisseau spatial de “Nuit noire, sol froid”, qui clôt admirablement le recueil : là encore de forme très classique, mêlant le vaisseau-colonie qui termine son long voyage à la tradition des griots, trouvères et autres conteurs, il se termine non par une pirouette, mais une révélation, qui chamboule beaucoup de choses, mais pas notre compréhension intégrale du récit.

On découvrira la passion pour la musique de l’auteur avec la captivante et rock’n’roll “Planet of Sound” (co-écrit avec Jim Dedieu), qui mêle l’histoire d’un groupe de rock présentée de manière externe, via des interviews, des critiques professionnelles et des dossiers de magazine, à la révélation d’un fantaisiste conflit entre pro- et anti- aliens, qui luttent pour ou contre notre adhésion à une ligue stellaire. Notre niveau de rock étant le critère d’admission, les vrais rockeurs (soit, selon le texte, ceux qui n’ont jamais rempli un stade) sont notre sésame, et ceux qui ont succombé à la facilité, le nivellement par le bas et la séduction des foules sont des agents ennemis. Chaque page semble plonger le texte de plus en plus loin dans ce concept bien barré, et le final est d’anthologie. Ici, tout y est, le fond, la forme, le délire, et la fin magistrale.

Je ne dirais pas grand-chose de “La scène coupée (Fantômas, 1963)”, texte commandé pour l’anthologie « Les Nombreuses vies de Fantômas » (Moutons électriques). Le texte est bon, mais rend hommage à un personnage classique et au genre du feuilleton, et on s’interroge un peu sur sa présence dans ce recueil tout de même très orienté SF.

Une grosse vingtaine de coquilles viennent gâcher quelque peu le plaisir, et c’est d’autant plus regrettable que sept des huit textes avaient déjà été publiés.
Néanmoins, cette basse considération mise à part, il est très agréable de disposer enfin des nouvelles de Laurent Queyssi en un même volume. Le mieux sera de le savourer lentement, de laisser reposer chaque nouvelle avant, certainement d’y revenir.


Titre : Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps (nouvelles, 1999-2009)
Auteur : Laurent Queyssi
Nouvelles :
- Sense of Wonder 2.0
- Fuck City
- Comme un automate dément reprogrammé à la mi-temps (inédit)
- La scène coupée (Fantômas, 1963)
- 707 Hacienda Way (avec Ugo Bellagambla)
- Rebecca est revenue
- Planet of Sound (avec Jim Dedieu)
- Nuit noire, sol froid
Couverture : Greg Vezon
Éditeur : ActuSf
Collection : Les 3 Souhaits
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 245
Format (en cm) : 18 x 13 x 2
Dépôt légal : janvier 2012
ISBN : 978-2-917689-31-8
Prix : 12 €



Nicolas Soffray
16 février 2012


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