Or, pour survivre quand on est un géant - un géant contraint d’assumer les dépenses inhérentes à un suivi médical constant et, sous peine de succomber au poids de son propre corps, de se payer des vêtements à structure métallique, spécialement conçus pour accompagner sa croissance -, il n’est pas beaucoup de métiers possibles. Sauf celui de s’exhiber comme une curiosité de foire, bien sûr...

Une fatalité à laquelle Craig n’échappera pas, se soumettant ainsi aux questions intrusives d’une populace frivole et inconsciente de son drame personnel, ou bien conduisant la parade du Thanksgiving telle une grande, une incommensurable mascotte consensuelle. Tandis que, dans le plus grand secret, c’est pour la CIA qu’il officie, moyennant la prise en charge des coûts de sa vie d’homme et de sa vie de couple.

Puisque malgré sa dissemblance, Craig aura trouvé femme en la personne de Jo. Avec laquelle il a pour fille la tendre Iris. Avec laquelle il connaîtra un bref bonheur, avant que son irrépressible croissance ne les sépare irrémédiablement. Même s’il l’aime encore, cette artiste qui vit dans une petite maison construite au ceur de la sienne, qui est immense. Même si elle l’aimera toujours, ce grand garçon balourd dont elle constate qu’il ne l’entend plus, la tête dans les nuages. Alors qu’elle-même se réfugie dans la réalisation de miniatures lui rappelant les lieux où elle aura été tellement heureuse et si malheureuse...

Tiendrait-on là, sous les crayons volontiers parodiques et faussement puérils de Matt Kindt, une façon de parabole sur la chute annoncée d’une Amérique imbue de sa supériorité, au point de s’identifier à ce géant aux pieds d’argile auquel Mao-Tsé-Toung la compara jadis ? C’est une lecture possible, parmi bien d’autres, et sur laquelle l’auteur n’insiste pas vraiment. C’est plutôt du côté d’une histoire pour adolescents qu’il semble vouloir nous entraîner, d’une histoire pour adolescents qui ne veulent pas grandir. Si bien que cet album au contenu tragique démarque au plus souvent les pulps des sixties et leurs histoires magiques, ludiques, entrelardées de publicités et de fausses coupures de presse.

Une narration façon juvénile et que termine d’ailleurs Iris, déterminée qu’elle est à reconstituer la fin de la vie de son père. Entre autres pour en tirer un livre qui pourra la faire vivre, faisant ainsi du géant Craig Pressgang un véritable père nourricier, fût-ce par-delà la mort. Lui qui, n’en pouvant plus, avait fui sa famille pour se laisser mourir de faim en plein désert, du côté de Las Vegas, sans du tout révéler les secrets qui le minaient.

L’histoire secrète du géant
 Scénario er dessins : Matt Kindt
 Editeur : Futuropolis
 Parution : 6 mai 2011
 Pagination : 192 pages couleurs
 Format : 14,5 x 21 cm
 Numéro ISBN : 978-2-7548-0431-8
 Prix public : 24 €

Illustrations © Matt Kindt et Futuropolis (2011)