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Chanteur sans nom (Le)
A. Le Gouëfflec & O. Balez
Glénat

Rolland Avellis a tout fait pour rester inconnu. Après le recours à plusieurs pseudonymes, ce chanteur des années 30-40 trouve une parade sans faille : porter un loup noir et se faire appeler « le Chanteur sans nom ».
Le charme de ce mystérieux inconnu va opérer pendant quelques années auprès du public…
Et puis, le public va se lasser de ce mystère et le chanteur, qui n’aura rien fait pour marquer les mémoires, va sombrer dans l’oubli. Il décédera dans l’anonymat le plus total, dans un institut spécialisé, rongé par la maladie.
Environ soixante ans plus tard, un jeune homme découvre par hasard quelques objets ayant appartenu à Avellis. Il est temps de réveiller les fantômes du passé…



Le travail préliminaire de documentation d’Arnaud Le Gouëfflec est indéniable.
En préface, l’auteur présente, d’ailleurs, l’étonnante origine de son enquête. Tout a commencé avec le prêt d’un CD, un post laissé sur un forum internet et deux surprenants messages. Et comme il le précise : « Un témoignage, passe encore. Deux, c’était le signal qu’il y avait là une enquête à mener, et une histoire à raconter… »
Cette BD n’est pas une simple biographie. Le scénario est beaucoup plus subtil que ça.
L’histoire débute par la drôle mission d’intérim d’un jeune homme : le tri des effets personnels des ex-résidents, décédés sans famille, d’une maison de retraite parisienne. Dans une des boites en carton, ce garçon, sans nom lui aussi (Arnaud Le Gouëfflec ?), découvre un étrange masque noir, deux affiches de music hall, une lettre manuscrite et quelques photos. Notre héros, sans raison apparente, décide alors de sortir ces souvenirs de l’oubli et, fort des rares éléments dont il dispose, de remonter le fil de cet inconnu décédé dans l’indifférence. Qui est-ce ? Peut-être a-t-il encore des proches ?
Mais faut-il réveiller les vieux fantômes ?
Très vite, on apprend que l’inconnu en question est un chanteur de cabarets, un peu roublard, qui a connu ses heures de gloire durant la seconde guerre mondiale. Roland Avellis, alias Le Chanteur sans nom, fut l’ami de Charles Aznavour à ses débuts, le protégé d’Edith Piaf par la suite. Il fut un amuseur déprimé, une cigale égoïste et opportuniste, un épicurien rongé par le diabète, un interprète qui s’est toujours caché derrière les chansons des autres.
Le portrait est juste, tout en finesse. Ni accablante, ni dithyrambique, cette description touchante laissera le lecteur dans état second à la fermeture du livre. On retrouve parfois l’ambiance du film « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain », lorsque cette dernière recherche et trouve le propriétaire des jouets cachés dans son appartement.

Le style narratif particulier participe grandement à l’atmosphère de cette BD. Dans cet album léché, rien n’est laissé au hasard.
L’enquêteur est un jeune homme muet et peu expressif. Du coup, il permet au fantôme du chanteur, omniprésent, d’occuper l’espace laissé libre. Ce personnage expansif rend hommage au bon-vivant qu’étais Avellis.
Il n’est pas simple de différencier la vérité historique de l’histoire romancée. Arnaud Le Gouëfflec joue avec cette ambigüité. Dans sa préface, Le Gouëfflec présente Claudine Herbomel, auteur d’« Une enfance traquée », comme l’une des personnes à l’origine de son scénario. Dans la BD, le narrateur rencontre cet écrivain. Avons-nous là la retranscription de leurs échanges réels ? Le Gouëfflec a-t-il vraiment rencontré Charles Aznavour, comme le fait son avatar ?
J’aime à croire que tout ceci s’est réellement passé.

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Le second élément qui définit le climat de cette histoire demeure le style graphique. Certains dessins, pleins de couleurs et de fantaisies, tranchent avec l’isolement et les sombres pensées du fantôme de Roland Avellis. Les décors parisiens sont également très bien représentés.
Le travail d’Olivier Balez l’est vraiment (oh, le jeu de mot bidon… j’ai honte, mais il fallait que je le fasse !).
Ce n’est pas la première fois qu’Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez collaborent. Ils avaient réalisé ensemble « Topless », une très bonne surprise mêlant jazz et fuite amoureuse. Déjà, la musique prenait une part importante dans la construction de l’histoire. Au vue de la qualité de ce premier album, j’imaginais que ce second livre serait plus attendu par le public. Mais non. C’est dommage, ils l’auraient mérité.
On retrouve d’ailleurs ce qui avait fait le charme de leur premier ouvrage commun : le souci des détails et les digressions narratives qui alimentent le récit avec beaucoup d’humour.
Les cases sont en effet très riches en détails, surtout les arrières plans. On trouve par exemple le livre « Internet pour les Nuls » sur la cheminée de Claudine Herbomel, ou un quarante cinq tours de Arnaud Le Gouëfflec, également auteur-compositeur, sur les murs d’un disquaire de la capitale.
Grâce aux flash-backs, les histoires dans l’histoire sont fréquentes. Mais ce ne sont pas les seules digressions. De nombreuses cases reprennent les dessins humoristiques des années 40. Ce style caricatural tranche avec le reste du volume.

Bref, vous l’aurez compris, l’hommage est réussi. Ce petit bijou narratif, tout en subtilité, présente un personnage à la fois attachant et haïssable.
Finalement, dans cette BD, c’est peut-être Françoise Avellis, la fille du chanteur, qui parle le mieux de Rolland : « Malgré toutes ses escroqueries et coups pendables… tout le monde a gardé un excellent souvenir de mon père… ». Et Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez auront su raviver ce souvenir.
Pour profiter pleinement de l’ambiance de cette BD, je vous conseille de la lire en écoutant du Trénet, de l’Aznavour, du Piaf ou du Ferré. Mieux ! Savourez ce livre en écoutant du Roland Avellis !


A lire sur la Yozone :
- Des mêmes auteurs :
Topless


Le Chanteur sans Nom
- Scénario : Arnaud Le Gouëfflec
- Dessin : Olivier Balez
- Editeur : Glénat
- Collection :1000 Feuilles
- Dépôt légal : 2 février 2011
- Format : 200 x 273 mm
- Pagination : 116 pages couleur
- ISBN : 978-2-7234-7699-7
- Prix public : 10.50 €


Illustrations © Balez et Glénat (2011)



Allison & Julien
25 juin 2011




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