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Jack Barron et l’Éternité
Norman Spinrad
J’ai Lu n°856, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 380 pages, octobre 2010, 7,60€

Fondateur de la Coalition pour la Justice Sociale, Jack Barron est un ange. Devenu animateur d’un talk-show télévisé, manipulant les esprits et les émotions de cent millions de personnes, gagnant quatre cent mille dollars par an, corrompu jusqu’à l’âme par le système, Jack Barron est un démon. Puissant, revenu de tout, réaliste et surtout désabusé, il croit être parvenu au faîte de sa puissance. Mais sa trajectoire n’est en rien achevée, et il se trouvera bientôt confronté à des cercles de pouvoirs et d’influences qu’il croyait ne jamais atteindre.



Un ouvrage ambitieux

Aussi riche et célèbre soit-il, Jack Barron n’a pas les moyens de s’offrir la cryogénisation qui lui permettrait de ne jamais réellement mourir. Pourtant Benedict Howards - l’homme le plus puissant du monde, propriétaire de la puissante Fondation qui tient les clés de la cryogénisation, et qui s’apprête à gouverner les États-Unis par l’intermédiaire d’un sénateur démocrate qui serait son homme de paille - vient lui proposer l’accès à ce privilège. Mais Jack Barron se méfie : malgré son pouvoir télévisuel, il n’est rien face à Benedict Howards. Il ne peut rien lui apporter, rien lui retirer.

Commence alors entre les deux hommes un jeu étonnant. Comprenant qu’il y a derrière cette offre de cryogénisation quelque chose d’énorme, Jack Barron choisit l’offensive. Méthodiquement, à travers son émission polémique suivie par des millions de personnes, il commence à laminer Benedict Howards et sa Fondation.

Dès lors, les choses ne tardent pas à s’enchaîner. Les républicains cherchent à s’allier à la Coalition pour la Justice Sociale et proposent à Jack Barron l’investiture républicaine – rien de moins. Benedict Howards propose alors à Jack Barron, non pas l’accès à la cryogénisation, mais bel et bien à l’immortalité, la vraie, dont il est jusqu’ici le seul et unique bénéficiaire. Mais il y aura, bien entendu, un prix à payer.

Pouvoir, manipulations, mensonges, bluff, menaces. Benedict Howards est bien entendu le plus fort. Son pouvoir est sans limites, sa soif de pouvoir également. Dans cet affrontement trop inégal, Jack Barron ne saurait être que le perdant. Face à un Benedict Howards reptilien, retors et parfaitement diabolique, Jack Barron ne pourra faire autrement que se vendre corps et âme.

Mais c’est sans compter la folie intrinsèque du présentateur, qu’une dramatique étincelle viendra raviver. Jack Barron le perpétuel insoumis se laissera-t-il définitivement corrompre ? Le machiavélique Bénédict Howard aura-t-il réellement tout prévu et saura-t-il jusqu’au bout conserver une longueur d’avance ? Le combat entre ces deux hommes de pouvoir ne saura être que paroxystique.

Dense et réaliste, souvent cru, pessimiste, soutenu par une écriture efficace, « Jack Barron et l’Éternité » est un roman en proie à une tension permanente. Ses presque quatre cents pages s’avalent quasiment d’une traite. Inégalités tragiques face à la mort, abîmes définitifs entre riches et pauvres, abandon effréné des idéaux, disparités poussées à leur paroxysme : ce roman très fort de Norman Spinrad, sous des abords d’anticipation, décrit avec une lucidité sans fard les sociétés développées et les vertiges métaphysiques générés par la science. Et si les constats désespérés s’accumulent, si les drames se succèdent et si l’avenir, tout au long du récit, s’annonce toujours plus sombre, la fin, grâce à la folie de Jack Barron, n’est pas aussi intégralement tragique que l’on aurait pu s’y attendre, et, mieux encore, s’achève sur une lueur d’espoir.

Un classique qui parvient à garder son statut

Peu après sa parution, « Jack Barron et l’Éternité », globalement encensé, a été jugé comme appartenant d’emblée au corpus des classiques du genre. Trop tôt pour certains qui supposaient qu’une telle œuvre, inscrite dans une modernité par essence passagère, ne résisterait pas à l’érosion du temps. Il n’en reste pas moins que, plus de quarante ans après sa première publication, « Jack Barron et l’Éternité » n’a rien perdu de son actualité ni de son intérêt. Si l’on fait abstraction de l’absence du réseau et de nombreuses allusions à la politique et à l’esprit des sixties, ce récit pourrait très bien avoir été écrit cette année même.

Si, paradoxalement, « Jack Barron et l’Éternité » a su résister au passage des années, c’est aussi parce qu’il aborde des thématiques intemporelles. En effet, la dénonciation des conditionnements télévisuels n’est pas étroitement liée à l’artifice technologique qu’elle décrit mais bien aux techniques de manipulation qui, plus globalement, ont toujours existé. Et, surtout, elle ne constitue pas, malgré son omniprésence, la composante première du récit. Car « Jack Barron et l’Éternité » est d’abord, et surtout, la revisitation contemporaine du mythe faustien du pacte avec le diable.

«  Jack Barron et l’Éternité » n’a donc pas seulement un intérêt historique pour les amateurs de science-fiction. Si cet ouvrage est largement connu à l’extérieur des cercles de plus en plus restreints des lecteurs du genre, c’est aussi parce que, sous couvert de l’anticipation proche, il décrypte un présent indissolublement lié à ses propres dérives. Une habitude chez Norman Spinrad, auteur engagé s’il en est, et dont la plume n’a en rien perdu son tranchant comme on a pu le constater à la lecture de son dernier roman, « Oussama », récit auquel on peut trouver des échos singuliers dans les événements antérieurs, mais aussi postérieurs à son écriture. « Jack Barron et l’Éternité » sera-t-il encore longtemps considéré comme un classique ? Il est sans doute trop tôt pour répondre, mais, en attendant le verdict des générations futures, reconnaissons qu’avoir réussi à traverser quatre décennies sans prendre une ride ni rien perdre de sa puissance n’est pas un mince exploit.


Titre : Jack Barron et l’Éternité (Bug Jack Barron ,1969)
Auteur : Norman Spinrad
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Guy Abadia
Couverture : Diego Tripodi
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : Robert Laffont,1971)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 856
Pages : 380
Format (en cm) : 11 x 18 x 2.1
Dépôt légal : octobre 2010
ISBN : 978-2-290-08236-0
Prix : 7,60 €



Norman Spinrad sur la Yozone :

- La chronique de « Il est parmi nous »
- La chronique de « Oussama »
- La chronique de « Chants des étoiles »


Hilaire Alrune
16 juillet 2011


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