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Sentences Létales
Nihil Messtavic
La Clef d’Argent, NoKhThys, n°5, traduit du hongrois, du chtokavien et du latin, aphorismes, 64 pages, juillet 2010, 9€

« Poètes à l’âme obombrée par la Ténèbre, philosophes noirs, chroniqueurs de la Nocturne et hagiographes du Néant : telle est la sombre cohorte des Enfants de NokhThys ». Sous cette ligne directrice générale, les éditions La Clef d’Argent ont publié depuis 2007 plusieurs volumes sombres et atypiques. Les « Sentences Létales » de Nihil Messtavic y prennent une juste place, puisque cet auteur avait inauguré la collection il y a maintenant quelques années avec un premier volume d’adages regroupés sous un titre évocateur : « Le Crachoir du Solitaire ».



Après une introduction signée Vedma Nadasty, l’ouvrage s’articule en quatre parties : « L’ennui d’être », « La lassitude d’exister » (une référence directe à « La tentation d’exister » du philosophe d’origine roumaine Emile Cioran), « Le vide fuyant », et « Moribonde humanité ». Quatre entames qui en disent long sur les intentions de l’auteur, et sur les propos qu’il s’apprête à y développer.

La quête du désespoir

« Quelle délicieuse quête que de chercher le désespoir absolu » : voilà qui résume assez bien le volume. À travers les thèmes de l’absurde, de la mort, du rejet, de la négation de la réalité, l’auteur effectue à travers les méandres du doute et du pessimisme une déambulation singulière. Un voyage qui par essence ne pourra pas déboucher sur autre chose que le néant, puisque chercher sa voie en suivant le fil d’Ariane n’expose qu’à une irrémédiable fatalité : « trouver le nœud coulant au bout ».

Ce désespoir que l’auteur recherche et cultive s’accompagne d’une solitude elle aussi voulue, mais rendue inévitable par sa singularité même. Car si ceux qui transportent dans leurs poches des « précis de solitude, de misanthropie, de lucidité et de désespoir », sont nombreux, nul ne semble les lire, nul ne semble capable de les comprendre. Ainsi, tandis que le misanthrope est un « miroir parfait », le reste de l’humanité n’est « rien d’autre qu’un aveugle qui essaie de se voir dans un miroir », condamnant par la même l’auteur à la recherche de la « symphonie solitaire de la salvation pure. »

« Renoncer aux plaisirs et adopter la souffrance, voilà la posture de celui qui fut philosophe puis poète ». Mais à force de cultiver désespoir et souffrance, à force de soigner sa solitude et d’utiliser sa bile comme substance nutritive d’un rejet florissant et définitif du monde, ne vaudrait-il pas mieux, tout simplement, disparaître ?

« À moi le néant ! »

Il est toujours possible d’envisager la mort comme solution, suppose l’auteur qui écrit qu’on « a raté sa vie tant qu’on n’y a pas mis un point final », et qui s’insurge contre l’étrange habitude qu’ont les suicidants de laisser derrière eux une lettre explicative, estimant qu’au contraire ce sont les vivants, dont l’existence n’est rien d’autre qu’un « vide décoré de grotesque », qui devraient chaque matin justifier leur incompréhensible propension à prolonger leur existence. Et d’estimer, lassé par la « mécanique funèbre du physiologique », que «  mieux vaut être pendu haut que de vivre en bas ».

Mais en finir avec la vie serait en finir avec le désespoir, un désespoir à l’évidence si doux à cultiver que quitter ce bas monde, même si la vie n’est qu’un leurre, même si la réalité n’est qu’une hypothèse, serait tout de même, en définitive, perdre un petit quelque chose. Reste le dilemme, une question par essence sans réponse, parce que «  la conscience de l’absurdité absolue ne résout rien  ». Dilemme et désespoir, peut-être est-ce là la solution.

Une tradition littéraire

On devine, à travers cette désespérance volontiers théâtrale, à travers cette bile volontairement surchargée d’acide, la jubilation d’en rajouter encore et encore. Il y a, dans la culture du cynisme et du désespoir, un entrain paradoxal, un enthousiasme à cultiver la férocité froide et l’exagération en tant que style et pensée, qui, en sus d’une pincée de provocation stimulante, rend de tels ouvrages agréables. Un exercice intellectuel qui malgré ses outrances n’a rien de facile – on est là dans un domaine où la distance entre la formule percutante et la platitude définitive est bien mince –, un travail d’écriture qui n’a rien d’une foucade, et dont les origines remontent très loin dans l’histoire des Lettres.

Car les « Sentences Létales » de Nihil Messtavic s’appuient en effet sur une longue et abondante tradition littéraire. Tradition antique tout d’abord, avec les cyniques tels Diogène de Sinope, mais aussi ses précurseurs et ses avatars, qui, du quatrième siècle avant Jésus-Christ jusqu’au cinquième siècle, empêchèrent les optimistes et les philosophes bien-pensants de tourner en rond. Tradition classique ensuite, avec notamment les dix-septième et dix-huitième siècles, et les faiseurs de maximes comme François de la Rochefoucauld, ou, plus noir, plus désespéré, Sébastien-Roch Nicolas, plus connu sous le nom de Chamfort. Mais si ces derniers étaient plus proches de l’anecdote, plus proches de travers de personnages définis et de défauts précis de la société, Nihil Messtavic, s’il en partage abondamment l’esprit, se refuse à décocher ses flèches sur des cibles aussi secondaires. Il en a après l’humanité et l’existence en général, et son désespoir cultivé jusqu’à l’hypertrophie englobe, pour reprendre une formule désormais consacrée, « la vie, l’univers et le reste ».

Parmi les modernes, c’est du côté des aphorismes d’Emile Cioran – d’ailleurs cité dans la préface – et des définitions noires et désabusées du « Dictionnaire du Diable » d’Ambrose Bierce qu’il faut aller chercher les influences de Nihil Messtavic. À moins qu’il ne faille y voir les sources d’inspiration de Vedma Nadasty elle-même, si ce n’est d’un autre personnage encore. Car tout ceci fleure délicieusement la construction littéraire, l’art et le jeu de l’apocryphe, et l’auteur comme démiurge d’un autre démiurge.

Avec « Sentences Létales », les éditions La Clef d’Argent et leur directeur Philippe Gindre poursuivent donc leur exploration d’une littérature du désenchantement qui se rit des modes et s’inscrit résolument en marge de la littérature contemporaine. Promouvant depuis deux décennies le conte fantastique classique, portant haut le flambeau d’une littérature exigeante abandonnée par l’immense majorité des éditeurs, cette maison ajoute donc, à contre-courant des grandes tendances actuelles, un nouveau domaine à son corpus. Une audace et un courage éditorial qu’il faut, une fois de plus, saluer.


Titre : Sentences Létales
Auteur : Nihil Messtavic
Traduction du hongrois, chtokavien et latin : Vedma Nadasty et al.
Préface : Vedma Nadasty
Couverture : Fernando-Gonçalvès-Félix
Éditeur : La Clef d’Argent
Collection : NoKhThys
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5
Pages : 64
Format (en cm) : 11 x 17,5
Dépôt légal : juillet 2010
ISBN : 978-2908254822
Prix : 9 €



À consulter également :
- Le site consacré à Nihil Messtavic


Hilaire Alrune
23 mai 2011


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