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Légendes !
Jacques Fuentealba (dir.)
Céléphaïs, anthologie (France, Europe, USA...), nouvelles de fantasy - SF - fantastique, 290 pages, septembre 2010, 12€

Ainsi que le rappelle Jacques Fuentealba dans son introduction, une légende est étymologiquement, « ce qui doit être lu ». Voire, serais-je tenté d’ajouter, « ce qui mérite de rester dans nos mémoires ». Et à ce jeu-là, l’anthologie éditée par Céléphaïs rate son coup de peu. Explication en détail.



J’ai déjà dû dire ma façon d’apprécier une anthologie : ça se déguste. Autant j’aime dévorer un roman, car c’est le signe que l’auteur déploie une plume capable d’empêcher son lecteur de l’abandonner, autant un recueil de nouvelles doit être morcelé, grignoté, savouré. « Légendes ! » comporte 21 textes, je serait tenté de conseiller une lecture en 21 fois.
Seuls les petits caractères nous poussent à ne pas lire trop tard le soir : mais ils contribuent à la minceur du livre, et la souplesse de son papier comme celle de la couverture, en carton poilé façon Omnibus, en font un ouvrage qu’on a plaisir à tenir, et à emporter avec soi. On peut donc lire, et savourer, en journée.

L’un des textes , “London Faerie Blitz”, de Yohan Vasse, a reçu le prix Imaginales 2011 de la nouvelle (et le vaut bien). Les autres sont loin d’être mauvais. Mais voilà, après quelques jours, quel souvenir conserver de ce recueil ?

Que des bons textes, mais...

Et c’est là qu’à mon goût, Jacques Fuentealba manque sa cible : « Légendes ! » recèle des textes si disparates que les écueils étaient inévitables. Au-delà de la grande qualité de toutes les nouvelles, certains genres marquent plus que d’autres, par leur originalité ou leur incongruité.

Le soldat à la cuillère” de Nicolas Chapperon ouvre le volume. Fantasy contée, teintée de philosophie et d’une pointe d’humour, elle m’a bien plu.

Des textes suivants (“L’hiver de Belen”, d’Olivier Pietroy, “Les fils du vent”, de Pablo Dobrinin ou encore “Esprit des saules”, de Nicole Cavazza) me laissent le souvenir diffus de textes très bien écrits, formellement beaux. Mais je suis incapable d’en dire bien plus (non, j’exagère) sans rouvrir l’ouvrage.
Avec “L’ultime Forteresse” de Gabriel Féraud, on revient en fantasy, dans un texte à la forme là aussi innovante.

C’est à nouveau le blanc avec “Ceux qui écoutent” de Nina Kiriki Hoffman et “Matin de peu” de Melanie et Steve Rasnic Tem. Le premier est pourtant très bon, sur la place des femmes dans l’Antiquité grecque, et m’a plu, mais sans me marquer outre mesure. Le second met en scène un Van Helsing (celui de Stoker) vieillissant, le texte peine un peu à prendre son envol avant un final pas déplaisant.

Arrive “London Faerie Blitz”, de Yohan Vasse, donc primé cette année. Et là, au-delà du texte splendide, fort travaillé et mêlant humour, noirceur et personnages désabusés, il y a ce qui manque peut-être aux précédents qui me sont sortis de l’esprit : un titre fort, justement inoubliable.
En deux mots, les personnages de contes (« Peter Pan », « le Magicien d’Oz », « Alice au pays des Merveilles »...) sont réfugiés dans le Londres des années 40. Au milieu de cette bande d’exilés sur Terre en période de manque d’imagination, un meurtre est commis, et c’est le détective Alligatore qui mène l’enquête, constatant que le beau et insouciant Peter a tourné la tête de toutes les jeunes filles...

La chirurgie du hasard” d’Alfredo Álamo m’est resté en mémoire également, mais pour une toute autre raison : je n’ai pas du tout accroché à cette histoire de mutilation artistique, et je serais tenté de dire que plus que tout autre, ce texte « fantastique » fait tache au milieu du recueil.

Également fantastique, le “Légendes” de Franck Ferric m’a rappelé une autre nouvelle (de Thomas Day, je crois) où les livres et leurs héros prennent vie. Celui-ci sombre cependant beaucoup dans la philosophie et la psychologie et embrouille un peu la lecture... Heureusement, une certaine légèreté formelle emballe le
Hamelin, Nebraska” de Garry Kilworth, qui lorgne sur la noirceur d’un bon Stephen King, une pointe de mythologie féérique en plus.
Rencontre avec un petit homme vert”, de Timothée Rey, est tordu et hilarant. Donc mémorable. Le “Legenda” de Jean Baret nous conte en deux temps, présent de regret et flash-backs explicatifs (à la manière du « Meurtre des Nuages », récemment lu), la création et la perversion d’un mythe sur Internet. Classique mais efficace et maîtrisé.

Seul l’innocent”, de Luis Astolfi, m’a laissé dubitatif. L’impression d’avoir perdu mon temps durant 25 longues pages au fil desquelles j’aurai espéré... quoi, je l’ignore, mais certainement plus. Idem du “Jeff Beck” de Lewis Shiner, qui s’oublie sitôt passé à la suite.

Suite qui nous réconcilie avec l’étrange et le fantastique. Dans “Du bon pied”, Santiago Eximeno instille une atmosphère sombre avant une chute de toute beauté.
Deus Tex”, de Jack McDevitt, est aussi une perle dans son genre, où le lecteur est plus malin que les protagonistes, en l’occurrence des cambrioleurs tombés sur un magot... mythique.

Le dernier Testament” de Brian Hodge se laisse lire sans déplaisir. Même chose pour l’enlèvement par des extra-terrestres d’un spécialiste des OVNI dans “Changement d’itinéraire” de Mary Robinette Kowal, même si la fin est un peu ratée, trop prévisible...

Tandis qu’on approche de la fin, le bref “Le goût du miracle” de Kristine Kathryn Rusch mêle nostalgie et routine du transport spatial, mais... rien de plus, juste un fragment du quotidien du futur, un peu désabusé.
Le recueil se clôt en feu d’artifice avec l’excellent “L’histoire de l’Aigle Royal”. Jack Vance n’aurait pas renié cette histoire de David D. Levine, où une vieille IA de vaisseau mis à la casse, et recyclée en androïde conteuse d’histoires, est gagnée au jeu par un marchand qui n’est pas celui qu’on veut croire, et qui compte sur elle pour redorer sa légende. L’un des meilleurs textes de cette anthologie, pour la note finale !

Pas 21 légendes, mais 21 bons moments

Les textes sont tous très bien écrits, et vont de bons à très bons. Aussi mon principal reproche ira à l’envergure souhaitée de cette anthologie : à mon goût, pas plus de la moitié de ces “légendes” ne resteront simplement pas dans ma mémoire. Je les ai même déjà effacées.
Peut-être simplement parce que sur certains textes, la magie ne prend pas. Voire elle est absente, et le lecteur s’interroge sur sa présence dans une telle anthologie.
Le souhait de livrer une anthologie de textes variés, dans leur genre et leur langue d’écriture (d’où la présence de textes anglais, américains, espagnols), me semble mal maîtrisé. Certains textes sont inédits, d’autres datent (celui de Kilworth est de 1991 !), aucune unité ne se dégage de tout cela. Pas même une gradation temporelle, qui mettrait des histoires antiques au début et la SF à la fin... Je ne dis pas que cela aurait été le bon choix, mais cela en aurait été un...

Je cherche la petite bête, et je le répète : tous les textes sont bons, bien écrits, et hormis une affaire de goût sur l’une ou l’autre nouvelle, on ne sera guère déçu par ses lectures.

Rajoutons que l’objet est beau, souple, agréable à l’œil et au toucher, et que les petits caractères sur papier crème ne sont entachés que d’une trentaine de coquilles (liste sur demande).

Enfin, pour 12 euros, ce serait dommage de passer à côté.


Titre : Légendes ! (nouvelles, anthologie, 2010)
Direction de l’anthologie : Jacques Fuentealba
Auteurs : Nicolas Chapperon, Olivier Pietroy, Pablo Dobrinin, Nicole Cavazza, Gabriel Féraud, Nina Kiriki Hoffman, Melanie et Steve Rasnic Tem, Yohan Vasse, Alfredo Álamo, Franck Ferric, Garry Kilworth, Timothée Rey, Jean Baret, Luis Astolfi, Lewis Shiner, Santiago Eximeno, Jack McDevitt, Brian Hodge, Mary Robinette Kowal, Kristine Kathryn Rusch, David D. Levine
Traduction des textes étrangers : Céline Brenne, Jacques Fuentealba, Maxime Le Dain, Pénélope Labruyère-Snozzi, Anaël Verdier, Thomas Bauduret, Jody Hartmann, Jérôme Charlet, Maud Froidevaux
Couverture : Olivier Derouetteau
Éditeur : Éditions Céléphaïs
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 290
Format (en cm) : 14 x 20,2 x2,5
Dépôt légal : septembre 2010
ISBN : 9782354770181
Prix : 12 €



Nicolas Soffray
11 juin 2011


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