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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Idlewild
Nick Sagan
J’ai Lu, Nouveaux Millénaires, n°2, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 285 pages, mars 2011, 20€

Un adolescent reprend conscience allongé dans un champ de citrouilles. Il a perdu toute mémoire. Errant à travers la nuit, il découvre une immense demeure gothique qui semble être la sienne. Son nom : Halloween. Une série de phénomènes inexplicables ne tarde pas à survenir. Puis, lorsqu’il comprend où il se trouve, d’autres questions apparaissent. Pourquoi a-t-il perdu la mémoire ? Quelqu’un aurait-il essayé de le tuer ? Et où donc est passé Lazare, son comparse ? Ce dernier aurait-il réellement gagné un monde meilleur, ou quelqu’un serait-il parvenu à l’occire ?



Le règne du faux-semblant

Dès les premières pages, le ton fluide et léger de l’auteur fait merveille. Le narrateur amnésique émerge dans un monde qui n’est pas sans évoquer « De l’autre côté du miroir », en légèrement plus effrayant. Le style simple et dépouillé de Nick Sagan suscite un foisonnement de couleurs et d’images. Les premiers chapitres intriguent, puis inquiètent. On comprend vite que l’on n’est pas dans un conte de fées, mais dans un univers plus âpre, et que derrière les jeux des adolescents enfermés dans un monde virtuel (la Réalité Virtuelle Immersive) se dissimule une partie d’un genre différent. Ce règne du faux-semblant, c’est inévitable, en dissimule bien plus qu’il n’en laisse comprendre. Et le narrateur ne tardera guère à comprendre qu’il ne fait rien d’autre, malgré tous ses efforts, que se débattre « comme un mime piégé dans une boîte imaginaire  ».

Un semis de références classiques

Si les images sont nombreuses, les références, littérales ou cryptiques, le sont également. Outre Howard Philips Lovecraft et ses « maigres bêtes de la nuit », l’auteur cite Albert Camus (« Le Mythe de Sisyphe) », Shakespeare (« Macbeth », « Le Roi Lear »), s’interroge sur les déterminants de la folie de Nietzsche, invoque le principe de Guillaume d’Occam, médite la Caverne de Platon, met en scène des personnages historiques (Darwin, Hypatia), évoque des figures mythologiques (notons, parmi bien d’autres, Orphée et Calliope), et se permet une série de remarques « en français dans le texte ». Tout ceci pourrait apparaître calculé pour donner artificiellement au roman une touche d’érudition classique mais s’intègre parfaitement à l’intrigue et aux interrogations du narrateur, qui ne fait rien d’autre que se frayer un chemin à travers les mystères.

Une trame mêlant fiction virtuelle et enquête policière

Car les mystères, en effet, s’accumulent. Outre sa mémoire qu’il ne parviendra qu’à grand-peine à retrouver, le narrateur découvrira que la matrice est hantée par de bien étranges créatures, et que les identités prises par les uns et les autres sont elles aussi sujettes à caution. Le crime semble n’y être pas tout à fait virtuel, les motivations de certains demeurent incompréhensibles, sans compter les complications nées de la contamination des ersatz virtuels par la psychologie humaine Quant au fait que le narrateur et ses compagnons soient des enfants spéciaux bénéficiant du privilège d’une scolarité virtuelle au plus haut point dispendieuse, il leur coûtera le prix fort d’apprendre ce que cela signifie. Et si le narrateur peut se réjouir, lors de la découverte de ses propres archives informatiques dissimulées dans un bâtiment virtuel : « J’ai découvert deux choses en parcourant mon dossier : l’absolution et l’illumination », il ne sera pas long à découvrir des réalités plus sinistres et plus âpres.

Bienvenue dans le monde des adultes

S’il est un roman du passage à l’âge adulte, « Idlewild » n’est certainement pas que cela. Car la réalité que vont finalement découvrir les adolescents sera sans commune mesure avec leurs espérances. La perte due à leur émergence dans le réel sera bien au-delà de ce à quoi ils s’attendaient, et les premiers évènements qu’il y vivront ne seront pas loin de dépasser les pires cauchemars de leurs virtualités familières. L’assimilation du monde des adultes à celui du réel prend ici des allures bouleversantes. Pour les personnages, il s’agit bien plus d’une révélation que d’une transition, bien plus d’une tâche irréalisable que d’un simple accomplissement. Le défi qui attend les protagonistes à leur émergence dans le monde réel n’est peut-être pas tout à fait humain.

Une conjonction d’influences

Au moins autant que l’on peut l’être avec les récits de type « steampunk », nous sommes ici dans une littérature de fusion. L’auteur emprunte certes au récit initiatique, mais aussi à toute la littérature de la défiance du réel, Philip K. Dick en tête. Les emprunts au cyberpunk sont nombreux, avec des passages évoquant les classiques de William Gibson ou le Vernor Vinge de « Rainbow’s end ». Les thématiques scientifiques – virologie réelle et virtuelle, psychologie des humains et des entités virtuelles –, même si elles ne sont ici qu’effleurées, s’entrecroisent pour donner leur densité à l’intrigue. Un soupçon de fin du monde et une série de meurtres évoquent les récits post-apocalyptiques et les enquêtes policières. Tout ceci, au bout du compte, converge sans heurt en une histoire cohérente. Le seul reproche que l’on pourrait faire, peut-être, est qu’en dernier tiers de volume l’intrigue prend trop de vitesse – les images suscitées apparaissent moins nettes qu’en début de volume, les drames successifs n’ont pas tout à fait la densité nécessaire.

Une lecture profitable, un auteur à suivre

Le lecteur attentif devrait pouvoir tirer bénéfice de la lecture d’« Idlewild ». Outre les références érudites mentionnées plus haut, il ajoutera à sa panoplie un nouveau type de dessert, le « Punk Monk Banana Chunk », apprendra six façons de compenser face à la mort, découvrira la théorie des trois peurs, saura qu’en vieux français « monstre » signifie miracle ou manifestation divine, et connaîtra l’équation permettant de déterminer la température ambiante à partir de la fréquence des stridulations des criquets. Toutes choses qui – on ne sait jamais – peuvent toujours servir, que ce soit dans ce monde ou dans un autre.

Son dénouement tragique, même s’il est porteur d’une bribe d’espoir, suffira-t-il à faire d’« Idlewid », si facile à lire qu’il pourrait prendre place dans une collection pour adolescents, un roman suffisamment fort pour laisser trace dans les mémoires ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais l’auteur possède indéniablement une « petite musique », un ton très personnel qui donne envie de se pencher sur ce qu’il a écrit par ailleurs. Ceci devrait être bientôt possible dans l’hexagone où l’éditeur annonce la parution prochaine d’« Edenborn » et d’« Everfree », deux autres romans de Nick Sagan.


Titre : Idlewild (Idlewild, 2003)
Auteur : Nick Sagan
Traduction de l’anglais (États-Unis) :
Couverture : Darren Rogers
Éditeur : J’ai Lu
Collection : Nouveaux Millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 2
Pages : 285
Format (en cm) : 13 x 20 x 1.6
Dépôt légal : mars 2011
ISBN : 978-2-290-02477-5
Prix : 20 €



À lire également sur la Yozone :
- La chronique du premier volume de la collection Nouveaux Millénaires : « Algernon, Charlie et moi : trajectoire d’un écrivain »


Hilaire Alrune
8 mai 2011


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