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Cabaret Vert (Le)
Estelle Valls de Gomis
Lokomodo, n°4, recueil (France), fantastique, 260 pages, mars 2011, 7,70€

Estelle Valls de Gomis commence à être bien connue des amateurs de vampires. Auteure d’une thèse de littérature et civilisation anglaise intitulée « Le Vampire au fil des siècles : docimasie d’un mythe », qu’elle a ensuite décliné sous forme d’essai (Ed. Cheminements, 2005), elle compte également à son actif traductions, anthologies, nouvelles, romans et même illustrations souvent en rapport avec les buveurs de sang. C’est donc sans surprise – même s’il arrive à quelques-uns d’entre eux de se présenter sous des formes inattendues – que l’on retrouve sous sa plume, dans ce volume d’allure fin-de-siècle, moult spécimens d’une engeance familière.



Des nouvelles qui ont la vie dure

À l’origine, plusieurs des nouvelles présentées dans ce volume avaient été publiées en revues : la défunte revue Khimaira, l’également défunte revue Martobre, le fanzine Le Calepin Jaune, en sommeil depuis une paire d’années, ainsi que Le Boudoir des Gorgones, lui aussi plongé dans une profonde narcose. Puis, ces textes avaient été repris en 2004 en compagnie d’une poignée d’autres pour un premier recueil éponyme comprenant seize nouvelles aux regrettées éditions Nuit d’Avril. Ce sont ces seize nouvelles, accompagnées pour la première fois de “Circé et la malédiction de Déméter”, ainsi que de “Cent fois Prométhée”, qui sont ici reprises aux éditions Lokomodo.

Des thèmes classiques

Si l’on excepte les récits mettant en scène des vampires, on trouvera dans ce volume des thèmes classiques et des personnages issus de la mythologie. Citons ainsi la sculpture qui prend vie dans “La Statue”, le revenant dans “Les Frères de Corail”, récit auquel répond “Circé et la Malédiction de Déméter”, la fable horrifique et merveilleuse avec “Derrière le Mur”, les malédictions de l’opium, le démon et la migration des esprits (sans compter l’ambigüité propre au genre) dans “Le Libertin, le Dandy et le Loup noir” , la génération des rêves par un objet ancien avec “Le Couvre-lit de Velours,” le mythe de Poséidon dans “Pour des Torrents d’Or pur, la folie et l’ambigüité encore dans “Le Tombeau de livres” et la fascination de la mort avec “Les Lames du temps”. Avec ces nouvelles, Estelle Valls de Gomis ne cherche pas à faire œuvre novatrice mais plutôt à s’inscrire dans une continuité littéraire avec des influences marquées essentiellement par le dix-neuvième siècle (citons par exemple Théophile Gautier ou Charles Nodier pour la France, mais l’on devine aussi des influences d’outre-Manche) et le début du vingtième, notamment cette littérature décadente et esthétisante qui, après avoir longuement accompagné les hallucinations des opiomanes, s’est penchée sur les malédictions et les mystères de l’absinthe.

Vampire, vous avez dit vampire ?

Une continuité littéraire, donc, que la déferlante de vampires - sur les dix-huit récits que comprend le recueil, pas moins de neuf font intervenir les buveurs de sang - ne vient pas contredire. Nous passerons rapidement sur “Le Destin d’Anicet de Saint Amour”, texte ambitieux mais bien trop hétérogène pour convaincre (il commence en épisode, se poursuit en biographie, puis se termine en ce qui ressemble à un synopsis de roman). Avec “Rouge comme l’Aveu,” on découvre un séduisant vampire hantant New-York, “Mon Frère” cherche à duper le lecteur sur ce thème (mais ne le fait peut-être pas tout à fait honnêtement), “Alba”, relate la mésaventure vampirique de deux esthètes, “Sent pour sang” est constitué par le monologue épicurien d’un vampire au sujet des odeurs, “La Métamorphose d’Aphrodite” revisite le mythe de la déesse en y instillant une veine vampirique,“Le Sang de l’Art,” mêle lui aussi des thèmes classiques (le démon, le passage dans le monde des vivants de personnages figurés) à celui du vampire, “Dans les Draps de Morphée” revendique également des influences classiques, avec bague et tableau, et enfin l’inédit et amusant “Cent fois Prométhée” reprend à partir du jeu des paronymes, un thème particulièrement connu pour le transformer en récit de genre.

Notons, avec une pointe de regret, que le buveur de sang fait à tel point partie des familiers d’Estelle Valls de Gomis que ses personnages semblent avoir les mêmes obsessions : non seulement ne s’étonnent-ils jamais d’en rencontrer, mais aussi les soupçonnent-ils et les démasquent-ils au moindre détail, dans des contextes par ailleurs trop proches du réel pour que cela paraisse toujours vraisemblable. Mais les amateurs du genre prendront plaisir à découvrir l’objet de leur passion sous des avatars inattendus, et l’on peut prédire sans grand risque de se tromper qu’Estelle Valls de Gomis, compte tenu de sa passion pour le personnage, n’a pas fini d’en inventer de nouvelles déclinaisons.

Des récits perfectibles

Reste que l’écriture d’Estelle Valls de Gomis souffre encore de défauts récurrents qui heurtent parfois – et même, disons-le, souvent – à la lecture. Outre une accumulation inconsidérée d’adjectifs qui alourdit gratuitement les phrases, un excès de virgules qui vient régulièrement en rompre le rythme, et, de façon regrettable, une inexplicable propension aux subordonnées relatives prétendument explicatives et en règle inutiles ( ces « qui » et ces « que » pourtant évités et dénoncés par bien des auteurs classiques), on est surpris de trouver des phrases tendant vers le style classique mêlées à des éléments de langage oral (« bref », « bien entendu », etc.), responsables d’un manque d’homogénéité que l’on retrouve également dans la construction des récits. En effet, certains passages semblent écrits trop rapidement, sinon même occultés, avec des raccourcis donnant une impression de télescopage qui grèvent considérablement l’homogénéité et l’efficacité de la narration. La prise en compte et la correction de ces défauts pourraient améliorer considérablement l’élégance et l’efficacité de ces textes. Mais ce manque de fluidité dans l’écriture n’arrêtera sans doute pas les amateurs de vampires, aussi assoiffés d’histoires de genre que les vampires eux-mêmes le sont de jouvencelles et de sang frais.

Un volume qui devrait trouver son public

En définitive, cet ouvrage confirme la direction prise par les toutes jeunes éditions Lokomodo avec leur précédent volume de nouvelles, « Marches Nocturnes » de Franck Ferric : publier des œuvres ancrées non pas dans une modernité par essence éphémère, mais dans une certaine recherche d’exigence littéraire nourrie par les classiques du genre. La réédition de ce recueil abondamment peuplé de vampires, parfois traditionnels, parfois atypiques, arrive à point nommé dans un Hexagone que le mythe est en train de reconquérir. Le nombre croissant d’aficionados du genre et la revivification des légendes relatives aux buveurs de sang – nosferats, strigoïs, krvopijacs ou autres – devrait permettre à cet ouvrage de trouver un large public.

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Coquilles Le Cabaret vert

Titre : Le Cabaret vert
Auteur : Estelle Valls de Gomis
Couverture : Natalia Pierandrei
Éditeur : Lokomodo
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 4
Pages : 260
Format (en cm) : 11 x 17 x 1
Dépôt légal : mars 2011
ISBN : 978-2-35900-026-9
Prix : 7,70 €



À lire également sur la Yozone :
- La critique de l’ouvrage précédent chez Lokomodo poche


Hilaire Alrune
29 avril 2011


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