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Drone
Neal Asher
Fleuve Noir, Rendez-Vous Ailleurs, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 295 pages, octobre 2010, 22€

Enfant, Ian Cormac aperçoit régulièrement un immense scorpion mécanique, redoutable drone de combat qu’il est manifestement le seul à être capable de voir. Devenu adulte, il s’engage comme fantassin dans la guerre qui fait rage depuis des décennies contre les Pradors, une espèce extraterrestre particulièrement immonde et agressive. Il conquiert rapidement du galon, se révèle particulièrement doué dans l’art de l’infiltration, accumule les succès à la fois contre les Pradors et les mouvements séparatistes et se retrouve bientôt enrôlé parmi les membres de la Sparkind, un redoutable corps d’élite. Combats et aventures se succèdent alors sans répit, jusqu’à ce que Cormac soit de nouveau confronté au drone-scorpion, à ses plus lointains souvenirs, et aux mystères qui entourent son existence.



Une construction atypique

Chacun des quatorze chapitres est scindé en deux composantes distinctes : une première partie relevant de l’enfance de Ian Cormac, une seconde partie décrivant l’aventure vécue tambour battant par le même individu parvenu à l’état adulte. Ces deux composantes au fil de l’ouvrage se répondent, se confortent, se rapprochent, s’éclairent, et finiront par constituer un tout homogène. Un choix qui apparaît habile de la part de l’auteur, non seulement parce qu’il parvient à faire en sorte que ces changements d’époque ne perturbent pas la lecture, mais aussi parce que la mémoire représente l’un des thèmes principaux de l’ouvrage.

Des références discrètes ou appuyées

Neal Asher cherche ici et là quelques cautions littéraires en se référant à d’autres créateurs. Ainsi évoque-t-il la fameuse Salle 101 (originaire du célèbre « 1984 » de Georges Orwell) et, sans grande finesse, son contemporain canadien Peter Watts : « Les Watts, du nom d’un écrivain de science-fiction mort depuis des lustres, proposaient les meilleurs panoramas sous-marins et disposaient d’installations de plongée dernier cri. » Plus fines sont les mentions de la synergétique, version modernisée du nexialisme d’Alfred Elton Van Vogt, du graveur fantastique Maurits Cornelis Escher (dans un navire échoué de biais transformé en tripot, « une ancienne salle des machines à la Escher, où on avait construit de nouveaux planchers sans ôter les anciens » ), ainsi que l’utilisation pour les portails de téléportation, du terme « runcible  » emprunté au vocabulaire du chantre du nonsense Edward Lear.

Une toile de fond lacunaire, d’autres menus défauts

Le lecteur attentif se posera inévitablement maintes questions qui demeureront sans réponse, et lui feront douter de la solidité du monde mis en place par l’auteur. On ne sait pas grand-chose des Pradors, ces extraterrestres contre lesquels lutte l’humanité depuis des décennies, et avec lesquels les contacts ont été nombreux. De même, les aspects historiques et techniques de ces affrontements sont réduits à leur strict minimum. La scission séparatiste, sur certaines planètes humaines, n’apparaît guère justifiée ni argumentée. Et l’on ne comprend guère pourquoi, alors que l’humanité a mis au point les fameux « runcibles  », qui permettent de se téléporter d’un endroit à un autre, elle utilise encore toutes sortes de modes de transport archaïques, ni pourquoi les hommes continuent à risquer la vie de fantassins alors qu’ils disposent de robots et machines bien plus efficaces – si ce n’est pour permettre à l’auteur d’accumuler à l’envi les péripéties classiques.

Parmi les autres défauts, certains passages semblent avoir été écrits beaucoup trop vite. On a l’impression que certaines scènes, pourtant importantes, ont été écrites uniquement à titre de transition, de pensum, sans réelle implication de l’auteur. Nous ne saurions ici les citer toutes mais notons par exemple le passage où le frère du héros raconte à sa mère les horreurs vécues sur le champ de bataille : la platitude du dialogue, l’absence totale d’investissement dans l’écriture sont ici caricaturales. Notons enfin, parmi les habitudes discutables de Neal Asher, l’utilisation récurrente, pratiquement à chaque page, d’acronymes (« AG », « SCT », « GM », « IA », « ATV », « RV », « EM ») qui n’apportent rien au roman et finissent par lasser.

Une fine touche d’interrogation métaphysique

« Et si on effaçait l’esprit, on pouvait aussi effacer les émotions. Éteindre et allumer une créature de chair. » Au fil du roman, au fil de la découverte par le héros de ce qu’il est lui-même et de ce que peuvent être ou non des créatures comme les golems, « émulations humaines de machines » aux côtés desquels il vit et combat, le récit conduit à ces interrogations d’envergure qui font souvent la grandeur du genre. Si les sentiments que l’on peut accorder à une fiction mécanique ou informatique n’ont rien de nouveau – et font par moments songer à des classiques comme « Au Carrefour des Étoiles » de Clifford D. Simak – , la récupération intégrale de la mémoire d’un individu obtenue au prix de la destruction de ses connexions neuronales, donc de l’individu lui-même, puis le « téléchargement » dans ce réceptacle cérébral d’une nouvelle conscience interpellent d’autant plus le héros qu’il découvre que certains de ses propres souvenirs ont été supprimés. Un individu, qu’il soit humain ou golem, peut-il se suicider en effaçant ses souvenirs ? Est-il licite de gommer des pans entiers de sa propre mémoire, ou de faire supprimer ceux de ses enfants, au prétexte que ces souvenirs sont douloureux ? Bien que l’ouvrage privilégie essentiellement l’action et ne s’aventure guère dans les terres de la réflexion, on note une interrogation récurrente sur l’essence même de l’individu qui confère au récit une touche d’intérêt et d’humanité – un aspect qui aurait sans doute mérité d’être plus développé.

Un bilan en demi-teinte

Roman inabouti qui par moments donne l’impression d’avoir été écrit ou publié trop vite, « Drone » aurait mérité d’être mûri et retouché. Malgré ce défaut, son action resserrée sur moins de trois cents pages pourra emporter le lecteur qui ne s’interrogera pas trop sur ses composantes et son contexte global dans une spirale de péripéties qui lui permettra de passer un bon moment. Du space-opera sans ambition affichée, du récit d’action qui tient parfaitement le rythme.


Titre : Drone (Shadow of the Scorpion, 2008)
Auteur : Neal Asher
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Patrick Imbert
Couverture : Marc Simonetti
Éditeur : Fleuve Noir
Collection : Rendez-Vous Ailleurs
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 295
Format (en cm) : 15,5 x 24 x 2,3
Dépôt légal : octobre 2010
ISBN : 978-2265089167
Prix : 22 €



À lire également sur la Yozone :
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Hilaire Alrune
25 avril 2011


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