Il est né Frank Frazzetta le 9 février 1928, à New York, dans le quartier de Brooklin. Il perdra le second z de son nom un peu plus tard ! C’était une époque d’insouciance, dans un Brooklin qui se construisait encore. Les terrains vagues et les bois lui procuraient les lieux propices aux jeux de l’imagination. Il dessine très jeune et démontre une réelle capacité à la création artistique ; ses inspirateurs sont le « Terry and the Pirates » de Milton Caniff ou le « Tarzan » de Hal Foster. A six ans, il fait déjà ses propres bandes dessinées. Ses professeurs encourageront ses parents à l’inscrire à la Brooklin Academy où il s’avère être artistiquement très doué. Un don inné qui impressionnera tous les artistes tout du long de sa longue carrière.
Il aurait pu être un sportif de hautn niveau, un recruteur de l’équipe professionnelle de base-ball des New York Giants lui ayant fait les yeux doux. Mais les filles étaient tellement plus intéressantes ! C’est son autre grande passion, avec l’art, bien entendu, et pas seulement la bande dessinée, il aimait aussi l’opéra, tous les beaux arts.
Entre un quartier qui devenait de plus en plus dur, et où il jouait du caïd contre les petites frappes, le base-ball et les filles, il reconnaissait avoir perdu beaucoup de temps. Une adolescence un peu ingrâte, mais il développait tout de même sa passion du dessin, démarrant tout de même une carrière d’artiste.
Comme beaucoup, ce sont de petits boulots, des bandes dessinées sous le pseudo de Fritz. Ce sont les années 50, il travaille pour Magazine Enterprise et National (qui deviendra DC Comics), se frotte au récit d’aventure, bosse en 1953 sur « Flash Gordon » avec Dan Barry, et sera même longtemps le « nègre » de Al Capp, se fondant dans un autre style pour servir la très populaire série « Li’l Abner ». Il dessine ensuite pour des revues comme Cavalcade, Gent et Dude, l’érotique sera son lot quotidien, y compris pour l’éditeur Tower, Harvey Kurtzman et sa « Little Annie Fanny », Playboy.
Il travaille alors à la plume, à l’encre de Chine et parfois à l’aquarelle.
La peinture, c’est le monde de l’édition qui lui en ouvrira l’accès, il devient alors un professionnel de la couverture. Les années 60 lui donneront beaucoup d’occasions d’évoluer, il bosse chez Ace en 1962, crée ses splendides covers de Conan chez Lancer, en 1966.
Il fera encore quelques comme « Buck Rogers », « Conan le Barbare » ou « Vampirella », ou le premier numéro de « Creepy », mais ila touché sa vraie passion, l’illustrateur et le peintre de la Fantasy est né et va absorber tout son génie créatif.
James E. Bama (un des plus grands peintres américain du XXe siècle), raconte, toujours dans « Le Maître du Fantasy Art », l’évolution des livres de poche : « devenus plus chers, ils proposaient des auteurs célèbres, et on les tirait à des millions d’exemplaires (Ndlr : de quoi faire rêver nos éditeurs !). On mettait nettement l’accent sur le réalisme et, pour les artistes, c’était une extraordinaire occasion de se faire connaître. »
Frazetta ne va pas louper le coche.. en 1975, Bantam, qui lance une nouvelle collection de livres grand format, le charge des cinq premiers ouvrages. Bama voit alors l’évolution d’un très grand artiste : « A mon avis, ses dessins à l’encre et à la plume sont supérieurs à ceux d’Alex Raymond et de Hal Forster... » , excusez du peu !
Et que dire de ses couleurs, il ose clamer leur force et leur vivacité, violentes et éclatantes, elles chantent le sillon zébré de rouge que laisse la lame du barbare, la chaleur vibrante sur un champ de bataille ou la menace orangée de la bête qui bondit.
Le plus impressionnant avec Frazetta, c’est qu’il n’a pas besoin de modèle pour créer. Il possède une parfaite connaissance de l’anatomie, dessinant à merveille les corps, mais plus impressionnant encore, les mettant en mouvement de façon remarquable. Il en va de même pour les animaux, ses chevaux sont à tomber (non, pas de jeu de mot !), ses félins sont exceptionnels, Bama encore, dit que « son aptitude à dessiner et à peindre des animaux, au repos ou en action, est la plus extraordinaire que j’aie jamais vue. »
Car Frazetta aime l’action, ses scènes sont hyper animées. Rick Berry, un artiste bostonien, lui reconnaît une technique hors-norme, liée à ce pouvoir qu’il a de rendre inséparables la pensée et l’action. Pas de copies, pas de modèles vivants, pas d’épreuves photographiques, non, tout est dans ce qu’il voit dans sa tête, et il réalise. Vraiment énorme et tout à fait rare.
Autre qualité artistique que Berry dénote chez Frazetta, que cette capacité à suggérer et à laisser au public sa propre capacité à voir. « Comprenant parfaitement bien le mécanisme du miracle artistique, il est maître du geste bref et élégant, du trait direct et cinglant, qui confèrent à son oeuvre une telle économie de moyens. »
La suite de cette intervention devient très amusante quand Berry parle de la technique de Frazetta ; il ne târit pas d’éloges : « Frazetta transcende l’illustration - il la transmute en art. Il y en aura qui diront »Oh, allez ! Ce type peint des démons ailés, des sorciers, des spadassins et des machins mythologiques...« . Certainement. C’est aussi ce que faisaient Léonard de Vinci, Michel-Ange, Tiepolo, Goya, Picasso. Ce qui est inacceptable pour certains, c’est d’avoir du succès dans le domaine de la culture populaire. »
C’est toujours un peu la même chanson qu’on entend concernant les passionnés de SF ou de Fantasy, ces littératures d’adolescents attardés... souvent boutonneux, d’ailleurs !
Il inspire le film d’animation « Tygra, la glace et le feu » (Fire and Ice), réalisé par Ralph Bakshi. Il crée en 1973 le Death Dealer, autre icône majeure de Frazetta, qui connût un succès inouï auprès d’un public toujours plus important. Il en réalisera plusieurs peintures, toutes superbes ; son personnage sera d’ailleurs décliné en romans et en bandes dessinées.
Ses illustrations sont regroupées dans « The Fantastic Art of Frank Frazetta » (Éditions Ballantine), un ensemble de cinq volumes qui se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires.
En 2009, la peinture originale de l’illustration de la première édition de Conan the Conqueror, publiée par Lancer en 1967, est achetée pour la somme d’un million de dollars par Kirk Hammett, le guitariste du groupe de hard-rock Metallica. Car Frazetta a inspiré pas mal de groupes de rock heavy américain, notamment Molly Hatchett qui utilisera plusieurs de des évocations barbares pour sonner avec les multiples guitares du combo sudiste.
Cette passion pour l’illustration d’Imaginaire, la majorité du temps portée sur la Fantasy, Frazetta ne va plus la quitter, jusqu’à son décés, le 10 mai 2010, une attaque cardiaque le terrassant à Fort Myers, en Floride.
Une anecdote assez incroyable, rapportée par son fils, raconte son inextinguible envie de dessiner et de peindre : en vieillisant, il perd la possibilité d’utiliser sa main droite. Un énorme problème pour le droitier qu’il est, mais qu’importe la difficulté, il arrivera à apprivoiser sa main gauche pour, à nouveau, illustrer. Un peu moins bien, certes, mais illustrer à nouveau.
Magic Mister Frazetta !
Mes remerciements à Hilaire Alrune et Simon Sanahujas, qui ont réalisé pour la Yozone une passionnante interview, « Littérature et testostérone », qu’ils m’ont forcé à illustrer. Me menaçant d’une décapitation à coups de hache à double tranchant si je ne faisais pas très rapidement cette Expo Frazetta, je me suis, si je puis dire,exécuté dans le plus bref délai.
Découvrez leur rencontre, elle est passionnante, emplie du bruit et de la fureur des mondes barbares qui ont fait la renommée du héros howardien, de Conan le Barbare et de Frank Frazetta.
En langue française, l’ouvrage de référence est « Frank Frazetta, Le Maître du Fantasy Art », publié chez Evergreen en 1999 et que je ne peux que vous conseiller de vous procurer. Le tirage est aujourd’hui épuisé, mais le livre se trouve sur le Net.
A lire sur la Yozone :
Littérature et testostérone
Expo Yozone : Frazetta, le Death Dealer et ses émules
Expo Yozone : les mondes barbares d’Adrian Smith
Illustrations © Frank Frazetta et ayant droits.