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Khanaor
Francis Berthelot
Gallimard, Folio SF, roman (France, 1983), fantasy, 472 pages, février 2010, 7,70€

Ve siècle. Sur l’île de Khanaor, trois puissances politiques vont bientôt s’affronter. Après deux années de mauvaises récoltes, la Goldèbe s’est endettée auprès de la reine-sorcière d’Aquimeur pour acheter de l’engrais à l’opulente Ardamance. Mervine, la reine, réclame cet argent pour acheter à cette même Ardamance du sang de soleil, un produit résultant du sacrifice de mages, le seul à même de revivifier les eaux des lacs et des rivières dont son peuple tire sa subsistance.
Devant le refus de l’Ardamance à sacrifier ses mages et baisser le prix de son engrais, les deux contrées vont se liguer contre elles. La désolation va s’abattre sur Khanaor tandis que ses enfants s’entredéchireront, par la hache ou par la magie.



Écrit en 1983, et originellement publié en deux parties (« Solstice de Fer » et « Équinoxe de Cendres ») « Khanaor » est la seule incursion de Francis Berthelot dans la fantasy. Et force est de constater qu’il s’en sort très bien, alliant ses thèmes de prédilection aux codes classiques de la fantasy, et que le résultat, pour notre plus grand bonheur intellectuel, se révèle assez éloigné de la production anglo-saxonne post-Tolkien.

C’est une histoire de guerre comme souvent, une guerre née de la jalousie pour le voisin plus riche, plus civilisé, celui qui mange chaque jour à sa fin sans sueur toute l’eau de son corps, simplement parce qu’il vit sur une terre fertile et baignée de soleil. Dans ce cas, l’Ardamance produit un engrais, la neige de lave, et dispose de quelques sorciers. Et refuse de se priver de l’un et de l’autre pour le seul plaisir de ses voisins. Faute d’être satisfaites, les deux nations vont s’unir contre elles.

Et c’est là que le talent de l’auteur change cette histoire. Francis Berthelot relate avec brio la montée d’une colère populaire que chacun estime légitime, alors qu’elle est instillée par le roi de Goldèbe et la reine d’Aquimeur. Et tous cherchent des boucs émissaires, prennent les armes et se réjouissent de délaisser leurs champs peu féconds pour aller ravager la paisible Ardamance.

Parmi cette foule assoiffée de sang, quelques personnages, bien entendu, se démarquent. Sigrid, la petite-fille d’une sorcière de village qu’on s’est empressée de brûler, cristallisant sur elle tous les maux, en oubliant ceux qu’elle a guéris. Kurt, le charmeur de plantes entraîné malgré lui dans la troupe, et qui cherche désespérément un peu d’amour dans cette brutalité. Tous deux vont bientôt faire route ensemble, pour accomplir la quête initiatique de la gamine destinée à rétablir l’équilibre.
Côté Ardamance, Judith est une magicienne qui a perdu tout son pouvoir à la mort de son époux. Car la magie est ici affaire de chakras, et d’amour (ou de haine, pour Mervine). Un amour sans frontières, originalité de ce roman vieux de bientôt trente ans : l’homosexualité, plus ou moins tolérée, est au cœur des relations entre les personnages, sans parfois qu’on s’y attende. Si les préférences de Kurt sont claires, la surprise viendra de l’Anserf, l’esprit errant de Khanaor enchaîné à Mervine : privé de son identité, habitant le corps et l’âme de cadavres, il ne trouvera la paix qu’en se retrouvant. Et en s’acceptant.

Celui qui aura le plus de mal à s’accomplir reste Raïleh, l’ambitieux, le séducteur, le traître absolu : il se sert de chacun avant de les jeter, cherche à aller toujours plus haut. Si dans les premières pages on se prend à croire qu’il est le héros, on réalise rapidement qu’il est l’instrument consentant de tout ce conflit. Et à défaut de vouloir y mettre fin, s’en sortira-t-il ?

À mesure que la guerre dure, la folie s’empare de Mervine, qui déchaîne sur son île la pire des magies, que la jeune Sigrid devrait affronter, tandis que Judith et Craès, l’ermite des montagnes, tentent de stopper les armées de Goldèbe. La paix reviendra-telle sur Khanaor ? C’est de la fantasy, donc finalement, oui.

Extrêmement dense, n’entremêlant pourtant les ambitions et les sentiments que d’une douzaine de personnages, « Khanaor » est un roman fort, à la trame classique mais à l’atmosphère aussi sombre qu’originale, teintée de quelque chose qu’on ne saurait attribuer qu’à la nationalité de l’auteur, en opposition à la littérature de l’imaginaire anglaise ou américaine de l’époque. D’un certain côté, il diffère autant de cette fantasy post-Tolkien (et pré-Donjons et Dragons, pour simplifier) que des romans comme « Au pays du Mal », de Clifford D. Simak ou « La Fille du Roi des Elfes » de Lord Dunsany. La société se rapproche d’un moyen-âge européen, la magie oscille entre miracles chrétiens et rituels celtiques. Bien loin des boules de feu.

« Khanaor » est différent, à de nombreux points de vue. Sans perdre de vue sa date de rédaction, un très bon moment de lecture, une guerre causée et résolue par l’amour et le cœur des hommes.

Quelques coquilles ont survécu, rien de bien méchant.

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Khanaor - corrections

Titre : Khanaor (1983)
Auteur : Francis Berthelot
Couverture : Johann Bodin
Éditeur : Gallimard (édition originale : Temps futurs, 1983. Rééditions : Fleuve Noir Anticipation, 1986 ; Imaginaire sans Frontières, 2002)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman (site éditeur) (attention, la photo de l’auteur n’est pas récente !)
Numéro : 364
Pages : 472
Format (en cm) : 10,8 x 17,8 x 2,2
Dépôt légal : février 2010
ISBN : 9782070399291
Prix : 7,70 €



À lire également sur la Yozone :
- Une interview de Francis Berthelot
- la chronique de Hadès Palace et Forêts secrètes


Nicolas Soffray
25 octobre 2010


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