Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Prisonniers des Étoiles : Eric Frank Russel
Eric Frank Russel
Bragelonne, Les Trésors de la SF, romans et nouvelles, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 643 pages, mars 2010, 25€

Laurent Genefort dirige d’une main de maître cette collection des éditions Bragelonne, alternant avec bonheur écrivains reconnus anglo-saxons et français (Coney, Sprague de Camp, Pelot et Andrevon), romanciers à redécouvrir (cf. l’intégrale Julia Verlanger), classiques et inédits du passé (le volume consacré à Jacques Spitz).

C’est donc avec un grand plaisir que nous avons accueilli ce « Prisonnier des Étoiles » présentant quatre romans et cinq nouvelles de Eric Frank Russel ainsi que deux essais centrés sur cet auteur hautement recommandable.

Rien que du très bon !



Né en 1905, décédé en 1978, cet écrivain anglais reconnu y compris par ses pairs américains de l’âge d’or est un peu ignoré des lecteurs français pour des raisons grandement indépendantes de son talent.
Peu ou pas de rééditions régulières en poche, des audaces créatives (des hommes de couleur héros de certains de ces romans), des thématiques dont s’inspirèrent directement tout à la fois les scénaristes de « Star Trek » ou de « Terminator 2 », mais qui restent ignorées du grand public, un humour décapant, très souvent irrésistible.
Autant d’ingrédients qui auraient dû en faire un classique du genre SF en France, et pourtant rien de tout cela. Il faut avoir eu entre les mains de précieux volumes du Club du Livre d’Anticipation, un poche au Rayon Fantastique ou des numéros assez anciens du Masque, de Présence du Futur ou de Pocket pour le lire. Ne parlons même pas de ses nouvelles qui, à de très très rares exceptions près, n’étaient jusqu’alors disponibles que dans les numéros des revues Fiction ou Galaxies (première époque), soit notre moyen-âge éditorial (“Le Chioff” restant même inédite en France malgré son Prix Hugo).

Ce « Prisonnier des Étoiles » remet les pendules à l’heure. Il débute par « Guêpe » (Wasp, 1957), une des plus belles réussites de l’auteur, ayant pour thème l’infiltration. Un agent terrien est lâché en solo sur une planète étrangère dont il est chargé de déstabiliser le régime. Mission quasi suicidaire pour ce super espion qui, de collages d’autocollants provocateurs en fabrication de fausse monnaie, d’assassinats politiques en cambriolages divers et variés, finit par mobiliser la plus grande partie des forces policières et militaires contre un ennemi invisible.
Cette aventure où un James Bond du futur dynamite un régime planétaire est entraînante de bout en bout. La puissance du style d’Eric Frank Russel parvient même à faire oublier les petites incohérences du récit. La derniére page dévorée le sourire aux lèvres, il reste le souvenir d’un texte jubilatoire.

« Plus X » (The Space Willies, 1958) exploite avec brio un filon similaire, mais en plaçant un explorateur terrien dans un vaisseau ultra rapide. Celui-ci doit pénétrer le plus loin possible à l’intérieur de la zone d’influence d’une civilisation concurrente, recueillir le maximum d’informations... et tenter de sauver sa peau en attendant d’hypothétiques secours.
Capturé, fait prisonnier puis interrogé en terra incognita, la trouvaille de cet explorateur terrien est alors surréaliste. Il invente un double invisible à tous les terriens (un Eustache !), convainc la race qui l’a capturé que leurs alliés ont également un double invisible (une Chocotte !, mais qu’eux le cachent pour des raisons évidentes : ils ne sont pas gentils, a contrario des Terriens.
Petit à petit, la nouvelle de l’existence des Eustaches terriens se répand chez l’ennemi qui pense même l’exploiter -ne se rendant pas compte qu’il va ainsi justifier involontairement auprès de ses propres alliés le mensonge monté de toutes pièces par le Terrien à leur sujet !
Bref, ces révélations fumeuses déstabilisent lentement -mais sûrement- le front planétaire uni présenté juqu’alors...
La flotte spatiale terrienne n’aura plus qu’à donner le dernier petit coup de pouce pour que la forteresse galactique étrangère ne devienne un château de cartes qui s’effondrera brutalement !
Encore plus barré que « Guêpe », « Plus X » est un réel délice d’humour transgressif, violemment anti-militariste.

« La Grande Explosion » (The Great Explosion, 1962) débute d’une manière assez farfelue par l’invention de l’antigravité par un homme lambda qui consacre sa vie à ce projet sans même savoir ce qu’il fait. Cette découverte fabuleuse entraînant la création de vaisseaux ultra rapides, une bonne partie de l’humanité rue alors dans les brancards et s’empresse de quitter la planète à la vitesse grand V. Trop heureux d’avoir déjà vu partir une bonne partie des frappadingues (extrémistes politiques, religieux, etc) vers des ailleurs inconnus dans des vaisseaux plus conventionnels lors des siècles précédents, le gouvernement planétaire laisse faire jusqu’au jour où l’idée d’unifier toutes ces colonies potentielles se fait jour....
Nous allons donc suivre les voyages d’un gigantesque vaisseau d’exploration vers des mondes potentiellement habités par des humains. L’équipage composé de militaires, technocrates et savants va alors comprendre que les anciens terriens ont bien décidé de suivre leur propre chemin !
Entre une planète habitée par d’anciens prisonniers qui ont développé une société anarchiste et libertaire qui refuse tout concept de bien communautaire, une autre totalement inhabitée sur laquelle ils n’oseront même pas se poser par pure trouille, une société de nudistes qui les oblige à se promener en tenue d’Adam et, clou du spectacle, un monde assez incompréhensible ou d’anciens adeptes de Ghandi (un personnage plutôt oublié depuis) poussent sans forcer une bonne partie de l’équipage à démissionner de ses fonctions, les voyages de cet Enterprise sous substances hallucinogènes sont hilarants et profondément subversifs. Eric Frank Russel se lâche franchement et ne rate pas une occasion de dégommer tout ce qui ressemble de près ou de loin à un représentant d’une quelconque autorité.

« Guerre aux Invisibles » (Sinister Barrier, 1939) est sans doute le roman le plus classique de Eric Frank Russel et aussi le moins original aujourd’hui. Il est pourtant celui qui anticipe le mieux tout le filon paranoïaque qu’exploitera la science-fiction ainsi que Hollywood durant des décennies.
En résumé, un savant découvre par hasard que l’humanité est contrôlée depuis sa naissance par une race d’êtres éthérés, invisibles, se nourrissant de nos émotions extrêmes. Depuis la nuit des temps, l’homme n’est que le bétail des étranges “Vitons” qui le poussent avec joie dans sa folie guerrière afin de s’en repaître.
Retrouvé mort, le savant a quand même laissé des indices assez obscurs permettant à quelques enquêteurs de l’étrange de remonter la piste des Vitons sans y laisser leur peau. Mais est-il seulement possible de prendre sa revanche sur une race de parasites aussi puissants ?
Le suspense est évidemment le moteur de l’intrigue dans un roman qui remplit sa fonction, mais s’avère nettement moins hors norme que les trois premiers textes présentés dans cet ouvrage. Il est à noter que l’on trouve déjà et dès 1939 des interrogations typiques de l’œuvre de E. F. Russel tant sur l’agressivité naturelle (ou pas) de l’homme que sur ses obsessions guerrières. Comportements expliqués ici par l’influence d’une race extérieure et parasite.

Gros bonus, les cinq nouvelles disponibles dans ce recueil sont toutes de franches réussittes.
Le Chioff” (Allamagoosa, 1955) est une petite merveille d’humour (récompensée par un Prix Hugo) ainsi qu’un vibrant plaidoyer anti bureaucratique.
Tous ceux d’entre vous qui ont dû supporter les affres d’une inspection ou d’un audit professionnel ne pourront que mourir de rire à sa lecture.
Mutants à vendre” (This one’s on Me, 1953) pousse le bouchon du registre fantastique assez loin en réservant un sort peu enviable au client sérieusement casse-pieds d’un boutiquier aux étranges pouvoirs.
Triste Fin” (Bitter End, 1953) narre par le menu (!) pourquoi un astronaute -dont l’humanité attend le retour avec impatience- préfère atterrir incognito et se faire oublier le plus longtemps possible.
Rendez-vous sur Kangshan” (Meeting on Kangshan, 1965) et “Quand vient la nuit” (Fast Fall the Eventide, 1952) sont deux textes plus mélancoliques.
Le premier décrit la rencontre d’un ancien dur de dur de la « spatiale » (de ceux qui exploraient les planètes inconnues au péril de leur vie) avec un sympathique et jeune majordome. Si les dialogues sont un vrai régal d’humour viril, la conclusion, triste et mélancolique, est à la hauteur de la vie du baroudeur.
Dernière pépites de ce recueil, la nouvelle concluant ces 626 pages de Eric Frank Russel est un récit de pure SF, situé dans un très lointain avenir. Où comment une humanité en train de lentement disparaître se perpétue en devenant les instituteurs bienveillants de toutes les autres races de la galaxie.
Inventif, original, beau, très beau, mais difficilement résumable.

Deux essais viennent conclure ce « Prisonnier des Étoiles ».
Eric Frank Russel, le guerrier non-violent” par Marcel Thaon figurait déjà dans la version Pocket de 1983 du roman « Guêpe » et s’avère un excellent texte d’introduction à l’œuvre de cet écrivain.
Beaucoup plus complexe et ambitieux, “Mythologie fortéenne et synchronicité dans Guerre aux Invisibles” par Francis Valéry est une étude sérieusement documentée éclairant d’un jour nouveau le roman le plus connu de cet écrivain.
Une analyse de haut vol dont on ne peut que saluer la publication. Par contre, il est évident que des passages tels « ... la science-fiction rétablit la prééminence du mode synchronistique de circulation de l’information, marginalisé et décrédibilisé dans l’Occident post-médiéval par un cartésianisme réducteur, au seul principe de causalité... » risquent bien d’effaroucher le lecteur moyen.
Mais qu’y faire, sinon s’obstiner un peu, histoire de vivre plus intelligent ?

Que vous connaissiez (ou pas) Eric Frank Russel ce volume de la collection Les Trésors de la SF est fait pour vous. Un très bel auteur vous y attend et vous surprendra sûrement.


Titre : Prisonnier des Étoiles (2010)
Auteur : Eric Frank Russel
Couverture : Gary Jamroz
Traduction de l’anglais : Renée et Jean Rosenthal, G. et L. Meistermann, Christian Meisterman, Julie Twardowski, Patrick Ségalen, Bruno Martin et Yves Hersant.
Romans : Guêpe, Plus X, La Grande Explosion, Guerre aux Invisibles
Nouvelles : Le Chioff, Mutants à vendre, Triste fin, Rendez-vous sur Kangshan, Quand vient la nuit
Essais (postfaces) : Marcel Thaon, Francis Valéry
Éditeur : Bragelonne
Collection : Les Trésors de la SF
Dirigée par : Laurent Genefort
Logo collection : Caza
Site Internet : fiche auteur, fiche recueil (site éditeur)
Pages : 643
Format (en cm) : 15,4 x 23,5 x 3,7 (broché)
Dépôt légal : mars 2010
EAN : 9 782352 943877
ISBN : 978-2-35294-387-7
Prix : 25 €



Stéphane Pons
14 septembre 2010


JPEG - 37.8 ko



Chargement...
WebAnalytics