Un film très impressionnant qui, comme on pouvait s’en douter, partage la rédaction. Ce qui nous a, bien entendu, donné envie de rencontrer son auteur et réalisateur, le cinéaste chinois Lu Chuan.
En attendant sa retranscription, voici déjà pour les anglophones la vidéo de cette entretien exclusif sans sous-titre.
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Entretien exclusif avec Lu Chuan
Avant toute chose, pouvez-vous vous présenter à nos internautes et retracer votre parcours ?
Je m’appelle Lu Chuan, j’ai 39 ans. Je suis né dans la province de Xinjiang située à l’extrême ouest de la Chine. Entre la Chine et la Russie…. Enfin pas la Russie mais l’union soviétique. ou du moins, l’ex-URSS (sourires)… ce qui n’est plus le cas maintenant.
A 5 ans, ma famille est partie s’installer à Pékin. J’ai donc grandi à Pékin. Puis à 18 ans, c’est-à-dire en 1989, après avoir eu mon Bac, mes parents m’ont envoyé suivre une formation militaire à l’université administrative de Nankin. J’y suis resté 4 ans. Une fois mes diplômes en poche, je suis rentré à Pékin et j’ai travaillé pour l’armée. Mais au bout de quelques mois à jouer à l’officier j’ai décidé de démissionner (sourires). Je me suis ensuite employé à rentrer pour entrer à l’académie de cinéma de Pékin. Pendant un an je me suis préparé pour le concours. Et j’ai eu de la chance. Cette année là, il n’y avait que 3 lauréats et j’étais l’un deux. Il m’a encore fallut 3 années d’étude pour obtenir un master à l’académie de Pékin.
S’en sont suivies 3 nouvelles années d’étude, pour obtenir mon master de l’académie du film de Pékin. Après cela je suis devenu réalisateur pour les studios de Pékin. Mais durant les 3 première années, je n’ai pas eu beaucoup d’opportunité. J’étais un tout jeune réalisateur, et quand on est jeune réalisateur c’est compliqué de réunir de l’argent pour tourner un film. Mais après 3 ans, 2 longues années d’attente, je suis parvenu à monter mon premier film, « The Missing Gun », produit par Huayi Brothers, China Film Group, China Film Studio et aussi Sony Columbia. « The Missing gun » mettait en vedette Wen Jiang. Wen Jiang est une énorme star en Chine. Ce film a été sélectionné pour à la Mostra de Venise 2002, dans la catégorie « A contre courant ». Ce film a eu beaucoup de succès en Chine en 2001. Et après ça, j’ai réalisé mon second long-métrage, « Kekexili - la patrouille sauvage ». Ce film était aussi produit Sony Columbia et Huayi Brothers. Ce film a reçu de nombreuses récompenses dans différents festivals. Après ce film, il m’a fallut 4 ans et demi faire mon 3e film : « City of Life and Death ».
Pourquoi un film sur la chute de Nankin et les massacres perpétués par l’armée japonaise ?
Principalement pour deux raisons. La première pour le devoir de mémoire. Parce qu’en dehors de la Chine, personne n’est au courant de ces massacres et la brutalité avec laquelle ils ont été perpétués. Je voulais donc faire un film pour aider les gens à se rappeler les faits.
L’autre raison, c’est qu’après avoir terminé mon film précédent, « Kekexili - la patrouille sauvage », qui traitait également de la lutte pour la survie, j’avais un sentiment d’inachevé. De ne pas avoir au jusqu’au fond mon sujet. Je sentais que quelque chose à l’intérieur de moi me poussait à faire un autre film pour poursuivre cette exploration de l’âme humaine.
Le tournage a-t-il eu lieu en studio, à Nankin, où dans une reconstitution du Nankin de l’époque ?
Non je n’ai pas tourné ce film en studio. Ni à Nankin d’ailleurs. En fait, nous avons tourné dans 2 autres villes. A Chinchin et Changchun. A Chinchin, J’ai loué une gigantesque usine désaffectée, et nous avons reconstruit les rues pour les filmer la bataille. Et dans les environs de Changchun, qui est la capitale de la province de Jilin, il y a un grand lac artificiel et une région désertique. J’ai donc donné un peu d’argent au gouvernement local pour qu’il me permette d’utiliser cette terre. Et à Côté du Lac, nous avons reconstitué la ville de Nankin.
Le choix du noir et blanc était-il motivé par souci de réalisme ?
Renforcé le réalisme était effectivement une des raisons. Mais ce n’est pas la seule. Déjà, je déteste la couleur du sang. Je trouve que c’est un manque de respect pour les personnes mortes. On avait une autre raison d’importance pour tourner en noir et blanc. Nous croyons que le noir et blanc aide à la concentration, qu’il aide le public à se concentrer sur le message que nous voulons lui délivrer, et dote le film d’une puissance religieuse, qu’il lui confère un sens religieux.
Quelle est la part de fiction dans votre film et à partir de quelles sources avez-vous constitué votre scénario ?
A la base, cette histoire est basée sur la vérité. Mails une vérité inspirée de différentes sources. Du Japon, de Tawain, de Washigton DC et d’autres de Chine. J’ai donc juste lu et comparé tout ces informations pour en extraire la vérité. Et comme il n’est pas facile de déterminé ce qu’est la vérité, nous avons collecté des milliers de documents, dont de nombreuse photos en noir et blanc, pour permettre aux gens de l’équipe de travailler avec le plus grand réalisme possible. J’ai aussi demandé à mes collaborateurs et partenaires, d’analyser les photos d’époque, pour les amener à trouver les réponses à mes questions.
Avez-vous rencontré de problèmes avec la censure ?
Oui. En Chine, nous sommes tenus de suivre des procédures bien précises. Il faut que vous présentiez votre synopsis puis votre script à la commission de censure. Après lecture, ils vous font part de leurs suggestions de changements, C’est la manière chinoise de faire des films. Tout le monde le sait, et tout le monde doit faire de même. Avec moi, il y a quelques petites différences. Je suis quelqu’un d’entêté et de persuasif. J’ai passé beaucoup de temps à les convaincre d’accepter mes idées. J’allais leur rendre visite 4 fois par semaine, et cela durant plusieurs mois, pour parler à tout le monde. Finalement cette méthode a fini par porter ses fruits. Ils étaient convaincus et m’ont donné, comparativement, les moyens de faire mon film comme je le voulais…. J’ai de la chance (sourires).
Et je voudrais encore ajouter une chose. Je pense que la Chine change. Je pense que c’est la raison principale qui a permis à un film comme « City of Life and Death » puisse être distribué en Chine. La Chine est en train de changer. La Chine est de plus en plus ouverte, plus confiante en elle et par conséquent le Bureau des films et la commission de censure sont aussi de plus en plus ouverts. C’est pour moi une opportunité de participer à ce changement.
En montrant les événements du point de vue d’un soldat japonais, vous attendiez-vous à déclencher une telle controverse ?
C’est la partie qui a la plus difficile pour moi. Je ne m’y attendais pas du tout. Je n’imaginais pas que quand le film sortirait il déclencherait tant de controverses en Chine. J’étais totalement surpris, par les arguments que l’on m’opposait. Je peux dire que j’étais choqué, comme toutes les personnes qui avaient soutenues, ou qui s’étaient investies sur ce projet étaient choquées. Même le gouvernement qui ‘avait donné son accord pour distribué le film en Chine était choqué.
C’était un peu comme si le pays était divisé en 2. Blanc et noir. Bleu et rouge. Il n’y avait pas de milieu, d’avis partagés. Seulement 2 camps. Une grosse partie des spectateurs étaient contre ce film. Ils le haïssaient. On m’a qualifié de traite, d’être au service des japonais. Des tonnes d’articles, qui critiquaient le film, ont été publiées. Un grand nombre d’intellectuels, même de fameux intellectuels, ont mis le film au pilori. D’un autre côté, beaucoup de gens ont aimés et supporté « City of Life and Death ».
Pourtant le film a eu beaucoup de succès en Chine ?
Un succès commercial. Plus de 7.000.000 de chinois sont allés au cinéma, ont payé leur place et regardé le film. Alors, commercialement ce fut effectivement un succès.
Viols, exécutions de masse, exactions en tous genres, comment gérer la violence sans aller trop loin ?
Si on reprend l’historique, pas mal de gens, en Chine, pensent que mon film va trop loin. Qu’il y montre trop de violences. Dans d’autres régions, comme celle Nankin, disent au contraire qu’il ne va pas assez loin. Qu’il est loin de rien. Car on se réfère à la mémoire, au faits historiques, les choses qui se sont produites à Nankin étaient ….. beaucoup plus barbares. Je me suis dit que je ne pouvais pas, que je ne voulais pas faire un film rempli d’actes de violence et de sang. Pour moi le processus qui mène au massacre est plus important que les massacres eux-mêmes. Qu’il est plus froid, plus terrible et plus brutal que les massacres qui en découlent. Il est plus proche de la nature, des raisons de ces massacres. J’ai donc laissé beaucoup l’espace, et donné beaucoup de temps aux détails, aux descriptions sur la façon dont les troupes japonaises ont organisé ses massacres. Je pense que c’est très important pour mettre en lumière la vérité sur comment les choses se sont passées.
Pouvez-vous nous parler de la séquence, proche de la fin du film, où l’on assiste à une cérémonie de commémorative japonaise où les soldats japonais dansent au rythme des tambours ?
Bon, déjà, c’est ma séquence favorite (rires). J’ai du beaucoup parlementer pour convaincre les producteurs de me permettre de la tourner et de l’inclure dans « City of Life and Death ». Parce qu’elle était dangereuse, être une prise pour une provocation par le public chinois. Mais je crois qu’elle était importante. Je voulais partager avec le public mes sentiments personnels. Quand j’étais au Japon et que j’ai vu ces danses au rythme des tambours, j’ai senti une excitation montée en moi. Ensuite, en regardant des documentaires, j’ai découvert que pendant la guerre des soldats dansaient comme cela, jouaient des tambours comme cela. C’est un sentiment un peu compliqué pour moi.
Même si on est Chinois, quand on se retrouve devant une telle manifestation, on se sent excité. Ce genre de manifestations peut facilement prendre le contrôle des esprits des gens. Prendre le contrôle de vos émotions. C’est ce qui s’est passé en Chine il ya 30 ans, quand les jeunes brandissaient le petit livre rouge de Mao. Ce genre de cérémonies a également eu lieu à Berlin, il y a 70 ans. Les gens qui dansent devant Adolf Hitler. Quand on regarde ce genre de documentaires de propagande, il peut arriver d’en être enivrer. C’est dans le même ordre des choses. Et je voulais absolument partager ce sentiment avec le public, pour témoigner de ce phénomène et qu’il puisse ainsi se faire leur propre jugement.
Travaillez-vous déjà sur un autre projet ?
Oui, je suis déjà sur un autre projet.
A propos de la guerre ?
Oui, à propos de la guerre (Rires). C’est en effet un autre film de guerre qui se déroule il y a 2000 ans en Chine. C’est un biopict sur le premier roi de la dynastie Han. Mon film retrace sa vie. C’était un homme ordinaire. Mais il a défait la dynastie Qin. Lui et son frère. C’étaient de simples fermiers mais ils ont vaincu la dynastie Qin. Les Qin étaient une dynastie de dictateurs. Ils les ont combattu et les ont vaincus. Il a ensuite fondé sa propre dynastie. Mais son régime s’est rapidement montré pire que le précédent, plus rigide, plus tyrannique. C’est une sorte de métaphore. Monter comment un combattant de la liberté peut, une fois au pouvoir, devenir le pire dictateur. Comment il est devenu l’incarnation de ce qui combattait avant.
C’est donc un nouveau film de guerre qui parle de la nature humaine ?
Je dirais effectivement que ce n’est pas un film sur la guerre, mais un film sur l’humanité.
LIEN(S) YOZONE
=> Le film annonce (vost)
=> La critique du film
INTERNET
Le site du Distributeur : www.metrofilms.com
Propos recueillis le 7 juillet 2010 par Bruno Paul
Remerciements à Lu Chuan, et Pascal Launay