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Dents de l’Amour (Les)
Christopher Moore
Calmann-Lévy, Interstices, roman traduit de l’anglais (États-Unis), vampires d’aujourd’hui, 316 pages, octobre 2008, 19€

San Francisco. Jody, secrétaire sans plus d’histoires que le reste de la ville (des relations conflictuelles avec sa mère, un petit ami imbu de sa personne, un job pas fabuleux) se fait agresser. Son assaillant la mord, puis lui fait boire son sang, avant de l’abandonner sous une poubelle. Lorsqu’elle se réveille, elle est devenue un vampire, et voit la vie de façon radicalement différente, des halos rouges autour des gens, et la jeune fille timorée acquiert soudain une audace trop longtemps réfrénée.



Pragmatique (comme toutes les femmes), elle réalise rapidement que pour survivre, et espérer découvrir qui et pourquoi on lui a fait cela, elle se cherche un “partenaire de jour”, quelqu’un dépourvu de photosensibilité et à même d’affronter pour elle les tracas quotidien des administrations, agents immobiliers et autres prédateurs diurnes. C’est ainsi qu’elle tombe sur Tommy, fraîchement débarqué de l’Indiana, des rêves d’écrivain plein la tête, et chef magasinier de nuit dans une grande surface le temps que la gloire lui mette la main dessus.
Entre fascination et attirance sexuelle, ces deux-là vont faire la paire. Mais rapidement, aux tracas d’une vie de couple en horaires décalés, viennent s’ajouter des cadavres vidés de leur sang. La police, incarnée par deux flics peu scrupuleux concernant la loi contre le tabac dans les lieux publics, patauge. L’Empereur de San Francisco, un clochard accompagné de ses deux chiens, commence à traquer le vampire, lui qui l’a vu émerger d’une poubelle le soir du premier meurtre. Il ne va pas laisser un monstre errer dans sa ville, non ?

La couverture, aussi épurée et inventive qu’à l’ordinaire de la collection Interstices, donne le ton.

La plume de Christopher Moore est truculente à souhait. Avec un sens indéniable du petit détail bassement matériel, il sait rabaisser n’importe quelle situation dramatique au niveau du quotidien, et rien de ce qui pourrait vous arriver, depuis une quintuple demande en mariage par cinq gros Chinois jusqu’à une tentative de viol multiple dans une laverie 24/24, ne prend la voie que vous pourriez imaginer.
San Francisco est la ville idéale pour ces divagations au-delà de ce que la plupart d’entre nous appellerait normalité. Lui, et ses personnages, notamment secondaires (du clochard investi du rôle de souverain protecteur aux employés de nuit du magasin), préfèrent parler du carcan de la société bien-pensante et trop policée. N’espérez aucune pitié, aucune demi-mesure de leur part, il s’agit à la fois du meilleur et du pire de l’espèce humaine. Ils vont même contaminer Tommy, qu’on aurait présumé « normal » au début, mais dont l’ouverture d’esprit (il accepte que sa colocataire soit une vampire) va finalement drôlement loin (jusqu’à vérifier ce qui est vrai ou faux dans les fictions vampiriques sur la principale intéressée, avec son consentement ou pas).

Servi par un humour quasi omniprésent (certains passages, notamment sur les malades du SIDA, sont néanmoins aussi brefs que poignants, d’une poésie qui surprendrait presque) dans la langue quand ce n’est pas dans les situations, « Les Dents de l’Amour » dépoussière le mythe vampirique, évitant les écueils des récits trop sentimentaux (je ne cite pas Stephenie Meyer, non ?) ou les combats à mort entrecoupés de longs silences stressants (façon « 13 balles dans la peau », plutôt réussi dans le genre). Il s’appuie au contraire sur la littérature de genre classique (Bram Stoker, Anne Rice) pour faire aborder la contamination vampirique de manière très prosaïque par ses personnages. Après une indispensable bataille finale remportée par du bricolage (on fait avec ce que l’on a…), il se paie même le luxe de retourner la situation et de réhabiliter son méchant.

Une raison de plus de s’intéresser à la suite immédiate que l’auteur nous livre 12 ans après : « D’amour et de Sang Frais », et que Calmann-Lévy a publié l’an dernier, en attendant un troisième volume prévu pour 2011.

Si vous ne connaissez pas (encore) Christopher Moore, en cette époque où les vampires pré- ou post-pubères nous submerge quelque peu, voici de quoi vous réconcilier avec les hémophages. Et de pouvoir dire au prochain ado torse nu que vous verrez sur un écran de cinéma : “Et si tu te changes en brume, ton caleçon il tombe ou pas ? Quoi, tu sais pas te… ? Ouais, p’tit joueur, retourne chez ta mère ! Et puis va faire des UV, t’es tout pâle !”
Voilà, en gros, Christopher Moore, ça risque de vous faire cet effet-là. Vous êtes prévenus !

Peu de coquilles, comme souvent dans cette très bonne collection Interstices.

Texte - 819 octets
Les Dents de l’Amour - corrections

Titre : Les Dents de l’Amour (Bloodsucking Fiends, 1995)
Auteur : Christopher Moore
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Luc Baranger
Couverture : Néjib Belhadj Kacem
Editeur : Calmann-Lévy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Collection : Interstices
Pages : 316
Format (en cm) : 15 x 23 x 3
Dépôt légal : octobre 2008
ISBN : 978-2-7021-3943-1
Prix : 19 €



À lire sur la Yozone :
- la suite : « D’amour et de Sang Frais »


Nicolas Soffray
21 juin 2010


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