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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Nicolas Cluzeau le « fantasyste »
Décembre 2009
Une interview Yozone

Auteur sympathique et discret, à l’occasion traducteur, Nicolas Cluzeau vit depuis quelques années en Turquie. À travers ses derniers romans, il partage avec les lecteurs sa passion pour ce grand pays.
Curieuse et intéressée par cet attrait communicatif, tout naturellement la Yozone désirait l’interroger sur le sujet.




Nicolas Cluzeau sur la YOZONE
« Les cavaliers du Taurus »
« Rouges Ténèbres »


Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Et nous en dire plus sur votre passion sur la Turquie ?

Je suis le fils d’un ingénieur du son et d’une restauratrice. Je suis plus un rat des villes qu’un rat des champs, mais j’ai gardé une passion pour les extérieurs et la nature, ayant vécu 10 ans à la campagne, dans un vieux relais médiéval perdu à côté d’une nationale, relais que mes parents avaient transformé en restaurant.
Je ne me destinais pas à devenir écrivain, à première vue, même si dans ce hameau où, à part les longues promenades dans les forêts et les champs en friche, je dévorais la bibliothèque remplie de livres du Masque : j’ai découvert Charles Exbrayat à neuf ans, vous parlez d’un choc, merci Imogène.
J’ai viré fantastique et science-fiction quelques années plus tard, en revenant à Paris, j’ai découvert le jeu de rôle et me suis plongé dans le « Seigneur des Anneaux ». La passion de l’écriture n’est venue que beaucoup plus tard, lorsque je retranscrivais des parties de jeu de rôle et faisait des résumés pour les autres joueurs, ou créais des scénarios en tant que maître de jeu. Je me suis lancé dans l’écriture d’un roman, « Embûches », que j’ai terminé assez rapidement, puis l’aventure m’a emporté dans le monde de l’édition.
Quant à la Turquie, eh bien c’est tout d’abord une histoire d’amour avec une stambouliote qui m’a poussé à aller y vivre, mais avant, pendant deux ans, j’ai visité, exploré les régions turques, étudié un peu son histoire, car j’étais totalement ignorant de sa richesse, ou presque. Et puis la connexion s’est faite à travers la lecture du livre de Jean-Paul Roux, « L’Histoire des Turcs », qui m’a émerveillé. Je retrouvais tout ce qu’il disait au sein de la population turque, de sa gentillesse, de sa roublardise, de sa tolérance, de son esprit de découverte et de curiosité, toujours palpable de nos jours, un pays beaucoup moins sclérosé que d’autres en Europe – et de sa folie aussi, n’oublions pas les tragédies qui ont frappé certaines minorités dans le passé. Tout ça, combiné avec des discussions avec un historien turc ami de ma femme, ont fait que j’ai imaginé des histoires fantastiques ou non, prenant place dans le passé de la Turquie, du temps des Seldjoukides ou de l’empire Ottoman. Et je continuerai, même si à présent j’ai envie d’aller aussi dans d’autres directions.

À travers vos derniers livres, cherchez-vous justement à partager cette passion avec les lecteurs ?

Oui, c’était mon dessein premier. Faire connaître la Turquie et son passé turbulent aux lecteurs français, leur faire oublier tous les préjugés qu’ils peuvent bien avoir, surtout à l’orée d’une possible entrée dans l’Europe pour ce pays immense – deux fois la France en superficie – et assez peuplé – quoique moins que la France au kilomètre carré. La Turquie possède des paysages magnifiques encore intacts. J’ai voulu montrer que la civilisation turque, qui a plus de deux millénaires d’existence comme entité politique, c’est plus que la vision étriquée qu’en ont les Français.

Si « La Voix des Dieux » se déroule de nos jours, avec « Rouges Ténèbres », « Le Jour du Lion » et « Les Cavaliers du Taurus » vous nous plongez dans le passé. Qu’est-ce qui a motivé le choix des périodes ?

Simplement les demandes des éditeurs, et aussi ma propre imagination reposant sur des choses que j’avais vues ou étudiées. Rouge Safran m’avait demandé d’écrire un roman policier court se déroulant en Turquie contemporaine, j’ai choisi de faire se dérouler l’action à Iskenderun et Antioche, que je connais bien.
Pour « Le Jour du Lion », l’éditeur ne m’avait pas donné de période particulière, sauf que cela devait être teinté de fantasy. J’ai donc choisi la période où chamanisme et Islam étaient encore rivaux, celle du grand empire seldjoukide, dont je venais de parler dans « Les Cavaliers du Taurus », un roman qui devait d’abord être publié en Turquie, projet que j’ai abandonné à l’époque pour diverses raisons personnelles.
Et enfin, « Rouges Ténèbres », c’est un vieux rêve de mettre en scène un enquêteur dans l’époque de Soliman le Magnifique – un peu à la manière du Juge Ti en Chine ancienne, de Van Gulik –, dans un empire ottoman qui est à l’apogée de sa puissance, et de faire ainsi découvrir la richesse culturelle, historique d’un empire peu connu en France.

Quatre romans d’inspiration turque, quatre éditeurs différents. Est-ce un choix personnel ou les éditeurs qui n’ont pas pu ou voulu poursuivre l’aventure ?

Ni l’un ni l’autre, les demandes et les projets ont été faits à peu près à la même époque, ou bien à la suite des autres. J’aime bien changer mes orientations à ma guise, pour ne pas tomber dans la routine. Et j’aime aussi explorer toutes sortes d’époque, ce qui n’est pas du goût de certains éditeurs, mais l’est pour d’autres. De plus, trois des romans sont clairement pour la jeunesse, le dernier publié (« Les Cavaliers du Taurus ») s’inscrit plus dans une logique adulte, même si des adolescents peuvent le lire, bien sûr.

Alors que « Le Jour du Lion » a été publié chez Mango, « Les Cavaliers du Taurus », qui lui fait pourtant suite, est sorti en Septembre 2009 chez Rivière Blanche, une collection que je cataloguerais pour les adultes. Là-encore, on peut s’en étonner. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Il n’y a rien d’étonnant en fait. J’avais écrit « Les Cavaliers » en 2005-2006, pour un éditeur turc. Le projet ne s’est pas fait, des embrouilles à propos du contrat ont fait surface, et j’ai abandonné – mais le roman était tout de même écrit. Quand Mango m’a demandé un projet pour la collection jeunesse Royaumes Perdus, j’ai décidé de placer l’action et l’intrigue à la même époque que « Les Cavaliers » car j’avais encore toute la documentation en tête. Baignant dans la culture nomade et l’époque seldjoukide, j’étais prêt à écrire une autre histoire s’y déroulant. « Le Jour du Lion » a vite pris consistance dans mon esprit, et est une parfaite introduction pour le roman « Les Cavaliers du Taurus ».

Derrière « Rouges Ténèbres » et « Les Cavaliers du Taurus », on sent un gros travail de recherches historiques, à tel point que le fictif et le réel se mélangent parfois dans nos esprits. Comment procédez-vous pour vos romans ancrés dans l’Histoire ?

Le travail de recherche est en effet important, surtout lorsqu’on n’est pas né dans le pays dont on veut parler, et il faut à tout prix rester crédible. Après huit ans en Turquie et l’étude d’une immense documentation, je pense pouvoir dire que je connais bien son histoire et la personnalité de son peuple. Donc, pour construire mes romans ancrés dans l’Histoire, je procède comme pour tout autre roman. J’étudie la période précise dont je veux parler, en regardant quels sont les personnages historiques importants, ce qu’ils ont fait, ce qu’il s’est passé durant cette période, pour quelles raisons. Ensuite, en tournant autour d’un personnage historique ou d’un événement essentiel, je brode une ou plusieurs intrigues avec des personnages fictifs ou ayant existé – comme la plupart des dirigeants mis en scène ou leur famille, ou leurs conseillers. Je fais attention, tout en créant des actions n’ayant pas eu lieu, de ne pas déranger la ligne historique principale, et j’arrive à l’événement historique précis – par exemple la bataille de Mantzikert dans « Les Cavaliers du Taurus » ou l’exécution d’un haut personnage de l’Etat dans « Rouges Ténèbres », ou encore la révolte des Zazas kurdes alévis dans « La Voix des Dieux ».
Bien sûr j’essaye de donner vie à l’époque, que ce soit dans la personnalité de mes personnages, des paysages sociaux, culturels, mais pas trop en profondeur, pour ne pas ralentir l’action.

Par rapport à vos débuts, vous semblez avoir changé de registre. Est-ce une impression ou votre inspiration, vos envies vous éloignent-elles toujours plus de la fantasy que vous écriviez il y a une dizaine d’années ?

J’aime toujours écrire de la fantasy, en fait. J’adore ça. J’ai en train plusieurs projets de fantasy qui pour le moment sont encore un peu à l’état d’embryon, et je continue à écrire des nouvelles de fantasy, ou fantastiques. Mais il est vrai qu’à un moment donné j’ai été fasciné par l’Histoire, et par le défi de rédiger des intrigues tournant autour de personnages importants, ou de dates importantes. Aussi la fantasy, même si elle est toujours présente par des touches fantastiques plus ou moins ouvertes – dans les deux romans mettant en scène les Seldjoukides, elle est carrément présente –, ne prend plus la place qu’elle avait avant dans la rédaction de mes récits. Pour ceux que je veux continuer dans mon multivers titanique, par contre, la science-fantasy sera au cœur de tous les romans et nouvelles.

À présent, vous estimez-vous plus auteur pour la jeunesse que pour les adultes ?

Non, pas du tout. Le travail est un peu différent, mais j’avoue que j’ai appris énormément grâce à l’écriture jeunesse. Plus concis, plus centré sur l’action et les personnages, moins de complaisance à se laisser aller dans une description qui ralentit et pourrait ennuyer le lecteur. Laisser faire l’imagination du lecteur. Mais je reste toujours attaché à l’imagerie, donc mon style n’a pas tant changé qu’on pourrait le croire.

Où aimez-vous travailler ?

Chez moi, c’est là que je peux me concentrer, avec mes repères, ma documentation, la musique que j’écoute pour écrire.

Avez-vous une méthode de travail particulière ?

Je fais toujours un plan, et des fiches de personnage, même si c’est quelque chose de général, je préfère savoir où je vais, et même comment l’histoire va finir. Certains personnages peuvent soudain prendre plus d’importance, les intrigues qui tournent autour de la trame principale se développer un peu plus, celle-ci reste à peu près intacte, et je connais tout le temps la fin d’un livre que j’écris. C’est comment y arriver qui est intéressant, même si souvent tout est planifié.
Sinon, je travaille toujours en musique. J’adapte les types de musique que je veux écouter à la scène que je veux écrire. C’est très important pour moi, je ne sais pas pourquoi, peut-être pour donner une ampleur cinématique à ce qui se déroule dans ma tête ?

Avez-vous un objet fétiche ?

Non, rien de tel. Je travaille uniquement sur ordinateur, même si j’ai toujours un carnet sur moi pour prendre des notes.

Avez-vous un rituel avant de commencer un livre ? Pendant l’écriture ? Après l’avoir terminé ?

Ca pourra peut-être vous sembler un peu sec, mais non. Aucun rituel en particulier, à part la ronde de la documentation avant, pendant. Si, bon, il est vrai qu’après la fin d’un livre, je souffle un grand coup en me perdant dans le jeu vidéo, en général.

Auriez-vous quelques conseils à donner à un aspirant-écrivain ?

Les mêmes conseils que les autres. Si vous voulez être publié un jour, aspirant-écrivains, il faut persévérer et travailler, toujours et encore, et avaler sa fierté sans pour autant perdre sa dignité, accepter les critiques et les remarques sur votre style et votre talent, même si elles vous semblent injustifiées, on fait le tri ensuite.
Et sinon, autre conseil, si vous voulez en vivre, je vous conseille fortement d’avoir un boulot alimentaire à côté, au moins au début, ou alors de vous lancer aussi dans la traduction pour être sûr d’avoir un bon revenu – ou sinon, vous jouez le génie incompris et vous vivez de vache enragé pendant des années avant de percer. Et même après, d’ailleurs, si vous n’êtes pas un best-seller. Ou alors soyez en couple ou mariez-vous avec quelqu’un qui sera ravi de vous soutenir dans votre métier de cœur. Car c’est un métier avant tout.

Quel est votre futur éditorial ?

Une nouvelle prévue dans une anthologie d’Argemmios et un roman jeunesse policier historique se déroulant en Suède en 2010 chez Gulfstream Editeur, une novella, un autre roman policier historique maritime pour la jeunesse en 2011.
En même temps j’ai plusieurs projets sur le feu, dont quelques traductions, une fresque historique en deux ou trois volumes, et un roman de fantasy qui reprendra mes deux personnages fétiches : Harmelinde et Deirdre.

Merci Beaucoup, Nicolas.

C’est moi qui vous remercie.


François Schnebelen
24 décembre 2009


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