Antoine, luthier à Paris, croise la tragédie irlandaise en 1974, au hasard d’une photo de James Connolly, militant socialiste et martyr de la cause républicaine, blessé mortellement lors des événements des Pâques Sanglantes de 1916 et exécuté par les Anglais après la reddition des insurgés.

L’irruption dans la vie d’Antoine de ce portrait du grand homme, donné par un ami breton, le fait entrer dans la réalité d’un peuple meurtri et mutilé par l’occupation d’un pays voisin. Voyages en Irlande puis en Irlande du Nord, à Belfast, achèveront de convaincre Antoine qu’il vient de se donner corps et âme à un autre pays.
Là-bas, il va rencontrer des républicains convaincus, membres de l’IRA et se lier intensément avec Tyrone Meehane, celui qui deviendra « son traître », mais occupera aussi la place d’un second père...
C’est après les accords de paix, quand Tyrone Meehane avouera publiquement sa trahison, qu’Antoine, comme tout le reste de l’Irlande, tombera des nues. Tyrone avait été retourné par les services du contre-espionnage anglais depuis plus de vingt ans...

On peut avoir ignoré le drame irlandais, ces trente années de guerre sanglantes à nos portes, ces centaines de morts, les hélicoptères de combat dans le ciel d’un pays voisin, les blindés patrouillant dans les rues, les humiliations d’un peuple, ces accès de révolte, les pertes des deux camps, le martyr de Bobby Sands et de ses codétenus. On peut ne rien connaître de ce pays, de son histoire, n’avoir jamais eu ses papiers contrôlés par un membre des commandos armé jusqu’aux dents et même se ficher éperdument de cette histoire. Néanmoins, on aimera « Mon Traître », superbe roman de Sorj Chalandon.
Évidemment, si on s’est frotté à cette réalité, on ne pourra que mieux comprendre le récit proposé (lui-même directement inspiré par la vie de l’auteur). Prendre le réel à bras le corps et en faire sa nourriture « imaginaire » en somme.
La grande force de la littérature est là, son pouvoir infini est actif -et pouvoir il y a bien- car éveiller l’âme de l’humain lambda à une situation qu’il ne connaîtra jamais est bien le grand secret.

Au-delà de l’histoire, il y a le style de l’écrivain. D’une grande simplicité, travaillé au corps par l’émotion qui surgit derrière chaque phrase, la précision d’une langue totalement maîtrisée secoue le lecteur -le français n’étant jamais aussi beau que dans la pureté de son dénuement stylistique.
Appuyant son propos par un sens profond du rythme, martelant souvent ses débuts de phrase par des attaques en forme de répétitions volontaires, Sorj Chalandon nous semble tel un forgeron qui bat la seule mesure, uniforme et implacable, seule apte à redresser sa pièce de métal.
Mais tout cela ne serait rien si l’écrivain n’avait rien à dire. Or Sorj Chalandon exhume et ressuscite dans ses pages une Irlande aujourd’hui quasi disparue et rend superbement l’atrocité bien réelle d’un contexte politique et humain torturé par les événements.

Qui n’a jamais erré au petit matin dans les rues du peuple catholique de Belfast ne peut que trouver dans ce roman les mille émotions éprouvées à ces occasions par ceux qui auront déambulé en ces lieux.

C’est triste, mélancolique, émouvant, beau, intelligent et c’est tout simplement un très grand roman.

Titre : Mon Traître (roman, France)
Auteur : Sorj Chalandon
Couverture (photo) : © Steven Clevenger/Corbis
Première édition France : Grasset & Fasquelle (moyen format, janvier 2008)
Éditeur : Librairie Générale Française
Collection : Le Livre de Poche
Site Internet : fiche du roman (site éditeur)
Pages : 217
Format (en cm) : 17,8 x 1,2 x 11 (poche)
Dépôt légal : août 2009
EAN : 9782253126393
ISBN : 978-2-253-12639-3
Prix : 6 €