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Petite Fille Bois-Caïman (La)
François Bourgeon
12 bis

Ce moment tant attendu des retrouvailles avec « Les Passagers du Vent » est enfin venu. Depuis la parution du T5, “Le Bois d’Ebène” en 1985, François Bourgeon pensait qu’il reviendrait un jour sur une fin de cycle où il n’avait pas pu traiter comme il le souhaitait l’inhumain trafic d’esclaves organisé entre l’Afrique et l’Europe. Isa se retrouvait seule, sans Hoel, l’amour des premières aventures (« La Fille sous la Dunette », 1979) et sans Mary Hereford, son amie anglaise rencontrée dans “Le Ponton” (1980), et déclarait alors : « J’ai 18 ans et toute la vie devant moi », nous laissant dans un grand éclat de rire.



Depuis, Bourgeon a créé Les Compagnons du Crépuscule, puis le « Cycle de Cyan », avec Claude Lacroix. Deux univers forts différents qui offraient alors à l’auteur d’autres opportunités de récits, de découvertes, de recherches, d’évasion à la hauteur de l’incroyable exigence qu’il porte à son métier. Et d’autres femmes de caractère comme il les aime. Mais l’envie de revenir sur ce qu’Isa avait pu faire de sa vie depuis cet au-revoir à Saint-Domingue était toujours présente, intacte dans l’esprit de Bourgeon.

En homme qui respecte son travail et son public, il a attendu le moment idéal, les conditions qui lui conviennent et certainement aussi le bon éditeur (aujourd’hui 12 bis qui a réédité en grand format les cinq albums des « Passagers du Vent »... superbe travail). Son but était de retrouver Isa mai aussi de parler de la vie des colons à Saint-Domingue et de l’esclavagisme. Pour cela, il a « consulté plus de trois cents livres, relu les récits de Mark Twain, les ouvrages de Tocqueville, rassemblé une documentation sur les paysages de Saint-Domingue et de la Louisiane, sur la faune, la flore, sur les costumes des habitants et des soldats ». Un boulot titanesque, comme à son habitude, qui l’a mené à construire ces maquettes qui lui permettent de multiplier les angles de vues et de jouer avec la lumière. En conteur inspiré qui aime replonger les lecteurs dans la période traversée, il donne à ses personnages leur langue avec pour cet ouvrage le français du XVIIIe siècle, mais aussi le créole, le cajun, l’anglais, l’espagnol... Exercice délicieusement perturbant qui accentue l’intrusion dans l’univers développé et rend le voyage si crédible.

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De voyage, il est question, toujours, d’un périple fort périlleux même pour Isabeau Murrait, dite Zabo. Le même prénom pour celle qui est l’arrière-petite-fille d’Isa. Les Nordistes l’ont rendue orpheline alors qu’elle vient d’avoir ses 18 ans et elle entreprend de remonter le Mississippi de la Nouvelle-Orléans à Nottoway où elle fait la connaissance de Quentin Coustans, un reporter photographe français. Ce dernier lui propose de l’accompagner jusqu’en Louisiane et de l’aider à passer les lignes. Car la guerre est là, bête avide de carnage, chaque camp nourrissant ses bêtes féroces des civils en déroute, en recherche d’un havre de paix. La survie est au bout de l’arme et dépend de la rapidité à s’en servir. Zabo est libre, insouciante, directe, naïve, elle jure comme un charretier et honnit le bon dieu, elle est née dans le Sud et en a le caractère. Coustans est progressiste, cultivé et ne conçoit pas l’esclavage. La rencontre est fine, érudite, mais piquante, tous les deux étant cyniques à souhait. Toute la première partie de l’album installe ce duo dans la réalité historique d’une époque, 80 ans après avoir quitté Isa, à Saint-Domingue.

La seconde partie est celle d’une seconde rencontre, Zabo retrouve Isa, et là, Bourgeon fait cette liaison avec « Les Passagers du Vent ». Isa se raconte et se confronte à cette famille aux idéologies si différentes. La révolte des nègres, le viol... tout recommence pour celle qui toujours affichât ses idéaux au risque d’en subir de fâcheuses conséquences.

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De son trait réaliste, Bougeon nous relie à deux époques, réussissant magnifiquement à mêler l’histoire au romanesque. En conteur d’exception, il manie le verbe avec élégance, subtilité et érudition. Le dessin est magnifique, donnant luxe au détail, aux expressions des visages, rendant aussi bien la cruauté des errements de ces hommes et de ces femmes partagés par tant de différences que la magnificence d’une région aux lumières bien exploitées.
Dans un formidable tour de force, il nous ré introduit dans l’histoire des « Passagers du Vent » tout en nous abandonnant avec presque autant de questions qu’au début de l’album. Celui-ci est une véritable réussite, s’installant sans conteste au niveau des tous meilleurs albums de bande dessinée. Et comme tout ce que l’on souhaitait encore savoir se déclinera dès janvier 2010 dans le second et dernier album de « La Petite Fille Bois-Caïman », on ne peut que d’ores et déjà se réjouir.
Une BD au plaisir littéraire manifeste et aux intentions multiples, dont celle parfaitement réussie de régaler l’œil.


La Petite Fille Bois-Caïman (Livre 1
- Scénario, dessin et couleur : François Bourgeon
- Éditeur : 12bis
- Dépôt légal : 3 septembre 2009
- Pagination : 96 pages couleur
- ISBN : 978-2356480668
- Prix public : 15 €


Illustrations © François Bourgeon et 12bis (2009)



Fabrice Leduc
28 novembre 2009




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