Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Djeeb le Chanceur
Laurent Gidon
Mnémos, Fantasy, roman (France), aventures et fantasy, 275 pages, juin 2009, 20 €

Dilettante permanent, amoureux de l’aventure et sybarite accompli, Djeeb suit son instinct pour vivre pleinement. Il ne croit pas au destin, mais plutôt au hasard, bien que ce dernier ne soit pas toujours tendre avec lui. Sa dernière lubie : rejoindre la mystérieuse cité d’Ambeliane, à bord d’un navire gagné au jeu.
Arrivé à destination, le bateau presque coulé, Djeeb se heurte à une société et une culture différentes, et seules sa maîtrise de l’empathie et sa capacité à exploiter la moindre faille du discours d’autrui lui sauveront la mise à peine un pied posé sur le quai.
Seul et sans argent dans une cité inconnue, après quelques craintes non injustifiées, Djeeb fait confiance à sa chance, et ses quelques talents, pour s’en sortir. Gagnant ainsi rapidement les hauteurs de la cité, et l’élite qui y vit, Djeeb va déclencher, par son absence totale de scrupules à écraser les doigts de qui à son goût le mérite, d’inattendus retournements politiques et sentimentaux. Mais à badiner sans précaution avec les puissants, on se brûle souvent les ailes…}}



J’évite de trop entrer dans les détails, l’incongru de chaque situation que rencontre Djeeb est savoureux. Sa capacité à rebondir alors qu’un autre serait resté à terre est déconcertante, révélatrice des qualités insoupçonnées de l’homme qui sait abandonner les masques de l’hypocrisie, voire la moindre façade d’une attitude sociale codifiée, et ne vit que pour avaler la vie à pleins poumons.

Des sentiments ambivalents nous lient immédiatement à ce Djeeb au double visage. Tantôt il est exécrable, beau parleur dédaigneux de son prochain, je-sais-tout étalant naïvement sa science, individualiste insouciant du sort de ses camarades d’infortune…, tantôt on le découvre débordant de vie, de compassion, d’amour et d’honneur. Il ne vit que pour lui, que pour ce que le présent lui dicte immédiatement, sans se préoccuper de conséquences à plus que moyen terme.
Rien n’est plus précieux à ses yeux que sa liberté, celle de faire ce qu’il lui plaît, et cela uniquement.

Truculent

Ce premier roman est une grande aventure, semblable à une partie de dés. Djeeb joue à quitte ou double avec sa vie, avec l’éternel espoir, dans les moments difficiles, de renflouer ses pertes. Malgré une arrivée difficile, la crainte de ne savoir où passer la nuit, il parvient, à la force de ses talents, notamment de persuasion, à se faire engager chez le maître de la guilde maritime.
Une ascension aussi rapide que sa chute, jusqu’aux travaux forcés, sera brutale. L’aventure dure à peine une semaine, et en refermant le roman, on a peine à croire qu’un seul homme, Djeeb, trublion limite histrion, ait pu provoquer de tels bouleversements. Grain de sable étranger dans la machine bien huilée et jamais remise en cause de la société ambeliane, il appuie, volontairement ou non (souvent non), sur les faiblesses que sa présence et ses actes digne d’un Scapin ont suffi à déclencher. Étranger, intrus, refusant de se plier aux règles et uniquement inquiet de sa propre existence, son passage à Ambeliane va faire l’effet d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Le point fort de « Djeeb le Chanceur », outre le côté picaresque de l’aventure, navigant entre cocasse et dramatique, est la langue déployée par l’auteur, Laurent Gidon. À d’insipides et factuels dialogues, il préfère une ellipse narrative, où une forme policée, tout à fait admissible dans la bonne société, recouvre la réalité crue d’un bon coup de pied dans le fondement. Le langage parlé n’est pas pour autant mis de côté, surtout dans ces grandes familles ambelianes où le paraître importe tant, au point de contaminer quiconque s’y frotte, ou tente de le faire. Hormis les gens du peuple, chacun pèse donc ses mots… exception faite de Djeeb, qui alterne grandiloquence naturelle (qui lui ouvre des portes) et pique malheureuse renvoyée du tac au tac (dont vous vous doutez du résultat).
Laurent Gidon bourre son texte d’adjectifs, présentant minutieusement chaque espace jusqu’à nous faire pressentir les conséquences de la moindre gaffe de son héros, sans alourdir son récit. Point d’apartés inutiles, de circonvolutions laborieuses : à de rares et courtes exceptions, notre regard reste braqué sur Djeeb, nos perceptions calibrées sur les siennes. Un bien, lorsqu’il fait appel à ses talents d’empathie, entre psychologie et magie, ou un mal, lorsqu’il s’effondre de fatigue ou d’alcool, sans trop savoir où, au risque de quelques surprises au réveil.

Si la dernière chute de Djeeb et son évasion finale tranchent, par le nombre de personnes mises en cause par ses actes, avec les trois premiers quarts du roman, elles apportent également une touche de critique sociale et de drame à cette aventure, où jusqu’alors on pouvait se contenter d’alterner les soupirs de soulagement et les morsures de lèvres à chaque renversement de la situation du héros. Une fin donc un peu trop œcuménique à mon goût, mais un tel personnage ne pouvait sortir par la petite porte.

Original, bouillonnant, fabuleux

Quelques mots pour finir, sur cet univers dans lequel se laisse flotter Djeeb, suivant les courants qu’il rencontre. On a ici affaire à de la fantasy “light”, si j’ose dire. La société d’Ambeliane est post-moyenâgeuse, semblable à notre époque moderne. On porte du satin plutôt que du cuir bouilli, on mange avec une fourchette et pas avec ses doigts, et la guerre se fait sur le plan commercial (avec quelques coups de poignard pour ouvrir ou clore des complots, et autres piques en public) avant d’en venir aux mains sur les champs de bataille.
Et au milieu de ce petit monde bien propre en apparence, et aussi cruel, ambitieux et égoïste que le reste de l’humanité, on a lâché un énergumène gesticulant, idéal pour révéler au grand jour que ces gens ne sont guère mieux que leurs ancêtres. Seules leurs armes sont plus raffinées.
Détail intéressant, on croise à deux reprises du plastique, lié une mystérieuse contrée apparemment plus en avance d’un point de vue technologique. L’auteur nous promet d’autres aventures de Djeeb, indépendantes, qui on l’espère lèveront le voile là-dessus. L’inspiration de « Djeeb le Chanceur » lui étant venue au cours de l’été 2008, il est clair que Laurent Gidon sait écrire aussi vite que bien (même très bien, à mon goût), et la suite ne devrait guère se faire attendre.

Dès la couverture, signée Marc Simonetti, vous êtes invité au voyage. Pas forcément avec un guide de tout repos, mais le parcours est lui aussi un peu hors des sentiers battus.

« Djeeb le Chanceur », de l’aveu de l’auteur, ne véhicule pas de message. La complexité du héros ne lui permettrait pas de se faire le porte-parole d’autre chose que de la liberté, et encore : la sienne ne connaît aucune limite, même pas la liberté des autres. Mais c’est une aventure sans pareille, où l’on atteint les sommets après avoir côtoyé le caniveau, avant d’y revenir, et plus bas encore, pour mieux atteindre le ciel. Ce héros totalement anticonformiste nous entraîne à sa suite, dans ce qu’on croirait un classique, un roman de Dumas, mais pris de folie et mené tambour battant.

Plusieurs mots et quelques phrases m’ont laissé dubitatif, les premiers sur leur existence, les secondes sur leur tournure. Néanmoins, si vous êtes pris dans l’aventure, il vous sera difficile de les relever à moins de buter dessus.

Un grand bonheur de lecture, fortement conseillé à qui n’est pas hostile à l’exubérance, littéraire et textuelle.


Titre : Djeeb le Chanceur
Auteur : Laurent Gidon
Couverture : Marc Simonetti
Éditeur : Mnémos
Collection : Icares / Fantasy
Pages : 275
Format (en cm) : 15,6 x 23,5 x 2,2
Dépôt légal : juin 2009
ISBN : 978-2-35408-053-2
Prix : 20€



Nicolas Soffray
20 septembre 2009


JPEG - 17 ko



Chargement...
WebAnalytics