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Homme qui s’Arrêta (L’), Journaux Ultimes
Philippe Curval
La Volte, recueil de nouvelles, 317 pages, avril 2009, 20€

Philippe Curval aura 1000 ans en 2929, ainsi que le clame la quatrième de couverture. Mais déjà, le grand monsieur est sur ses vieux jours et nous livre ici dix nouvelles, presque toutes récentes, autour du temps et de la mort. Qu’en dire ?



L’avis de Jérôme Charlet

Un recueil qui touche à l’intime, à la mort, aux grandes questions humaines. Une réussite toute en finesse, comme sait si bien en écrire Philippe Curval.

Je me souviens de la claque incroyable qu’a été ma première lecture de Philippe Curval. Et du plaisir toujours incroyable que je ressens à lire la phrase ciselée et maîtrisée de l’un des meilleurs auteurs de science-fiction actuels.
Et ce recueil ne fait pas exception. Ce sont les thèmes principaux de l’auteur qui s’égrainent le long de ces dix longues nouvelles publiées par La Volte.
Fantastique ? Science-fiction ? La question ne se pose pas et n’est vraiment pas importante (même si, à la différence de mon camarade, je pencherais plus vers la deuxième alternative ;-) ). Je crois que c’est l’un des meilleurs livres que j’ai pu lire depuis des années !

Comme dans une grande partie de ses œuvres récentes (souvenez-vous du titre de son MACNO : « MACNO emmerde la mort »...), la question de la mort hante toutes les nouvelles du recueil. Chacune dans une posture, pour apporter des éléments à la réflexion. Toutes les tentatives s’organisent pour nous fournir la matière à nos réflexions sur le sujet...
Et Philippe Curval ainsi de nous interroger : peut-on, pour éviter la mort, s’extraire du temps afin de devenir éternel (comme dans « L’homme qui s’arrêta ») ou préférer faire renaître ses parents pour toucher à une forme d’éternité (« Pourquoi ressusciter ? ») ? Quel rôle possède notre sommeil face à notre inexistence (“(...) merveilleux sommeil que je baisse chaque soir comme un rideau de fer sur le reste du monde.”, in : « Le Temps de la douleur », p. 179) ?
Ces questions se conjuguent à celles de l’héritage, du poids de la mémoire et du passé. Évidente avec « Pourquoi ressusciter ? », cette transmission se fait dans la douleur, la difficulté. “Le Temps passe. Le Souvenir reste.”, nous rappelle la stèle dans « La Mort au goût de chocolat ».
Et il en est ainsi parce que l’homme est un être de mémoire. Cette mémoire, portée par sa conscience humaine, l’amène de ce fait à l’interrogation existentielle : qu’est-ce que vivre et surtout, qu’est-ce que mourir ?
Tout naturellement, ce questionnement s’enchaîne avec la question de la part respective de la Nature et de la Culture dans notre vie.
Tantôt tenté par la vison des théoriciens de l’absurde (“En explorant l’angoisse existentielle de façon prématurée, le fœtus, puis le nouveau-né découvre l’urgence du suicide.”, in : « Le Testament de l’enfant mort », p. 207, à rapprocher du : “Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide.”, qui ouvre « Le Mythe de Sysiphe » d’Albert Camus), tantôt par la théorie bouddhisante de l’ouvert, de l’immédiateté de la conscience chère à Henri Bergson (“Ceci me permettra de recomposer l’image globale du monde que tous ces mots ont dissociée.”, même nouvelle, p. 219), le propos danse d’un pied sur l’autre.
Une chose est certaine en tout cas, la Nature et la Culture ne sont non seulement pas nées ensemble, mais elles s’opposent bel et bien. Et ce n’est pas un hasard si cette maladie du « Journal contaminé » pose comme principal problème qu’elle serait dangereuse pour le “continuum social” (p. 248).
Et le lieu fondamental où elles s’opposent, c’est dans l’écriture.
Nous revoila donc sur l’un des thèmes centraux de l’auteur. L’écriture (et la création), chez Philippe Curval, est le noeud fondamental, l’impératif absolu.
Pour preuve le format des journaux utilisés dans ces nouvelles (et le sous-titre du recueil : « Jounaux ultimes »).
Pour preuve aussi la nouvelle « Lafuma Extra Strong », particulièrement. Cette définition de nous-même par l’écrit.
Pour preuve encore ces premiers mots du « Journal contaminé » : “Pourquoi écrire ? Je n’ai, a priori, rien à dire qui concerne les autres, et me sens, sinistré, peu capable de formuler mes pensées. Faut-il qu’une raison ultime aspire à m’y contraindre ?

Mais assez de tout ça. Je m’en voudrais si vous finissez par croire que ce recueil ne peut être saisi qu’avec un dictionnaire et une histoire de la philosophie à portée de main. Parce que c’est tout le contraire. La langue de Philippe Curval est simple, nette, directe, et si les interrogations qu’elle soulève sont existentielles, elles le sont comme toute grande lecture : profondément touchante et humaine.
Et son écriture impeccable, truffée de belles trouvailles (“Un matin de chien”, des “poignards laqués”, “Alors je prends la réalité pour mes désirs”, et le magnifique : “On peut être juge et parti ”) frappe juste.

Vous l’aurez compris, ce recueil est un must have, d’une grande intelligence et d’une prose magique. Je le répète : c’est l’un des meilleurs livres que j’ai lu depuis pas mal de temps !

Jérôme Charlet

L’avis de Nicolas Soffray

Une grande qualité littéraire pour des idées parfois dures à avaler

Premièrement, il faut avoir le cerveau bien accroché, les pensées opaques à toute distraction lorsqu’on entame le moindre de ces textes. Je me souviens avoir lu « Debout les morts, le train fantôme entre en gare » (Denoël, Présence du Futur) il y a quelques années, et l’avoir reposé, une fois achevé, dubitativement. Parce qu’avec Curval, rien n’est jamais simple. Ni le fond, ni la forme. Et de constater qu’en vingt ans, cela n’a pas changé.

Le principe du fantastique est de faire dérailler une situation initialement normale. Curval s’emploie au contraire à échafauder des bases déjà incroyables, effleurant les limites de l’irréel ou de l’anticipation, qui nous scient lorsqu’on réalise qu’il n’y a là rien que ce qui se cache sous le vernis bien poli et formaté de notre quotidien, ou à la rigueur de notre futur proche. Rassurez-vous, pas toutes : certains récits sont purement fictionnels, leurs protagonistes suffisamment chamboulés pour rendre métaphysiquement impossibles leurs tribulations.
Dès le titre, vous savez généralement à quoi vous en tenir ; avec par exemple “L’homme qui habitait une chambre de bonne avec un Picasso”, le ton est donné. Et encore, vous serez surpris, le texte étant ici un jeu d’écriture où l’auteur refuse de se laisser guider par les récriminations de ses personnages qui viennent se plaindre à lui… Mais de manière générale, en lisant “Pourquoi ressusciter ?”, “Temps de la douleur”, “Le testament d’un enfant mort” ou “Journal contaminé”, on devine que le rire ne sera guère au rendez-vous.

Excellant dans le genre fantastique, Curval fait douter (à juste titre) ses personnages de la réalité qui les entoure, et ce doute s’avère parfois le déclencheur du glissement de cette réalité vers quelque chose à la limite de la folie, en tout cas bien loin de toute logique supportable à l’esprit des héros mis à mal par l’auteur. Quand ce n’est pas le passé oublié qui remonte face à soi, c’est le monde qui se révèle soudain aussi factice qu’un décor de cinéma.
S’opposant aux doutes, la volonté de chacun, exacerbée par les fantasmes (notamment sexuels, heureusement ici quasi cantonnés à “Le pénis d’ivoire dans son étui de cuir noir”) se montre capable de transcender le réel, si ce dernier mot a encore un sens, et surtout de se jouer du temps. Quand ce n’est pas le temps qui joue avec vous…

Le traitement de ce temps qui passe, jamais à contresens comme on le voudrait, ou quand on le voudrait, et l’omniprésence de la mort en tant que fin en soit témoignent des années d’expérience de Curval, sans pour autant nous révéler à coup sûr si lui-même l’attend impatiemment ou non. Mais une chose est certaine, il ne la craint pas : il nous la montre sous tant de formes et d’artifices qu’elle ne le surprendra pas.

Au lecteur non averti, le temps est également de rigueur pour découvrir ces textes. La langue, riche et travaillée, colle parfaitement aux thèmes. Curval sait se glisser dans les rôles qu’il met en scène, narrateur interne ou auteur pris à témoin. Mais si l’emploi d’un “je” est immersif dans d’autres genres plus “faciles” comme la fantasy (rien de péjoratif dans mes mots, loin de là), il est ici difficile d’enfiler le costume de personnages égarés, voire au bord de la folie dès les premières lignes. Un ouvrage à lire lentement, à déguster, à digérer. Dix textes, dix jours ? voire plus.

Notons également la cinquantaine de coquilles. Dommage pour un recueil de nouvelles, fragmentable donc à mon avis plus aisé à faire relire rapidement qu’un roman. De nombreux accents posent problème (sur les a, sur les ou), des virgules coupent une phrase entre sujet et verbe, et beaucoup d’autres choses qui ont échappé à la relecture. Dans le document ci-dessous, pinaillons aussi sur quelques imparfaits qui volent la place du passé simple.

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L’homme qui s’arrêta - Corrections

Nicolas Soffray


Titre : L’homme qui s’arrêta, journaux ultimes (recueil, 2009)
Auteur : Philippe Curval
Couverture : Stéphanie Aparicio, d’après Philippe Curval
Illustrations intérieures : Philippe Curval
Éditeur : La Volte
Site Internet : fiche du roman
Pages : 317
Format (en cm) : 14,1 x 19,1 x 1,7
Dépôt légal : avril 2009
ISBN : 9782917157077
Prix : 20€



Nicolas Soffray
Jérôme Charlet
5 août 2009


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