Il y a des années, Dee Brown faisait un best-seller avec « Enterre mon cœur à Wounded Knee », entraînant toute une série de romans « indiens » qui n’avaient parfois pour eux que l’origine de l’auteur (Alors que Brown lui-même était bien blanc !), conçue pour jouer sur la culpabilité auto-flagellante des proto-bobos (vous savez, cette espèce protéiforme qui, chez nous, a adopté toutes les caractéristiques des « parisiens tête de chien, parigot tête de veau » d’antan avec l’obligatoire absolution anglo-saxonne top-giga-cool.) Ce qui ne changeait rien pour les Indiens non-auteurs, mais permettait de se racheter une bonne conscience à bas prix.
Alexie est d’une autre trempe, heureusement, avec ce roman dont le titre original, « Les aventures rigoureusement vraies d’un Indien à mi-temps », en donne le ton (encore que le titre traduit soit assez bien vu). On le sait, la frontière entre littérature jeunesse et adulte s’est bien estompée depuis la vénérable Bibliothèque Verte d’Enid Blyton. Adulte ou pas, on ne peut qu’accrocher aux aventures de ce petit Spirou peau-rouge partageant les mêmes obsessions tragi-comiques et aux observations d’une finesse parfois impressionnante (faisant même penser à certains personnages d’ados du Stephen King de la grande époque, genre « Salem ») ; et son arrivée au pays des Blancs souligne aussi bien le décalage entre ses propres a priori que ceux des autres -notamment ses « frères » prompts à le regarder comme un traître.
L’ennui, c’est que l’auteur semble griller toutes ses cartouches dans les 100 premières pages. Par la suite, l’intrigue ou plutôt la série de petites vignettes agrémentée de dessins naïfs attribués au narrateur qui en tient lieu se délite quelque peu et l’intérêt retombe malgré les événements tragiques qui se succèdent ; les observations sont toujours aussi justes, mais à force de rester sur le même ton, le texte perd de son punch, avec des digressions pas toujours passionnantes (notamment sur ses exploits présumés au basket). Et à force que tout le monde, son prof, son entraîneur, etc, le trouve génial, le personnage finit par tomber dans le travers du “Héros Attribué”*. Et pire encore, malgré ses nombreuses avanies liées aussi bien à son origine qu’à sa pauvreté, une fois prise sa grande décision, il semble étrangement passif face aux évènements qui se succèdent. Ce qui écorne quelque peu la structure traditionnelle du « perdant qui, à force de s’échiner, finit par devenir quelqu’un ».
Malheureusement, les dernières pages donnent l’impression que l’auteur ne sait comment finir son histoire et s’enlisent dans un sentimentalisme très hollywoodien qui, s’il est la garantie du best-seller, sent un peu trop l’adjuvant de synthèse.
Bilan mitigé donc pour ce roman qui s’effiloche au fil des pages pour se terminer en queue de poisson. Quand à la condition indienne, elle n’a guère changé depuis la vogue des années 90 et ne risque pas de s’améliorer, quel que soit le nombre de livres qu’on lui consacre…
*Figure classique du récit populaire, le Héros Attribué est beau, grand, fort et généreux parce que tout le monde autour de lui le dit, pas par son comportement. Exemple-type : Jean Reno dans « Les rivières pourpres ».
Titre : Le premier qui pleure a perdu (The absolutely true diary of a part-time indian, 2007)
Auteur : Sherman Alexie
Editeur : Albin-Michel
Collection : Wiz
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) : Valérie Le Plouhinec
Site internet : auteur (wikipedia), site officiel (en anglais), fiche roman site éditeur (en Français)
Pages : 281
Format (en cm) : 15x22
Dépôt légal : septembre 2008
ISBN : 978-2-226-18017-9
Prix : 13€