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Imaginales 2009 - À ne pas mettre entre toutes les mains…

Épinal - 15 mai 2009 - 15h

Café littéraire : À ne pas mettre entre toutes les mains… quand la SF dérange !
- Animé par Christophe de Jerphanion, avec :
- Élise Fontenaille, pour « Unica », le Livre de Poche SF (l’avis Yozone) ;
- Thomas Day, pour l’anthologie « Dragons », Calmann-Levy ;
- Ayerdhal, pour « Transparences », Au Diable Vauvert (l’avis Yozone) ;
- Nathalie Le Gendre, pour « les Orphelins de Naja », Mango. (l’avis Yozone)



Cherchez-vous à provoquer ? demande Christophe de Jerphanion.

Oui, toujours, est la réponse immédiate d’Ayerdhal. Il faut utiliser le roman pour confronter les opinions sur le monde contemporain, et choquer en frôlant voire franchissant exprès les limites de l’interdit. Mais plus qu’une provocation, c’est une « lutte contre le fade » et une dénonciation des problèmes d’aujourd’hui.

Thomas Day aime dépasser les limites. Il ne recherche pas tant la provocation que l’exploration de la contre-culture. Dans « la Cité des Crânes », il répondait à Michel Houellebecq et son tableau de la prostitution asiatique.

Et la pédophilie ?

Elise Fontenaille l’évoque dans « Unica », sa première incursion en SF. Autant qu’un hommage à Philip K. Dick, l’emploi du cybermonde a été pour elle l’occasion de s’interroger sur le futur immédiat.

Nathalie Le Gendre a placé la pédophilie au centre de son roman « Les Orphelins de Naja », qui met en scène un prêtre pédophile. Le rachat de son éditeur par un grand groupe catholique de droite a conduit à un tollé contre son livre. Nathalie Le Gendre estime au contraire très important d’aborder ce thème dans la littérature spécialement destinée aux jeunes, de les alerter. Alerter et faire réfléchir, et non provoquer.

Et le style, peut-il bousculer ?

Ayerdhal souligne le langage dur et sans concessions d’un de ses personnages de « Transparences » et « Résurgences ». Il recherche ici le choc de la forme. Tout comme il a été choqué, après avoir vendu 100.000 exemplaires de « Transparences », d’être interpellé comme l’auteur d’un « excellent premier roman ». Tout cela parce que l’étiquette “Thriller” est plus vendeuse que la SF. Il évoque aussi une certaine jalousie des auteurs de polars tièdes devant le succès d’un auteur de SF, dont ils peinent à reconnaître l’expérience.

Nathalie Le Gendre revient sur la tentative de censure dont elle a fait l’objet : une scène de viol a failli être coupée par l’éditeur, malgré la sobriété du style employé. Elle parle d’une mauvaise réaction des adultes, excessive, au contraire des ados qui ont trouvé justifiée la « normalité » du choc de cette scène (« ben c’est normal, c’est un viol… »)
Elise Fontenaille aime la recherche formelle.
Thomas Day rappelle que nos grands auteurs classiques, Apollinaire, Sade, … ont un passé très choquant, et que le choc aujourd’hui vient plus des idées développées et du style pour les présenter : à propos de la politique, de la place des femmes… Il apprécie que le style soit connecté ou au contraire totalement opposé au contenu, comme dans le « Bastard Battle » de Céline Minard, une sorte de « manga en vieux français » ! Le but final reste le même : à travers la fiction, bousculer, « traumatiser » le lecteur à propos du réel qui l’entoure.

Ayerdhal et Nathalie Le Gendre font front commun sur la même idée : il faut remuer, et pas qu’un peu, les lecteurs, et surtout les jeunes, les sensibiliser contre la lobotomisation de leur quotidien entre école et télévision. Briser le carcan de leur cerveau où les horreurs sont banalisées par leurs perpétuelles démonstrations télévisuelles, leur faire prendre conscience des choses grâce au poids de personnages auxquels ils pourront s’identifier.

L’emploi du « Je » est-il un atout supplémentaire ?

Pour Thomas Day, c’est l’occasion d’endosser un costume, et de montrer d’autres aspects d’un personnage qui aurait d’emblée été bardé de poncifs ou de clichés. Par exemple, l’humanité d’un soldat nazi, qui reste un homme sous son uniforme honni…
Le « je » permet aussi de partager les pensées du personnages, de s’approprier ses problématiques, de s’impliquer plus intimement. Parfois jusqu’au malaise, et au risque de susciter chez le lecteur un amalgame entre les idées du personnage et celles de l’auteur.

Ayerdhal trouve les bons mots : un auteur vit avec ses personnages, aussi pour un bon lecteur, « je » ou « il » ne sont pas très différents. Ce n’est ensuite qu’un souci d’adaptation stylistique. Et de donner l’exemple du « Rêve de Fer » de Norman Spinrad.

Il rappelle aussi l’affaire de sa nouvelle « Jusqu’ici tout va bien » parue dans Libération en 1995 (et reparue dans « la Logique des Essaims », J’ai Lu), écrite à la première personne : après une reconduite à la frontière et au Soudan, le personnage rejoint les islamistes et revient faire exploser une bombe dans le métro parisien.
Pour l’auteur, il n’y avait rien d’autre que le récit d’une personne normale subissant l’inexplicable. Il est néanmoins suspecté d’incitation au terrorisme, par amalgame entre le « je » du personnage et son « je » d’auteur…

Elise Fontenaille, après cette anecdote guère réjouissante à propos de la justice et de la sécurité en France, déclare rêver de bousculer ainsi, d’avoir « les RG aux fesses ».

L’éditeur est-il demandeur de telles provocations ?

Thomas Day regrette le manque de « livres de perspective », de ces romans traitant du futur proche tels qu’on en produisait dans les années 70, et y voit un manque de courage éditorial. Nous sommes selon lui à une époque charnière, où il y a plein de choses à dire, mais peu d’auteurs de SF pour le faire. Il évoque Greg Egan.

Elise Fontenaille rapporte quant à elle la frilosité de son éditeur sur un projet de série.

Est-on surpris de la réaction des lecteurs ?
Thomas Day en est très satisfait, car les lecteurs sont beaucoup plus intelligents qu’on ne le croit, et surtout ils jouent le jeu, au contraire des journalistes qui réagissent plus violemment.

Nathalie Le Gendre nous raconte qu’une lectrice l’a remerciée parce qu’elle s’était reconnue dans un personnage, et du coup s’était senti « normale » ou plutôt « non-anormale » suite à un problème de son adolescence. Pour l’auteure, c’est la plus belle des récompenses, la preuve que son message est passé.

L’anecdote d’Elise Fontenaille creuse encore le fossé entre adultes et ados. Lors d’une intervention en collège sur « Unica », l’enseignant était resté bloqué sur la question de la cyber-pédophilie, tandis que ses élèves avaient des questions sur le style… L’auteure parle du succès de son livre « sur un malentendu ».

Ayerdhal évoque le problème de la traduction, et du choc des cultures. En Italie, « Transparences » a été perçu comme une histoire de terrorisme. C’est un pays où le space-opera est considéré comme un genre fasciste, aussi être ainsi étiquetés pour « Étoiles mourantes » leur a fait un choc (« Dunyach est un écrivain fasciste ! » lance-t-il soudain à la salle, à peine sérieux, et à son complice d’écriture. « Jean-Claude, tu m’entends ? »). On les comprend.
Mais les italiens lisent « Dune », parce que ça vient des U.S.A., un pays en rien du tout sujet au totalitarisme !
Il continue sur les « phrases ayerdhaliennes » : « Donnez au pauvres, commencez par moi ! », avant de glisser, redevenu sérieux, que « Résurgences » sera beaucoup plus politique, moins thriller que le précédent, et qu’il s’attend à quelques procès.

Et pour finir, l’autocensure ?

Ayerdhal et Nathalie Le Gendre lancent un « non ! » commun. Il ne faut pas confondre auteur et journaliste. Le rôle de l’auteur est de faire prendre conscience du monde.

Mon avis d’auditeur : Ayerdhal occupe le devant de la scène avec ce thème, et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Nathalie Le Gendre se fait son pendant féminin, prouvant que la volonté de changer les choses et de ne pas rester sans rien faire ni dire n’est pas un privilège d’un sexe ou de l’autre. La présence d’Elise Fontenaille est très rafraichissante aux côtés de ces deux auteurs fortement impliqués. Si Thomas Day a pu donner son avis de directeur de collection, il a cependant paru bien fade comparé aux autres...

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Nicolas Soffray
10 juin 2009


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