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Signé Franz : Irish Melody - Shamrock Song
Franz
Le Lombard, Signé


Son nom est Lester Mahoney, c’est un gamin à la mauvaise réputation à cause de ses origines. Faut dire qu’il est le résultat d’un amour interdit entre une jeune irlandaise et un matelot anglais de passage... dans une verte Eirin sous la botte du grand empire britannique.

Résultat, les voisins et les gamins du coin le surnomment Lester « Cockney » car on dit que son père avait l’accent d’là-bas !
Et ce nom, il le gardera.



C’est évidemment un ouvrage de la collection “Signé” encore impératif à l’achat que les Éditions Le Lombard viennent de publier.

Réunis en un seul volume, “Irish Melody” (1994) et “Shamrock Song” (1996) dressent un superbe panorama de l’enfance de celui dont Franz fera son héros adulte pour neuf très beaux volumes : Lester Cockney.
Franz Drappier était belge, né en 1948 et trop tôt décédé en janvier 2003. Il laisse derrière lui une œuvre d’importance que de nombreux amateurs ne connaissent malheureusement pas.
Il faut dire que Franz, bien que dessinateur du dernier volume de la série du “Décalogue”, a surtout proposé des BD d’une grande discrétion stylistique à une époque où l’outrance et les effets de manche attiraient les regards...

Ainsi en est-il de cette “enfance irlandaise” dont le caractère naturaliste saute aux yeux. On y retient deux éléments essentiels : la richesse du scénario et la beauté du dessin.

Globalement, il s’agit de l’histoire d’un gamin qui doit fuir sa proche famille par nécessité car il est l’enfant du malheur. Son père était l’ennemi par excellence. Sa mère est morte en couches. Son grand-père ne s’est jamais remis du drame et tout le voisinage le déteste pour cela.
Heureusement, il croisera des hommes qui ne s’arrêtent pas aux origines du petit bonhomme, aiment leur prochain et font tout pour l’aider.

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Où l’âme irlandaise du récit devient réelle à travers quelques scènes. Par exemple, un hommage évident aux sports gaéliques comme le Hurling (in “Irish Melody - Shamrock Song”, collection « Signé », Le Lombard 2008).

Si “Irish Melody” s’attache surtout aux origines du personnage, à ses débuts difficiles au sein d’une communauté maltraitée (et qui le maltraite), présente son premier mentor et le lance sur les chemins de l’aventure, “Shamrock Song” se déroule tout entier dans ce qui va être son premier port d’attache : un haras, où recueilli par le responsable de l’endroit, il va comprendre que si sa vie sera toujours difficile, des lueurs d’espoirs peuvent surgir.

Récits d’une grande tristesse, baignés d’une mélancolie liée tout autant aux superbes paysages dessinés qu’au triste destin que traverse ce pays martyrisé en ces temps troublés, Franz propose deux ouvrages, pièces maîtresses des arts graphiques, aux scénarii d’une grande profondeur.
Histoires entrecroisées, destins tragiques ou flamboyants, vils personnages ou humanistes, c’est rien moins que la société des hommes qui est la pièce centrale de la narration.

De l’art de ne pas mentir en rêvant

Au-delà du classicisme de la forme, on comprend aussi que Franz, remarquablement épaulé par sa compagne Gabrielle Horvath (coloriste), maîtrisait sa création de bout en bout.
On n’imagine sans doute pas le nombre phénoménal d’heures de travail, de recherches, qu’il a fallu à l’auteur pour ne rien trahir. Qui s’intéresse à l’Irlande reconnaîtra encore aujourd’hui de nombreux paysages, s’étonnera de la justesse avec laquelle l’auteur perçoit le fond des choses.
La remarquable diversité des visages, l’étude des caractères, la palette des émotions, la justesse du trait, en dit long sur le talent et le travail de Franz.
99% de sueur et 1% de génie sans doute, mais quel génie !
Celui qui fait oublier tout le reste. Les prises de décisions graphiques, les choix scénaristiques, le découpage à finaliser, etc.
Sujet d’étonnement permanent aussi, le traitement scénaristique et graphique de l’animalité. Moutons, chevaux, chiens, chacun se voit doté d’une forme et d’un comportement propre, rendant la bête anonyme aisément reconnaissable et différente de ses congénères.
En travaillant au corps le « vrai », Franz crée les indestructibles fondations d’un imaginaire tangible auquel on ne peut que croire.

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De la justesse du cadrage et du dessin afin de retranscrire un climat, une ambiance... (in “Irish Melody - Shamrock Song”, collection « Signé », Le Lombard 2008).

Une leçon d’histoire aussi

Comme souvent, c’est en s’attachant aux petits destins, à ceux des plus humbles, que l’on raconte le mieux la grande Histoire. À l’image des romanciers du 19e siècle (on ne peut s’empêcher de penser à Victor Hugo ou à Émile Zola), la volonté de suivre un personnage pas à pas, permet de dresser un portrait du siècle et de son contexte.
Celui d’une Irlande colonisée et brutalisée par un pays voisin durant plus de cinq siècles. Car il faut le dire et le savoir, ce que fit la Grande-Bretagne en ce pays mérite l’opprobre et reste un fait assez inédit. L’oppression y fut sanglante, perpétuelle, sans pitié.
Que l’on imagine par exemple que lors des grandes famines qui décimèrent ce pays (le seul d’Europe qui a vu sa population décliner durant une période où celle de ses voisins était en augmentation constante), l’Angleterre refusa par exemple les dons de certains gouvernements étrangers au prétexte que la Reine donnerait moins...
Histoire d’une extermination programmée -solution même proposée au parlement anglais afin de solder le problème irlandais- que l’on retrouve dans le comportement des colonisateurs.
Impitoyables propos d’un affreux (dans « Shamrock Song ») qui après avoir fait exécuter le père d’une famille de pauvres paysans, incendier leur maison et passer les fers à l’aîné, déclare :
- « Nous autres, Anglais, nous sommes magnanimes, vous vouliez un peu de cette terre ? Je vous en donne huit pieds pour enterrer votre bonhomme. Après... Partez ! »
Sentence qui rappelle les propos d’un Cromwell traversant le Comté de Clare, massacrant et exterminant sa population quelque temps plus tôt et pestant contre ce pays « où il n’y a pas assez d’arbres pour pendre un homme, pas assez d’eau pour le noyer et pas assez de terre pour l’ensevelir... ».
On comprend mieux le calvaire.
Nul doute que Franz savait tout cela, nul doute qu’il s’est servi de ce qu’il savait pour tisser sa toile de douleur.

Une œuvre majeure de la BD

Accompagnée d’une petit bio du scénariste dessinateur, augmentée de quelques pleines pages, cette édition complète des deux volumes consacrés à l’enfance de Lester Cockney nous parle évidemment de l’Irlande et de ses tourments.
L’album de la collection “Signé” ouvre les portes d’un imaginaire tragique dont on ressort pourtant avec la joie et le bonheur de celui qui a découvert une œuvre majeure de son temps.

Investissement prioritaire.

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Franz (© photo Dragan De Lazare, 2003 - Le Lombard).


Irish Melody - Shamrock Song
Série : Lester Cockney
Disponible en : 9 volumes ou 2 intégrales + le volume « Signé »
Auteur (scénario & dessin) : Franz (Drappier)
Couleurs : Gabrielle Horvath
Conception graphique : Eric Laurin
Éditeur : Les Éditions du Lombard, 7, avenue Paul-Henri-Spaak, 1060 Bruxelles (Belgique)
Collection : Signé
Site Internet : page album (site éditeur)
Pages : 136
Format (en cm) : 24 x 1,5 x 31,5 (quadrichromie, cartonné)
Dépôt légal : 5 décembre 2008
ISBN : 9782803624676
Prix : 20€



© Couvertures, photo et Illustrations : Franz - Le Lombard 2008.



Stéphane Pons
23 février 2009




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Irish Melody & Shamrock Song, un album de la collection « Signé » à ne pas rater (Le Lombard, déc. 2008).



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L’intégrale des aventures de Lester Cockney est disponible aussi en deux beaux volumes (Intégrales Le Lombard).



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