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Mr Nobody
Jaco Van Dormael
Stock, script (Belgique), Fantastique, 260 pages, Octobre 2006, 19€

2092. Nemo Nobody, âgé de plus de 120 ans, est le dernier mortel d’une société qui a vaincu la mort grâce à la médecine et aux greffes. Tandis que sa mort est l’occasion d’un grand battage médiatique, la presse s’interroge sur cet homme dont on ne sait rien. Hypnotisé par un psychologue, Nemo Nobody voit ses souvenirs remonter à la surface.

Et quels souvenirs, puisqu’il s’agit de plusieurs vies parallèles… ou pas.



Jaco Van Dormael, auteur et réalisteur de « Toto le Héros » et « Le Huitième Jour », deux films primés, présente avec ce roman le script de son nouveau film, qui sortira bientôt sur les écrans, avec Jared Leto dans le rôle-titre. Si ce long-métrage s’annonce comme particulièrement alléchant, le commentaire de l’auteur, en 4e de couverture, se veut une mise en garde : à l’état de script, son histoire a plusieurs milliers de visages, alors qu’une fois le film sorti, cette dernière sera définitivement figée par l’image fixée sur la pellicule.
Aussi, vous dire quel acteur endossera le rôle de Nemo est déjà vous influencer. Ou vous donnera envie de lire ce script, haletant, éblouissant (et pour ma part, dévoré en une soirée).

La vie de Nemo est marquée par des rencontres féminines, Anna, Élise et Jeanne. Trois filles de son âge, trois femmes qui vont partager sa vie. Ou ses vies, car les souvenirs de Nemo, réveillés par l’hypnose, sont composés de multiples ramifications. Il commence par se voir mourir, noyé, abattu dans sa baignoire, projeté dans l’espace, paralysé sur un lit d’hôpital. Toutes ses morts sont vraies. Il se réveille à côté de sa femme, qu’il s’agisse d’Anna, d’Élise ou de Jeanne, et entouré d’enfants aux prénoms différents.
Mais le pire, c’est que ses vies s’entrecroisent. Se mélangent. Et Nemo semble être partout à la fois. Revenant en arrière lorsqu’il refuse la conséquence de ses choix. Soupesant la moindre de ses décisions. S’en remettant au hasard. Pour quel avenir ? Quelle vie ?

Un script est une expérience de lecture particulière (pas de description, un découpage plan par plan, des directives scéniques), mais un véritable moment de bonheur. Un brin de poésie dans la présentation épurée de l’action, la simplicité et le mordant des dialogues ciselés à la perfection. C’est, ainsi que le rappelle Van Dormael, la vision pure de l’auteur, avant les coupes budgétaires, les impossibilités techniques, les inévitables compromis. Ce livre est une merveilleuse histoire, un formidable exercice de style, tout en flashbacks entrecroisés et répétitions scénarisées. Par facile à lire pour qui n’a pas une certaine habitude de récits aussi complexifiés par leur forme très cinématographique.

D’un point de vue littéraire, on pourra constater l’influence de Philip K. Dick (par une allusion à sa définition de la réalité : « c’est ce qui continue d’exister lorsqu’on cesse d’y croire » et l’exemple du maître sur le mystérieux déplacement d’un interrupteur), puisque toute l’histoire repose sur la question “dans tout cela, où est la réalité ?” Nemo en aura la réponse de sa propre bouche, avec 90 ans de différence. Superbe et savoureux.
Le roman porte également la patte de cinéastes comme Wong Kar-Waï, avec des scènes qu’on visualise très léchées, toutes en couleurs d’une harmonie inimaginable ailleurs qu’au cinéma, et une déconstruction organisée de la narration ; ou bien Emir Kusturica, lors de certains passages où le refus de Nemo d’accepter l’inévitable le pousse à la limite d’une folie qui prend corps dans le monde environnant, le cinéma jouant avec son sujet, notamment lorsque Nemo, courant à perdre haleine sur le thème du film (que le lecteur pourra judicieusement combler pour le moment par celui de « Requiem for a Dream »), se fait dépasser par un autobus transportant l’orchestre qui joue le morceau en question.

Scotchant, étourdissant, magistral.

On en a rêvé, Jaco Van Dormael l’a fait.

Je ne veux pas présumer de l’adaptation sur grand écran, l’auteur-réalisateur se chargeant lui-même de présenter ses craintes en guise de préface. Mais les premières images parues dans la presse ont un avant-goût de futur chef-d’œuvre visuel.

En conclusion, j’espère que le film permettra un retirage du livre. Ou pourquoi pas, comme ce fut le cas pour « A Scanner Darkly », un coffret DVD collector avec le roman original de Philip K. Dick, « Substance Mort ».
L’expérience de sa lecture a posteriori sera certainement moins captivante, les images du film s’imposant à notre esprit sans lui laisser en imaginer de plus personnelles, mais elle n’en demeurera pas moins un moment intense. La preuve que l’écrit et l’image sont dissociables mais étroitement liés, capables de provoquer les même frissons de bonheur culturel.


Titre : Mr Nobody
Auteur : Jaco Van Dormael
Couverture : Victoire, sur une illustration de Martin Childs
Edition : Stock
Pages : 260
Format (en cm) : 21 x 13,5
Dépôt légal : 25 octobre 2006
ISBN : 978-2-2340-5982-5
Prix : 19€


Sortie en salles : prévue pour le 20 Mai 2009
Correctif du 26/05/2009 : sortie reportée au 7 Octobre 2009


Nicolas Soffray
28 février 2009


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