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Johan et Pirlouit (Intégrale 1)
Peyo
Dupuis - Les Intégrales Dupuis

Un page courageux et intrépide, archétype des principes vertueux que défendirent les plus grands chevaliers, très vite associé à une petite peste pas plus haute que trois pommes.
Johan et Pirlouit ou le duo improbable imaginé par Pierre Culliford dit Peyo, le créateur des célébrissimes Schtroumpfs.

Une série qu’il initia dans les années 40, qui fût sa préférée, mais que le succès de petits bonhommes au langage étrange, l’obligea à limiter à treize albums.



À tout seigneur, tout honneur, reconnaissons aux éditions Dupuis la belle et régulière qualité des “Intégrales” qu’ils offrent à leurs fidèles lecteurs.
Ce premier volume consacré au très grand monsieur qu’était Peyo (1928-1992) ne déroge pas à la règle et merci, merci, cette série prévue en quatre volumes sur “Johan et Pirlouit” est un vrai régal.

Éloge de la simplicité, éloge de la clarté

Ce premier volume s’ouvre sur un beau travail de documentariste centré sur la naissance de la série ainsi que la vie et les premiers pas graphiques de son créateur. L’amateur y découvrira quelques dessins forcément introuvables depuis longtemps, des esquisses, croquis et les toutes premières pages de ce futur univers médiéval imaginaire.
Il est toujours passionnant de constater à quel point les futurs grands auteurs de la BD Franco-belge furent (presque toujours) à leurs débuts influencés par le « cartoon » à l’américaine et le dessin de presse classique de leur temps.
Peyo ne déroge pas à la règle, mais comme tous les « classiques », il possède déjà une patte, qui convenablement nourrie et embellie par le temps, deviendra une esthétique à nulle autre semblable.

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En fait, ce qui frappe intensément se situe dans le domaine du sensitif. Les aventures du page Johan, très rapidement accompagné du fameux Pirlouit, sont un condensé de simplicité intelligente.
Malgré un trait un peu grossier (cf. « Le Châtiment de Basenhau »), on note illico ce sens de l’épure qui se développera peu à peu pour devenir une marque de fabrique de la série (et de Peyo). Étrangement, on a la sensation qu’une case regorge de détails alors qu’il y en a très souvent fort peu. Un arbre, une forêt ou un champ stylisé, quelques meubles dans une pièce, un château au loin, rien de plus, rien de moins.
Ce n’est pas le dessinateur qui noie l’esprit du lecteur par le foisonnement de ses décors, mais c’est la puissance évocatrice des rares décors choisis qui force inconsciemment le cerveau du lecteur à remplir le vide apparent... et à ne se rendre compte de rien. C’est fort, très fort et nécessite un talent inné rare. Peyo va toujours au plus simple, mais ne se trompe quasiment jamais sur le choix à faire.

Le Moyen-âge pour cadre héroïque

Époque des grands chambardements, des épopées mythiques que l’on chante encore et qui influencent toujours la SF contemporaine (la fantasy, préciseront certains), il était un temps où l’imaginaire pouvait s’inscrire logiquement dans un cadre réaliste.
Étonnamment, que ce soit dans « Le Châtiment de Basenhau », “Le Maître de Roucybeuf” ou avec “Le Lutin du Bois aux Roches” (entrée officielle de Pirlouit dans les débats et premier opus où l’on touche vraiment du doigt le graphisme quasi définitif de la saga), le fantastique est totalement absent des intrigues proposées.
Bien au contraire, lorsque l’on croise une « sorcière » supposée, c’est en fait l’ignorance de ses contemporains qui lui attribue ce statut et non pas ses actes. Il s’agit tout simplement d’une apothicaire aimant la tranquillité que son image perturbante lui procure auprès de ses voisins craintifs. Morale, l’habit ne fait pas le moine.
Aventures classiques, histoires de chevalerie, batailles rangées, poursuites, trahisons et bagarres sont au programme des trois récits. Les ingrédients sont imprégnés du plus pur réel, certes revisité, mais pourraient être de simples chroniques de l’époque.
Ainsi, on remarque que Peyo a sans doute travaillé son sujet avec grand sérieux grâce à la véracité des décors et du contexte. Les outils guerriers utilisés sont des déclinaisons d’armes bien connues, on ne balance pas d’huile bouillante du haut des remparts (une erreur souvent présente dans ce type d’histoires) mais de très grosses pierres, l’artillerie est absente, arcs, épées et armures suffisent à éclairer les scènes trépidantes, sans que jamais le sang ne soit répandu (public enfant oblige).
Pareillement, page 123, on apprécie qu’une scène de banquet ne laisse pas apparaître d’autres couverts que quelques dagues servant à découpe à même les plats, de consistants morceaux de viandes. On ne pouvait faire plus juste.

L’homme est un loup pour l’’homme

Certes, Peyo avait à faire avec la censure de l’époque visant à protéger la jeunesse. Curiosité intéressante, on peut enfin lire la fameuse page manquante du « Châtiment de Basenhau » (cf. page 43), supprimée avant publication sur décision de Monsieur Dupuis en 1953 et apprendre beaucoup de l’anecdote racontée. Une scène de torture, plutôt anodine par ailleurs, mais qui éclaire d’une lumière assez dure les contraintes subies par les dessinateurs censés distraire nos parents ou grands-parents à l’âge où lire une BD était une activité autorisée.
Cependant, là n’est pas le principal car cet aspect des choses –l’ultra violence en tant qu’élément fondateur du scénario- n’intéressera jamais vraiment Peyo (sinon pour en rire).

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Plus frappante est la constante narrative qui fonde les aventures de “Johan et Pirlouit” sur des conflits humains dont l’enjeu est l’obtention du pouvoir : un seigneur veut s’accaparer les terres d’un autre, un félon veut renverser le roi, etc. Chaque histoire se construit sur des oppositions franches entre personnages. Pas de trésors particuliers à découvrir, pas de grands secrets à révéler, juste des questions de jalousie et d’ambitions personnelles.
Et l’on comprend que le succès de la série relève aussi de la joie qu’un enfant peut éprouver à la découverte des petits travers des grandes personnes. Évidemment, la morale globale est sauve : un « chevalier blanc », Johan, est le garant des bonnes actions et un chenapan, Pirlouit, finit toujours par tellement exaspérer ses congénères qu’ils en arrivent à devenir fréquentables (ou terminent en prison).
Porteuse de bonnes intentions, la BD n’en dit pas moins la cruauté du monde, même aimablement.

Pirlouit parce que Piiirlouit !!!

Quand l’enquiquineur sorti d’on ne sait où rencontre Johan, la série gagne incontestablement ses galons, monte en puissance, en finesse et en complexité.
Seul, le page Johan eut fini par être le dernier des raseurs, un arbitre des élégances à baffer, un héros trop parfait. Canaliser sa gentillesse et sa combativité par l’arrivée d’un personnage hyperactif, iconoclaste apporte un contrepoids humoristique idéal.
Alors que Johan est un symbole de perfection et de courage trop adulte, Pirlouit est un modèle de rouerie enfantine. Pas méchant quoique portant très vite sur le système, il se prête à toutes les audaces, de la blague féroce aux travestissements divers. Pirlouit est la petite peste qui réussit les plus vaches des plaisanteries et met toute son énergie à martyriser les bonnes gens Un vrai régal pour tous.
Sorte de petit dieu facétieux, le blondinet court sur pattes, va énergiser la suite des aventures du duo, non sans y ajouter une touche d’émotion attachante.

On le sait, le succès des “Schtroumpfs” -dont la naissance est effective dans un album de “Johan et Pirlouit” intitulé “La Flute à Six Schtroumpfs”- empêchera Peyo de poursuivre l’aventure. Certes heureux, l’événement reste néanmoins regrettable, tant d’autres épisodes furent longtemps espérés par les fans. Il n’y en aura jamais plus de treize et l’Intégrale en cours de publication bouclera son parcours éditorial en quatre volumes.
L’occasion est donc belle de se replonger avec délectation dans une épopée graphique aux ambiances combatives et joyeuses avant d’attaquer les versants les plus enchanteurs et enchantés.

Retrouver ses émotions d’enfants par le plaisir de la lecture est encore, et pour longtemps, la meilleure façon de laisser filer le temps dans un grand éclat de rire.

Piiirlouit !


Johan et Pirlouit (Intégrale 1) Pages du Roy
- Titre : Intégrale Johan et Pirlouit
- Sommaire : Biographie, archives, inédits, “Le Châtiment de Basenhau”, “Le Maître de Roucybeuf”, “Le Lutin du Bois aux Roches”
- Auteur (scénarii, dessins, couleurs) : Peyo
- Éditeur : Dupuis
- Collection : Tous Publics - Intégrales Dupuis
- Autres volumes : Sortilèges et Enchantements (T2, septembre 2008), Brigands et Malandrins (T3, avril 2009), Les Années Schtroumpfs (T4, octobre 2009)
- Site Internet : page série (site éditeur), page album (site éditeur)
- Pages : 174
- Format (en cm) : 30 x 2 x 21,5 (quadrichromie)
- Dépôt légal : mars 2008
- Code Prix : DU10 - 6852651
- ISBN : 978-2-8001-4010-0
- Prix : 17€


© Illustrations, couvertures : Peyo - Dupuis 2008.



Stéphane Pons
21 décembre 2008




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Johan et Pirlouit : Pages du Roy (T1), Dupuis 2008.



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Johan et Pirlouit : Sortilèges et Enchantements (T2), Dupuis.



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Le page Johan au galop sur son destrier part à l’aventure (Johan et Pirlouit, Intégrale tome 1).



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