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Mysterium
Robert Charles Wilson
Denoël, Lunes d’Encre, science-fiction, romans et nouvelles (traductions), anglais (Canada), 736 pages, avril 2008, 29€

Robert Charles Wilson, né en 1952, est un des grands auteurs de science-fiction d’aujourd’hui.
Son roman « Spin », prix Hugo en 2006, a reçu le Grand Prix de l’Imaginaire l’année dernière. Le succès public rejoignant les louanges unanimes des critiques, ses premiers romans sont maintenant traduits.
Ce fut le cas avec « Ange mémoire » récemment chez Folio SF et c’est aujourd’hui le tour de Lunes d’Encre de proposer cet « omnibus » qui regroupe 2 romans et 6 nouvelles dans un ouvrage de plus de 700 pages (bien peu pratique à manipuler).




La préface de Jacques Baudou, intéressante et érudite, retrace le parcours de cet Américain exilé au Canada et met en lumière les lignes de force de cette œuvre originale.
Par ailleurs, chacun des textes est précédé d’une note de l’auteur.

La cabane de l’aiguilleur (A Hidden Place, 1986) est le premier roman publié de Wilson. Roman fantastique, il se déroule pendant la Grande Dépression aux Etats-Unis. C’est l’histoire d’un jeune homme qui vient de perdre sa mère et est accueilli par sa tante dans une petite ville loin de tout. L’ambiance délétère de Haute Montagne est difficile à supporter pour Travis qui commence à fréquenter Nancy, une jeune fille aussi « décalée » que lui dans ce milieu confit dans la religiosité et l’hypocrisie. Le mari de sa tante en particulier, rigoriste et autoritaire, va passer une partie de ses nuits dans le grenier, là où loge une très belle et très étrange jeune femme Anna. Travis et Nancy vont décider de la libérer de cette condition.
En contre-point à ce récit, on suit le parcours d’un autre être bizarre, L’Os, un géant simple d’esprit qui vit de débrouille et de rapine avec les vagabonds qui voyagent dans les trains de marchandise, pourchassés par les policiers et les “braves gens”.
Ce n’est qu’en toute fin du livre que L’Os parviendra à Haute Montagne, appelé par son instinct.

Dès ce premier roman, Wilson s’attache à décrire dans le détail les motivations et la psychologie de ses personnages, torturés par leur passé familial. Presque trop parfois puisqu’il le fait aussi pour les personnages secondaires sans que cela n’ait d’impact sur l’action ou l’intrigue. Ce premier roman est pourtant de qualité et fait parfois penser, pour l’ambiance, à du Steinbeck ou à du Sturgeon.

Mysterium (Mysterium, 1994) ressemble beaucoup plus aux romans de SF qui établiront la réputation de l’auteur. Dans la petite ville de Two Rivers, le gouvernement décide d’installer un laboratoire de recherches militaires. Une étrange explosion a lieu et la ville et ses environs se retrouvent projetés dans une Terre parallèle.
Les habitants de cette petite ville américaine sont maintenant environnés par un monde uchronique où la technologie est celle de la première moitié du 20e siècle et où le gouvernement est un régime autoritaire théocratique. Le gnosticisme est l’idéologie religieuse dominante et les proctors et les censeurs font la loi. Ils isolent la ville d’une frontière infranchissable, imposent le couvre-feu et dépêchent sur place des forces de maintien de l’ordre et des enquêteurs chargés de recueillir toutes ces étrangetés.
Dexter Graham est prof d’Histoire. Personnage attachant au passé familial tragique, il va prendre des risques et essayer de sauver ce qu’il peut, aidé par Howard un jeune scientifique, Linneth l’ethnologue chargée d’enquêter par le pouvoir mais sensible au charme de Graham et un gamin Clifford. Les autres personnages comme Evelyn, ex-maîtresse de Dex et maintenant du proctor en charge de la ville Symeon Demarch, ce Symeon le méchant mais pas autant que d’autres, ou encore la mère de Cliford, sont tous avant tout profondément humains.

Wilson démontre son savoir faire : psychologie fouillée, scènes intimistes ou d’action remarquablement rendues, intrigue complexe mais malgré tout accessible, ou admissible. L’explication finale peut objectivement apparaître un peu tirée par les cheveux et cette déviation tordue du gnosticisme un peu exagérée, mais le lecteur se laisse emporter par l’indéniable talent de l’auteur, qui lui fait oublier en chemin sa rationalité.

Le Mariage de la Dryade est une nouvelle qui se passe dans l’univers de son roman « Bios ». La conscience peut prendre des formes et des dimensions difficiles à comprendre pour un humain.

Les deux courtes nouvelles suivantes, Le Grand Adieu et Les Affinités ont été écrites pour “Nature”, la plus grande revue scientifique internationale. Deux idées intéressantes sur la définition de l’humain dans le futur et l’appartenance à un groupe.

Le Théatre Cartésien (prix Theodore Sturgeon 2006) explore (encore !) une idée très humaine. L’âme existe-t-elle et peut-elle se manifester hors du corps physique ?

YFL-500 est une variation sur la possibilité de transformer le rêve en œuvre d’art. Les explications techniques et la mise en scène peuvent ne pas convaincre.

Julian : un conte de Noël clôt cet ouvrage par une histoire dont l’intérêt n’est pas évident et qui met en place les éléments d’un prochain roman. Là, loin du classique post-apocalyptique où on repart de zéro, cette dystopie met en scène au 22e siècle une Amérique revenue au 19e. Pour amateurs sensibles à une écriture travaillée comme si on était au 19e, sans propos ni chute.

Autant les deux romans, quoique très différents mais de grande qualité, méritaient sans conteste une édition en langue française, autant les nouvelles, sauf Le Théatre Cartésien, semblent avoir été publiées pour montrer que R.C. Wilson sait aussi écrire des textes courts. Dont acte.

Titre : Mysterium (contient deux romans et six nouvelles)
Auteur : Robert Charles Wilson
Traduction de l’anglais (Canada) : Gilles Goullet et Pierre-Paul Durastanti
Préface : Jacques Baudou
Couverture (souple) : Manchu
Éditeur : Denoël
Collection : Lunes d’Encre
Directeur de collection : Gilles Dumay
Pages : 736
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 4,6
Dépôt légal : avril 2008
ISBN : 978-2-207255975-7
Prix : 29 €

PLUS SUR R.C. WILSON EN YOZONE :

Un avis sur “Darwinia”
Un avis sur “Les Chronolithes”
Une interview de R. C. Wilson au pays de Cézanne
Un avis sur “Spin”
Un avis sur “Ange mémoire”


Hervé Thiellement
15 octobre 2008


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