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YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




La vengeance du comte Skarbek
Entretien avec Gregorz Rosinski
Février 2004

Depuis quelques temps, les éditions DARGAUD organisent régulièrement des rencontres - sorte de conférence de presse en petit comité et sympathiquement organisée (café, jus d’orange, croissants et pains au chocolat) - avec leurs auteurs et dessinateurs. Pour la dernière en date, Hélène Werté avait invité la Yozone à participer à la table ronde avec Rosinski, le père de Thorgal, mais aussi et surtout le responsable de la partie graphique de La Vengeance du Comte Skarbek.
Bien entendu, nous avons dépêché sur place deux membres du site de l’Imaginaire pour se pencher sur cette somptueuse bande dessinée, premier volet passionnant d’un diptyque qui mêle fiction et réalité historique en un vibrant hommage à la littérature française du XIXème siècle (Alexandre Dumas, Victor Hugo) et à la peinture impressionniste de Cézanne ou Manet.



Evidemment, à la vue du scénario accouché par Yves Sente, on était amené à faire la corrélation entre le personnage principal, un peintre d’origine polonaise venu s’installer à Paris après le partage de son pays entre la Prusse et la Russie, et Grezgorz Rosinski, illustrateur de talent qui a fui sa terre natale après la prise de pouvoir du général Jaruzelski. Une fausse idée à laquelle l’artiste, particulièrement bavard, va immédiatement apporter un démenti catégorique.

Entretien

Quelle a été votre implication dans la conception du scénario ? Comment avez-vous travaillé avec Yves Sente et quelle est la part autobiographique vous concernant dans le récit ?

Aucune. A vrai dire, je ne mélange pas les genres et je ne me mêle pas du travail du scénariste, comme je n’aimerais pas sentir son regard par-dessus mon épaule quand je dessine. Par contre, on se connaît depuis au moins dix ans avec Yves Sente et si je ne lui ai donné aucune indication ou élément pour le développement de son scénario, il a quand même écrit cette histoire à mon intention, en connaissant parfaitement mon parcours, mes envies et mes intérêts, comme celui de la peinture. D’ailleurs, c’est en découvrant son récit que je me suis aperçu de certaines coïncidences anodines mais amusantes entre le héros et moi-même. Par exemple, dans l’un des flash-back en Pologne, on le voit entrer à l’Académie des Cadets. Et bien, quelques années plus tard, cette école militaire est devenue celle des Beaux-Arts. Et j’en suis sorti. Il n’y a rien d’autobiographique là dedans et pourtant nous avons, tous les deux, fréquentés les mêmes bâtiments, même si les circonstances n’ont aucun rapport entre elles. En tout cas, je pense sincèrement que Yves a réalisé un travail formidable. Bon évidemment, lui étant belge et moi polonais, réaliser une bande dessinée retraçant une page de l’histoire commune de nos deux pays était assez séduisante. Surtout que sa trame, articulée autour de faits historiques, nous replonge au cœur de cette époque, de son ambiance, de ses manigances politiques. En tout cas, j’ai été immédiatement emballé par cette fiction historique dans laquelle, à la façon des romans d’Alexandre Dumas ou de Victor Hugo, des personnages réels, plus ou moins clairement évoqués (NDR : d’étonnantes révélations sont à prévoir dans le tome 2), sont mêlés aux destins de personnages totalement imaginaires.

Dans le dossier de presse, il est dit que vous avez peint La Vengeance du Comte Skarbek sur des planches de 1m sur 70 cm. Pourquoi ce choix pour illustrer cette BD ?

Normalement, je travaille sur des planches de tailles classiques. Mais là, le sujet permettait d’explorer un peu, de sortir du carcan habituel. En plus, Skarbek était l’occasion de rendre hommage à cette époque, aux évènements, à la littérature et aussi à la peinture. A mon avis, si la bande dessinée, ou le cinéma, avaient existé à cette époque, je suis persuadé que certains grands peintres s’y seraient essayés pour nous raconter des histoires plus longues qu’une toile ne le permet. En fait, j’avoue avoir été marqué par le GLADIATEUR de Ridley Scott. Tout au long de la pellicule, je pensais à la peinture de Géromé « Le pouce vers le bas » et le making-off du DVD et venu confirmer que Ridley Scott était parti de cette célèbre toile. D’ailleurs, en Suisse, là où j’habite, Rodolphe Töpffer, un peintre victime de troubles de la vue qui sévissait vers 1840, est considéré comme le précurseur de la bande dessinée. Alors avec Skarbek, j’ai voulu m’y prendre autrement, me transformer en un peintre de l’époque qui aurait chroniqué cette affaire. Alors comme nous avons désormais les moyens techniques de reproduire et réduire très fidèlement des toiles beaucoup plus grandes, j’ai fait des premiers essais avec mon fils. La qualité et la satisfaction du résultat m’ont poussé à aller de l’avant.
C’était également une première au niveau des textes. Habituellement, je place tout d’abord les textes avant de compléter avec le dessin, alors que là, les bulles sont venues s’ajouter sur les peintures. D’ailleurs, j’aurais bien aimé aussi innover sur la présentation du texte, utiliser une approche et une calligraphie moins classique. Mais, en même temps, l’histoire est d’une grande qualité et, en voulant trop en faire, on risquait de tuer le récit. Ce qui aurait été vraiment dommage. Finalement, je suis assez satisfait du résultat.

Est-il prévue une édition de luxe ? L’intégrale dans un format qui pourrait mettre plus en valeur vos peintures ?

Plein de choses sont possibles vous savez. Comme de sortir la Vengeance de Skarbek dans son format original, avec les planches de 1 mètre sur 70 centimètres. Mais je ne crois pas qu’un éditeur me suivrait sur ce terrain. Sinon, j’ai aussi pensé à une version longue et plus « adulte », comprenant les scènes d’amour et les orgies des bourgeois libertins qui sont juste évoquées dans l’album. Mais bon, pour répondre plus sérieusement à votre question, rien n’est encore décidé pour le moment. En tout cas, j’avoue que ce travail en grand format m’a emballé. L’espace offre une grande liberté pour s’exprimer. Non seulement ça réduit le stress et en plus ça prend moins de temps.

Sinon, au niveau du graphisme, ne trouvez-vous pas que par moment votre approche est caricaturale, tirant un peu sur le grotesque ?

Pas plus que Daumier, un chroniqueur de cette époque.

Pour changer de sujet, Van Hamme a déclaré dernièrement qu’il envisageait d’arrêter de scénariser Thorgal à partir du numéro 30. En avez-vous discuté ensemble ?

Oui ! Bien sur que l’on en a discuté. Effectivement, il est fort possible que notre aventure commune s’arrête prochainement. Mais ça ne signifie en rien la fin de Thorgal. Même si nous nous arrêtons, la porte reste ouverte.

Y-a-t-il déjà des personnes intéressées et si oui, sous quelle forme Thorgal pourrait continuer ?

Plusieurs choses sont envisageables. Comme la reprise de la série par une nouvelle équipe ou alors une déclinaison de Thorgal sous la forme d’une série dérivée. Mais je crois que ce n’est pas encore le moment d’en parler. Nous sommes actuellement en pleine discussion et rien n’a encore été décidé. Il y a même des négociations féminines en cours, ma femme essayant de convaincre celle de Van Hamme à le pousser à continuer (rires).

Mais dans le pire des cas, pensez-vous également passer la main ?

C’est effectivement envisageable. Mais comme je le disais précédemment, cela ne veut pas dire que c’est la fin de Thorgal. Au contraire, cela pourra permettre à de nouveaux talents d’apporter un nouveau sang, de renouveler les sujets et le graphisme.

Sinon, pour revenir et conclure sur Skarbek, vous nous confirmez donc que les déboires du héros, ce peintre dont la muse est une prostituée, l’éditeur un arnaqueur, et dont on apprend également qu’il a perdu son outil » de travail, ne sont en rien les matérialisations de certaines de vos angoisses personnelles ?

Oui, je confirme(sourires) Ca, c’est des idées de Yves Sente (rires). De toute façon, quand je travaille, je fais totalement abstraction de ma vie quotidienne pour me concentrer sur ma tâche. D’ailleurs, je ne m’inspire jamais de personnes que je connais. En fait, quand je me plonge dans un scénario, je me fais mon petit casting personnel. D’après l’histoire, les rôles. Un peu comme on choisit un comédien pour incarner un film, en raison de ses capacités, de son charisme, tant sur le plan physique, intellectuel ou autres. Là, en l’occurrence, pour les bourgeois, je me suis inspiré des stéréotypes liés à cette période ou, du moins, à la représentation que peut en avoir le public, par le biais du cinéma, de la télévision ou, plus directement, de gravures d’époque. Ensuite, bien entendu, je confronte ma vision avec celle des scénaristes. Par exemple Yves Sente, lorsqu’il rédigeait son manuscrit, avait pensé à Gene Hackman en imaginant Northbrook, le marchand d’Art véreux anglais. Alors, je l’ai un peu modifié pour que cela ne se voie pas trop. Pareil, Dufaux, dans La Complainte des Landes Perdues, avait imaginé Blackmore un peu comme Christopher Lee. Sinon, à vrai dire, à part mon chien, je m’inspire très rarement de personnages réels et de toute façon, pour La Vengeance du Comte de Skarbek , j’ai essayé de rester proche de la réalité historique, que ce soit en terme de décors, de costumes et des personnages réels évoqués plus ou moins clairement dans l’album. Par contre, à ce sujet, je ne peux vraiment pas en dire plus car ces personnages historiques sont des éléments importants des nombreuses révélations contenues dans le deuxième et dernier tome.

Laissons planer le mystère, la sortie de ce second événement pictural est prévue pour fin 2005.



Bruno Paul
David Lapetina
21 février 2004




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