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Filth (The)
Grant Morrison & Chris Weston
Panini comics

Pulsion héroïque

Depuis les « Watchmen » d’Alan Moore, le comics de super héros américain n’a plus jamais été vraiment le même. En publiant un récit dense et complexe, qui ancrait le phénomène des super justiciers dans une histoire psychosociale de l’Amérique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il était inévitable que Moore rende caduque une vision simpliste du héros costumé qui combat les super vilains uniquement par bravoure morale. Pire, de manière insidieuse, le prodige anglais de la BD américaine avait fait entrer l’Inconscient freudien dans le monde apparemment pur du comics en posant une question simple : Pourquoi des costumes aussi bariolés et improbables ?



Depuis, les variations sur le thème du héros « qui réfléchit à sa condition de super héros » n’ont eut cesse de proliférer sous différentes formes, la plupart du temps allégées. Les séries « The authority », « Superman Identité Secrète », « Superman Red Son », pour ne citer qu’elles, ont toutes, jusqu’à un certain degré et souvent avec un certain succès, emprunté à ce roman graphique incroyable des éléments visant à enrichir leurs univers, à les rendre plus complexes, moins manichéens, plus ironiques.

« The Filth », aboutissement halluciné de ce phénomène, vient boucler la boucle, rendant à nouveau impossible une posture trop facile dans laquelle le héros ne fait en réalité que réfléchir un instant à sa propre condition étrange, pour ensuite reprendre inévitablement ses activités, sans jamais faiblir.
Là où les Watchmen nous avaient présenté des super héros vieillissants rattrapés par leurs propres fissures et leurs échecs, « The Filth » agrandit la faille au plus grand, creuse le sillon, maximise le délire, pour laisser la folie gouverner complètement l’héroïsme jusqu’à étrangler le rire même du lecteur.

D’une certaine manière, c’est encore une histoire qui respecte les codes essentiels du super héros. Ned, le personnage principal, a deux vies, deux costumes, deux personnalités : banal fonctionnaire consommateur avide de pornographie bon marché d’une part, éboueur fantasmagorique à la perruque vert fluo de l’autre. Lorsqu’il enfile sa perruque ridicule, il se met au service d’un organisme tout puissant et manipulateur nommé « la main ». Sa mission : trouver les horribles déviants pour les éliminer avant que leurs perversions ne mettent à mal la stabilité du réel. D’où le titre : « The Filth » ou, en français, la crasse, que l’éboueur, chargé du sale boulot, doit nettoyer pour que le commun des mortels vive dans la béatitude et l’harmonie.

Mais plus que jamais, le schéma est irrémédiablement brisé. Pourquoi Ned reste plus attaché à sa personnalité de loser qu’à cette vision héroïque et haute en couleur de lui-même ? Pourquoi, lorsqu’il part en mission, est-il remplacé par un autre, un double sadique qui cherche à ternir sa réputation auprès de ses voisins, à torturer son chat jusqu’à la mort ? Est-ce qu’il peut avoir confiance en ses patrons ?
On le voit bien, d’un certain point de vue, il n’y a plus de super héros du tout, mais seulement l’esprit délabré d’un personnage en proie à ses propres pulsions schizophrènes. Quoique… sait-on jamais où gît encore l’héroïsme ?

De ce point de vue, « The Filth » est à nouveau un livre somme, qui compte nous délivrer un message inévitable à la fois sur le monde actuel et sur la pulsion super héroïque qui obsède tant le comics américain.
Seulement, ce message est une ironie délirante, tellement mordante qu’on ne peut justement s’en débarrasser en s’en gaussant. On était parti pour rire et c’est la nature même du rire qui finit par devenir effrayante tellement le délire porte loin. Watchmen nous proposait des supers héros atteints de névroses, « The Filth » nous montre des personnages en proie à la psychose.

Pour terminer, il faut toutefois ajouter que le récit n’est pour autant pas tout à fait délirant jusqu’à l’hermétisme. Il sait prodiguer ses solutions et ses remèdes, il sait prodiguer ses moments de lucidité avec parcimonie. Mais pour ça, il faut d’abord accepter d’accompagner Grant Morrison et son personnage Ned à travers un torrent d’insanités salvatrices.


The Filth
- Scénario : Grant Morrison
- Dessin : Chris Weston
- Couleur : Matt Hollingsworth
- Editeur : Panini comics
- Collection : Vertigo Big Book
- Pagination : 268 pages noir et blanc
- Date de publication : février 2007
- ISBN : 978-2-84538-886-4
- Prix public : 27 €


Librairie - Galerie Brüsel
Boulevard Anspach 100
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Jonathan Michielsen
15 avril 2008




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